Interview Onur Özçeri : « La Turquie, un partenaire plus pragmatique, plus rapide »
Acteur récent en matière d’aide publique au développement, la Turquie propose un partenariat innovant à l’Afrique, plaide Onur Özçeri, l’ambassadeur de Turquie au Bénin. Dans cet entretien, le diplomate détaille la stratégie et les priorités de son pays sur le continent.
Propos recueillis par Viany Gbaguidi, à Cotonou
Depuis 2005, la Turquie a intégré le cercle des États donateurs d’ aide publique au développement (APD), notamment au profit de l’Afrique. Quelle est votre stratégie sur le continent et en quoi celle-ci vous distingue des autres bailleurs ?
Je vais commencer en vous donnant un exemple concret. La Somalie a connu une période très difficile dans son histoire récente. Elle était pratiquement à plat et a longtemps été délaissée par la communauté internationale avant que la Turquie ne l’aide à se relever. Nous n’avons pas considéré ce pays comme étant un État failli, qu’il fallait abandonner à son propre sort. Là, on a un exemple concret où l’aide publique turque, dans tous les domaines, a permis aux Somaliens de regagner un tant soit peu confiance en eux-mêmes, de se remettre debout et de reprendre place au sein de la communauté internationale. C’est ce qui nous différencie des autres bailleurs. Notre approche est humaine. Nous sommes sensibles et compatissants, ce qui nous rend souvent plus pragmatiques et plus rapides pour traiter certaines situations. De fait, une grande partie de l’aide turque est humanitaire, tout en ayant en parallèle nombre de projets d’infrastructures comme des constructions d’hôpitaux, de fermes agricoles et beaucoup de projets de soutien au PME. C’est un mix pragmatique et concret.
Plusieurs acteurs africains plaident pour l’innovation et la transparence de l’APD sur le continent. Comment la stratégie turque a-t-elle évolué pour répondre à cette attente ?
Par le biais de la Tika, qui est l’Agence turque pour la coopération et le développement, nous sommes à l’écoute des besoins. Ce n’est pas dans des bureaux fermés que nous décidons de faire telle ou telle chose, ce sont les événements et les crises qui nous amènent à réagir et à réajuster constamment notre approche. Nous avons une stratégie qui est avant tout une réponse pragmatique aux crises. Nous disposons d’équipes flexibles et dynamiques. Par exemple, ici à l’ambassade de Turquie à Cotonou (Bénin), nous n’avons pas de représentant permanent de la Tika mais en tant qu’ambassade, nous avons la possibilité de soumettre des projets à celle-ci,, en fonction des choses qu’on voit, que l’on pourrait faire dans le pays, et qui serait susceptible d’avoir un impact direct sur les populations.
« Notre aide n’est pas conditionnelle »
De fait, dans le dernier communiqué adopté à Istanbul lors du 3e sommet de partenariat Turquie-Afrique (NDLR : 16-18 décembre 2021), la Turquie et ses partenaires ont réaffirmé ensemble le fait d’avoir une coopération plus efficace, ce qui répond mieux aux attentes du côté africain. Par ailleurs, notre aide n’est pas conditionnelle . On se rend compte que l’Afrique de 2022 n’est plus celle d’avant. Le continent veut être au cœur de ce qui se passe, il veut être écouté, participer activement aux prises de décisions, se diriger librement… De ce point de vue, on cherche à être à l’écoute de nos partenaires africains, et on prépare ensemble les projets sans chercher à imposer une certaine façon de faire.
À combien se monte aujourd’hui l’aide publique turque en Afrique ?
Entre 2015 et 2019, l’aide publique turque au développement pour l’ensemble du continent africain s’est élevée à près d’un milliard de dollars. Au Bénin, où notre ambassade a été ouverte en 2016, nous avons réalisé des projets correspondant à près de 2,5 millions de dollars, notamment la construction et la fourniture en équipements du centre de santé d’Adjohoun (NDLR : sud du pays, à 60 km de Cotonou), qui est une annexe de l’hôpital de zone de cette localité.
