Isadora Bigourdan : “l’Afrique regorge de talents. Donnons leurs les moyens de rayonner”

Par Isadora Bigourdan*

C’est ainsi qu’au Cameroun, l’entrepreneur Alain Nteff utilise les téléphones portables pour sauver la vie de femmes enceintes et de nourrissons. Avec Giftedmom les futures mamans et les nouvelles mères ont un accès instantané à des conseils médicaux pour rester en bonne santé, ainsi que leurs bébés. Au Cameroun, environ 56 bébés meurent chaque jour avant l’âge d’un mois et 45 mortinaissances surviennent chaque jour, selon l’ Unicef. L’application qui compte plus de 200 000 utilisatrices aujourd’hui a contribué à augmenter de plus de 60 % le nombre de mères se rendant à l’hôpital, permettant d’agir concrètement sur le taux de mortalité infantile dans le pays. Et les exemples comme cela sont légion dans l’éducation, l’accès aux services financiers ou encore l’agriculture.

Nous sommes les témoins et les alliés d’une Afrique en ébullition, où une jeunesse dynamique, engagée et connectée est le moteur d’un futur plein de perspectives

Chez Digital Africa, nous nous engageons pour une transformation numérique qui renforce l’économie réelle par la création d’emplois, l’entrepreneuriat et les activités productives visant à renforcer les compétences pour une plus grande autonomie de l’Afrique. Nous croyons en la force de ses leaders technologiques pour la transformer. Nous avons fait le choix de concentrer nos forces sur le segment le plus risqué, l’amorçage, pour accélérer l’émergence de champions. Nous agissons comme le catalyseur de cette vision audacieuse. Nous sommes les témoins et les alliés d’une Afrique en ébullition, où une jeunesse dynamique, engagée et connectée est le moteur d’un futur plein de perspectives.

Notre expérience avec les écosystèmes technologiques à travers le continent a montré que le succès de l’innovation numérique repose sur trois défis interdépendants : doter les startups à fort potentiel des moyens dont elles ont besoin ; trouver des financements avant les étapes critiques du passage à l’échelle ; et favoriser la visibilité nécessaire à l’émergence et à la croissance de projets innovants.

D’abord, les moyens.

Les talents sont au cœur de cette révolution. Et leur permettre de se former pour contribuer au mieux à l’économie numérique est une urgence. D’ici 2030, 800 millions de jeunes Africains arriveront sur le marché du travail et l’enjeu est de leur permettre de trouver un métier qui les rend autonomes et qui, idéalement, les fassent sortir de l’économie informelle au profit de secteurs économiquement porteurs. Dans le même temps, ce sont plus de 230 millions d’emplois qui sont à créer pour répondre aux besoins de l’économie digitale. Le numérique est ainsi un vivier d’emplois puissant. A travers notre programme Talent4Startup, nous permettons à des jeunes de se former gratuitement aux métiers en tension dans les start ups et facilitons leur placement professionnel. Grâce à nos Edtechs partenaires réparties sur le continent, les jeunes de 10 pays peuvent se former

rapidement et développer leurs compétences pour améliorer leur employabilité. Dans le même esprit, avec Edtech Connections, nous déployons un outil itératif et pragmatique pour améliorer le product market fit de ces startups en amorçage et leur permettre de croître plus rapidement. Enfin, nous sommes fiers de soutenir la création de start ups dans la deeptech avec OST et le MIT à travers le programme Brain Africa, né en Tunisie et qui se déploie sur le continent.. L’Afrique regorge de talents. Donnons leurs les moyens de rayonner.

L’accès à la data est un sujet sensible également pour une start up numérique. C’est pour cette raison que nous soutenons des programmes de recherche qui visent à définir un cadre africain pour en faciliter la gestion et l’accès. Nous déployons également le programme Data 4 Digital Africa, une infrastructure pour les startups africaines destinée à offrir des données en libre accès qui les aideront à créer, tester et exploiter leurs modèles. L’objectif principal est ici de réduire le coût d’accès à la donnée et de créer, tester et opérationnaliser des modèles d’intelligence artificielle sur des cas d’usage métiers. Ayant choisi comme premier cas d’application l’agriculture, lors du premier Hackathon organisé avec nos partenaire Zindi, Bnetd, Agribora, Data 354 et Investiv, 219 data scientists de 64 pays, dont 29 africains, ont contribué avec des modèles de Machine Learning pour l’analyse d’images de drones en agriculture.

Vient, Ensuite, le financement.

