Alors que la CEDEAO a annoncé la création d’une monnaie ouest africaine en 2020, l’économiste Mamadou Koulibaly, ancien ministre de l’économie et ex-président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, explique pourquoi il plaide pour l’abandon du FCFA.
Propos recueillis par Ibrahima Sanou, à Ouagadougou
La CEDEAO a annoncé la création d’une monnaie ouest africaine en 2020. Est-ce réalisable dans les délais évoqués ?
C’est possible mais cela exige des garde-fous. Il faut basculer vers un régime parlementaire parce que les Etats fédéraux nécessitent un bon contrôle. Il faut que les présidents de la république, les premiers ministres et les ministres soient contrôlés. Il faut également éviter la confusion entre la monnaie commune et la monnaie unique. Quand les chefs d’Etats de la CEDEAO en parlent parfois, ils utilisent l’un des termes à la place de l’autre. On a l’impression que les choses ne sont pas très claires dans leur esprit. Si c’est la monnaie commune que vous voulez, chaque pays garde sa monnaie et puis on crée une monnaie supplémentaire qui est celle qui sera commune à tous. Et on définit par rapport à chacune de nos monnaies, une parité ou des marges de variation par rapport à cette monnaie commune. Et puis, on se met d’accord. Si votre monnaie CFA ou CIDI varie au de-là d’une certaine limite par rapport à la monnaie commune, vous êtes obligé de dévaluer pour mettre de l’ordre. Si vous choisissez par contre, la monnaie unique alors là, toutes les monnaies disparaissent et sont remplacées par une seule monnaie. Quoi qu’il en soit, que ce soit la monnaie commune ou la monnaie unique, il faut nécessairement préciser le document de stratégie globale, le traité d’union monétaire et le statut de la Banque centrale. Ces trois documents doivent être adoptés par les chefs d’Etats et ratifiés par les pays mais jusqu’à ce jour, les réunions se succèdent mais ces documents ne sont pas encore établis. A deux ans de l’échéance, nous n’avons toujours pas de comité technique pour travailler sur le concept et informer les populations sur les contraintes. Nous n’avons pas toutes les données concernant l’articulation et le niveau de préparation de chaque pays. Nous n’avons pas toutes les informations sur les conditions macroéconomiques de la réalisation. Les protocoles de ratifications, d’intégrations, d’harmonisation des instruments juridiques ne sont pas encore prêts. Les Nigérians ont pris conscience de cela, c’est pourquoi, lors de la dernière réunion d’Accra, ils ont interpellé les autres chefs d’Etat sur la nécessité d’établir un plan de déconnexion avec l’Euro, sur les actions à entreprendre pour l’harmonisation avec l’Union africaine qui prévoit la création de banques centrales régionales en 2034.
Vous êtes l’un des partisans de l’abandon du FCFA. Quels sont vos arguments ?
Quand vous regardez les indicateurs de développement durable, vous constatez que l’Afrique subsaharienne malgré son appartenance à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et à la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), ne se porte pas mieux que les autres. La différence est souvent très négligeable. Quand on regarde le PIB à parité de pouvoir d’achat, le taux de croissance, le taux d’inflation, les réserves en nombre de mois d’importations, la diversification de l’économie, les investissements directs et les flux, nous constatons que nous n’avons pas d’éléments tranchés clairs qui montrent que les pays qui sont dans le FCFA se portent mieux que les pays qui sont hors FCFA. Une autre limite de notre présence dans la BCEAO, se démontre par les prêts qu’on peut y contracter. Lorsque vous allez prendre un prêt à la banque, si vous êtes un Etat ou une société publique, vous avez des taux alléchants mais quand vous êtes un particulier, les taux sont plus élevés. Les prêts ne vont pas facilement à ceux qui en ont le plus besoin c’est-à-dire les populations mais servent plutôt à financer les Etats.
Il y a pourtant des économistes qui trouvent que le système monétaire actuel marche bien…
C’est vrai, ils ont raison, ça marche très bien lorsque vous êtes dans le système parce que le système s’auto-entretien. Lorsque vous regardez les états financiers de la BCEAO en 2015, vous êtes surpris de trouver que l’institution est capable d’accorder des prêts de 49 milliards à son personnel, c’est des cadeaux. Ce sont de bonnes motivations. Si vous pouvez avoir des crédits faciles dans une institution, vous n’allez pas dire qu’elle ne marche pas. Surtout si ces prêts sont constitués de sommes consenties sur une durée de 12 mois. Il ne faut pas être surpris que ceux qui sont dans le système vous disent que ça marche. Mais si vous êtes propriétaire de PME, paysan, producteur de coton ou autre particulier, pour vous, ce n’est pas du tout pareil. Tout cela m’amène à dire qu’il ne faut pas qu’on s’accroche à cette zone monétaire.
Pour certains, il y a des risques pour les pays membres de la CEDEAO et de la CEMAC à quitter le FCFA ?
Pour moi, sortir de la zone monétaire CFA ne va pas forcement entrainer le chaos dans les différents pays. Les zones monétaires naissent, grandissent puis s’écroulent. La preuve, c’est que certains pays comme Madagascar, la Mauritanie, la Guinée sont sortis mais leurs populations ne sont pas pour autant morts. En abandonnant le FCFA, on pourra tisser d’autres relations.