Quelles sont vos priorités actuelles pour le continent ?
Comme mentionné plus tôt, nous venons d’organiser le 3e sommet de partenariat Turquie-Afrique. Nous avons mis clairement sur la table ce que nous comptons faire ensemble, et ce qui a en particulier été retenu, c’est un catalogue très concret de mesures et projets, qui couvre tous les domaines (sécurité, agriculture, santé, éducation, jeunes et femmes…) et qui concerne aussi bien les instances étatiques turques et africaines que le secteur privé.
« Dans nos actions communes, la partie africaine a l’occasion de faire part de ses sensibilités et préférences »
Il est important par ailleurs de préciser que cet ensemble d’actions à mettre en œuvre a été préparé avec la partie africaine, qui a eu donc eu l’occasion de faire part de ses sensibilités et préférences. Depuis 2005, l’Afrique et la Turquie ont appris à se connaître et je note que l’ensemble des parties est déterminé à travailler main dans la main. J ’espère que nous continuerons sur cette voie.
Quid des coûts associés au catalogue de mesure issu du sommet ?
Sur ce point, avoir une approche en termes de coût serait trop réducteur car ce n’est pas tant un paquet de mesures liées par exemple à des infrastructures spécifiques que l’engagement de développer des activités communes telles que des transferts d’expertise, des programmes de coopération… Prenons l’exemple des zones économiques spéciales, qui sont créées un peu partout sur le continent africain. Il faut les faire connaitre au secteur privé turc. Le rôle ici de la Turquie, c’est de prendre par la main ses partenaires africains pour pouvoir les présenter au secteur privé turc et dire voilà, c’est un continent qui est en transformation structurelle, avec de nombreuses possibilités qui s’offrent à vous. Idem en Turquie, où il y a des projets, des opportunités à saisir par les Africains.
Qu’avez-vous prévu de faire ensemble, en plus des priorités actuelles ?
Il y a assurément beaucoup de choses à faire, que ce soit en matière d’infrastructures, sur le plan politique, économique, culturel… Sur le plan politique, la Turquie est en faveur d’un siège permanent pour les pays africains au sein du Conseil de sécurité des Nations-Unies (NDLR : aujourd’hui composé de cinq membres permanents : la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie- pourvus du droit de veto). Comme le dit le président de la République turque, le monde ne se limite pas à ces cinq pays et à ce titre, nous voulons que l’Afrique soit mieux représentée dans les instances mondiales. Par ailleurs, la Turquie est co-présidente du Groupe des amis des pays les moins avancés (PMA), au siège des Nations Unies, à New-York. Nous souhaitons que la communauté internationale puisse garder dans ses priorités le fait que les PMA réussissent l’agenda 2030 (celui des Objectifs de Développement Durable) et l’agenda 2063 (celui de l’Union Africaine), ce qui, d’une certaine manière, est aussi un coup de main à la cause africaine sur le plan international.
« Nous voyons un grand potentiel de développement dans les relations économiques et commerciales avec l’Afrique »
Sur le plan économique enfin, la Turquie a beaucoup d’atouts à partager avec l’Afrique. Nous vivons dans un monde marqué par la globalisation et notre pays peut inspirer beaucoup d’entreprises africaines dans les domaines du tourisme, de l’énergie, des infrastructures… Il y a dès lors un grand potentiel de développement dans les relations économiques et commerciales avec le continent. Nous organisons plusieurs forums économiques en Turquie, ce qui permet en particulier de faire beaucoup de B to B – les échanges interentreprises- et de choses concrètes. L’Afrique a par exemple besoin de transformer ses matières premières agricoles ; la Turquie est très avancée sur ce point et peut donc offrir une fenêtre d’opportunité aux opérateurs économiques africains afin qu’ils puissent s’inspirer de ce que la Turquie fait, et y acheter les machines-outils nécessaires. Mais au-delà, nous intervenons aussi dans les sports, la culture… En définitive, nous voulons que la Turquie et l’Afrique apprennent à mieux se connaître et s’apprécier.