L’accès au capitaux est en effet l’un des principaux défis auxquels sont confrontés les entrepreneurs africains. C’est un facteur clé qui détermine le potentiel à long terme d’une startup. Ces dernières années des progrès significatifs ont été réalisés en matière de volume et de montant des transactions conclues à travers le continent. En 2022, ce sont 5 Mds de USD qui ont été levés par les SU et l’Afrique s’est montré relativement résiliente dans la crise mondiale que traverse le secteur avec une diminution de seulement 6 % des transactions, contre 35% dans le monde. Malgré ces tendances positives, l’Afrique n’attire que moins de 2% des investissements en capital risque mondiaux et les fonds sont très inégalement répartis. Les financements sont concentrés à 70% sur 5 pays majoritairement anglophones et l’Afrique francophone a été particulièrement touchée par l’hiver de l’investissement fin 2022 avec une baisse de 81% des capitaux. Là aussi, il est urgent d’inverser la tendance et de financer massivement le secteur.

Canaliser les opportunités d’investissement au sein du continent, mais aussi au-delà, pour soutenir les entrepreneurs africains innovants, tout en encourageant les investisseurs à devenir des ambassadeurs et des partisans de l’innovation numérique « Made in Africa

Dans nos efforts pour augmenter le volume des fonds disponibles, nous avons opté pour une approche opportuniste, considérant que la combinaison des financements directs et indirects permet à Digital Africa d’avoir une offre diversifiée. Notre objectif est de canaliser les opportunités d’investissement au sein du continent, mais aussi au-delà, pour soutenir les entrepreneurs africains innovants, tout en encourageant les investisseurs à devenir des ambassadeurs et des partisans de l’innovation numérique « Made in Africa ».

Nous agissons ainsi à chaque étape de la vie d’une start up pour soutenir son déploiement. Avec le fonds FUZE, nous proposons des petits tickets d’amorçage à des champions de la tech opérant en Afrique francophone. Depuis son lancement en janvier 2023, Fuzé a analysé 125 startups et a sélectionné avec soin les 18 projets les plus prometteurs, pour leur permettre de recevoir un soutien financier. Parmi eux, 6 ont reçu des investissements pour propulser leur croissance. L’interface de Fuzé est fluide et facile à utiliser pour les aux startups. Mais Fuzé ne se limite pas à l’investissement :

elle a signé des partenariats avec 60 venture builders ou start ups studios sur le continent. Ensemble, nous façonnons l’avenir de l’entrepreneuriat en Afrique francophone. Nous sommes fiers d’avoir financé Néolan, une startup basée à Dakar qui s’est rapidement imposée comme une force motrice dans le domaine de l’EdTech, en proposant une plateforme de certification et une aide à

l’insertion professionnelle dans les pays émergents. Ou encore Wandaa, au Maroc, une plateforme B2B basée sur un logiciel SaaS qui facilite le commerce entre les PME africaines et les détaillants européens.

Au moment de la levée de fonds en série A, les start ups souffrent de tensions de trésorerie. Porté par Digital Africa et opéré par Proparco, le Bridge Fund by Digital Africa est une réponse aux défis auxquels sont confrontées les jeunes entreprises africaines innovantes à cette étpae de croissance.. Bridge Fund est doté de 7 millions d’euros et investit des tickets de 150K à 600K€ par startup. Depuis sa création, il a investi 18 tickets dans les startups de 9 pays d’Afrique C’est par exemple la start up de e-commerce Anka, (ex Afrikrea) qui a pu étendre ses activités et à travers elle c’est le rayonnement des produits d’inspirations africaines à travers le monde qui s’opère et in fine le développement économique du continent.

Enfin, nous agissons pour attirer plus de capitaux en Afrique à travers la communauté Africa Next. Africa Next est le fruit d’un partenariat entre Digital Africa et BPI France Euroquity, renforcé par l’Allemand AfricaGrow. Elle incarne une communauté dynamique, qui réunit les 39 fonds VC et accélérateurs les plus actifs sur le continent, à l’instar d’Africinvest, Saviu Capital, Novastar ou encore Partech. Ce sont plus de 85 startups à très fort potentiel de croissance et d’internationalisation qui ont participé à 12 sessions de e-pitch. 8 startups ont réalisé une série A comme Affluence, GoMyCode ou Medsaf.

En sus des talents et des financements, pour attirer les talents et les capitaux, les écosystèmes tech doivent être lisibles et visibles. Nos actions de plaidoyer permettent de produire de la connaissance autour de la réalité de l’entrepreneuriat tech sur le continent, aider à mieux comprendre les besoins et challenges, sensibiliser à l’importance d’opérer dans un écosystème favorable. Nous avons notamment développé, avec notre partenaire ANA, Resilient Digital Africa, un média dédié à l’effervescence de la tech en Afrique. À travers des articles d’actualité, des entretiens approfondis et des focus sur diverses solutions, nous explorons l’ingéniosité et la créativité qui bouillonnent dans le domaine de la tech en Afrique. Notre objectif est de rassembler, partager et amplifier ces voix qui, à travers l’innovation, impulsent un changement positif pour les individus et les entreprises du continent. Ensemble, nous célébrons et propulsons les initiatives qui font de l’Afrique un acteur clé de l’innovation mondiale.

A l’instar de l’ALU dont nous partageons la vision, nous sommes convaincus que les leaders du continent inventent des solutions qui changent le continent et dont le monde entier doit s’inspirer

Car à l’instar de l’ALU dont nous partageons la vision, nous sommes convaincus que les leaders du continent inventent des solutions qui changent le continent et dont le monde entier doit s’inspirer.

Prenons par exemple, un pays qui nous accueille aujourd’hui et qui mérite qu’on s’y attarde à plus d’un titre. Champion mondial en termes de parité au sein du parlement, véritable modèle en termes de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption, le Rwanda, porté par un leadership fort et une forte ambition, a mis le numérique au cœur de son modèle de développement socio-économique et entend atteindre ses objectifs. Avec des initiatives comme Kigali Innovation

City, un cluster technologique qui a vocation à attirer des universités nationales et étrangères, des entreprises technologiques et des entreprises de biotechnologie, pour, à termes, exporter du savoir et de la technologie non seulement made in Rwanda mais plus largement made in Africa. Le premier port de drones au monde, dédié prioritairement à la livraison de produits de première nécessité, ne sera t -il pas rwandais ?

Un autre exemple de la manière dont des solutions africaines produisent des impacts au-delà du continent ? La formidable réussite de la startup tunisienne InstaDeep. Une véritable success story africaine qui a permis de sauver des milliers de personnes, en Afrique, plus largement dans le monde entier. Une aventure qui démarre en 2014, en Tunsie. Karim Beguir, polytechnicien, et Zohra Slim, autodidacte en informatique et design, débute avec 2000 dollars et une forte motivation. Spécialiste de l’intelligence artificielle, avec une équipe composée de scientifiques spécialisés dans l’apprentissage automatique, ils créent, à l’aide d’une série d’algorithmes, des moyens d’analyser les données afin d’améliorer la prise de décision. Quand la pandémie Covid 19 survient et bouleverse l’ordre mondial, l’urgence est de mettre en place des vaccins.

Pfizer et BioNtech se sont alors tournés vers cette startup qui avait publié une étude sur un modèle qui permettait d’identifier rapidement les variants de la Covid, grâce à plusieurs tours de table menés par Africinvest. Les résultats ont été si probants que BioNTech a fini par racheter InstaDeep en janvier 2023 pour 635 millions d’euros. Aujourd’hui, l’ entreprise figure parmi les 100 entreprises d’Intelligence Artificielle les plus prometteuses au monde. Pour reprendre les mots de son fondateur, Karim Beguir, « l’une des raisons pour lesquelles nous avons fondé InstaDeep était de montrer qu’il y avait un réel potentiel et une opportunité pour l’IA en Afrique. Nous voulons donc que les gens nous voient comme une startup africaine de deep tech devenue mondiale, ce qui envoie un puissant message d’espoir pour cet espace. » InstaDeep a prouvé qu’une entreprise africaine dotée de talents africains peut réussir à servir des clients dans le monde entier.

Et que dire de start up comme Expensya qui révolutionne la gestion des frais professionnels, de fonds comme Janngo porté par Fatoumata Ba qui s’engage pour faciliter l’accès des femmes entrepreneurs aux financements ou encore des plus de 300 hubs technologiques qui se développent sur le continent dans des approches écosystémiques ! Selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé), la pandémie de Covid-19 a stimulé le développement de 1 000 innovations technologiques, dont 120 ont été pilotées, adoptées ou conçues en Afrique. Qui peut encore douter que le monde de demain s’écrit en Afrique et que la technologie en est un puissant levier de transformation ?

Ensemble, construisons une Afrique numérique inclusive et florissante, source d’inspiration pour le monde entier

Notre mission est d’agir en tant que soutien inconditionnel des entrepreneurs tech africains dans leur phase d’amorçage. Nous avons à cœur de renforcer la capacité de ces champions du numérique à concevoir, développer et déployer des innovations de rupture au service de l’économie réelle. Nous sommes engagés aux côtés de ceux qui créent, qui inventent, qui innovent en utilisant la technologie pour améliorer l’accès aux services essentiels, tout en créant de la valeur pour leurs communautés. Et nous savons que seule l’union entre tous les acteurs du continent et leurs alliés peut porter cette dynamique sur le continent et au-delà.

Ensemble, construisons une Afrique numérique inclusive et florissante, source d’inspiration pour le monde entier. J’y crois, nous y croyons et vous ? Montez à bord. Le voyage commence maintenant.

* Isadora Bigourdan, directrice générale de Digital Africa, TEDx ALU Rwanda, 17 juillet 2023