A la uneParcours

Interview Foued Gueddich “ Le champion de l’exportation made in Tunisia”

A la tête d’un groupe qui figure parmi les fleurons du tissu industriel tunisien, Foued Gueddich est par ailleurs président de CONECT International, une confédération patronale qui mène un certain nombre d’actions en faveur du secteur privé tunisien, de la société tunisienne plus largement. Interview-portrait. 

Propos recueillis par Dounia Ben Mohamed, à Tunis

Foued Gueddich vous êtes à la tête d’un groupe agro-industriel qui exporte le made in Tunisia à travers le monde. Comment êtes-vous devenu un champion de l’exportation ? 

Je suis gérant d’un groupe industriel, avec une société spécialisée dans la transformation de légumes, les produits du terroir et méditerranéen, SunAntipasti ; l’autre produit des feuilles de brick.  Et nous avons deux autres structures, une spécialisée dans les produits agroalimentaires, Agrigold ; et l’autre dans l’exportation de produits d’artisanats notamment les Foutas (NDLR : serviettes de bain traditionnelles), principalement vers les États-Unis (2MIT TUNISIE ). Ce petit groupe évolue sous ma direction et on essaie d’être un petit champion de l’exportation tunisien. 

Mon parcours a commencé dans l’armée. J’étais élève-officier pilote. Une formation qui m’a marquée. Elle m’a appris la persévérance notamment, mis à part le scoutisme. Il faut savoir que je suis natif d’une région particulière en Tunisie, qui s’appelle la Pêcherie, un petit village à 3 km de Bizerte, avec une base militaire, où se trouvaient l’aviation, la marine et l’armée de terre. C’est cet environnement qui m’a conduit à espérer, un jour, devenir pilote. 

J’ai ainsi poursuivi une petite carrière dans l’armée de l’air tout en continuant mes études à Sfax, la méthode quantitative appliquée à la gestion. Puis, comme tout Tunisien je me suis dirigé vers Tunis pour essayer de gagner ma vie. J’ai alors commencé ma carrière dans le groupe Poulina, où je ne suis pas resté longtemps, ensuite j’ai effectué cinq ans à la Cotunace compagnie tunisienne pour l’assurance du commerce extérieur. J’ai alors été le premier à demander une fleur au PDG : la possibilité de suivre un DESS en commerce international que j’ai terminé avec succès. Je voulais passer de l’autre côté de la barrière. Ensuite, j’ai eu l’opportunité de rejoindre un groupe d’une certaine notoriété en Tunisie, BSB, en tant que manager de la nouvelle filiale spécialisée dans l’huile d’olive qui devait ouvrir à Dubaï. Pour diverses raisons, je suis nommé directeur export de la structure. Un gros avantage dans ma carrière : elle m’a permis de faire le tour du monde en deux ans. 

« Tout le monde pensait au marché local et à importation, moi, j’ai la tête dure, je voulais persévérer dans l’export, pour notre groupe, et notre pays, pour faire entrer des devises alors que d’autres les sortent »

A ce moment, j’ai 31 ans. J’ai alors voulu changer de cap. J’ai profité de la vague positive que les politiques ont essayé de mettre en œuvre en 1997 notamment le Conseil supérieur de l’exportation qui permettait aux jeunes promotteurs de moins de 40 ans de créer une société de commerce international à capitale réduit, à savoir 20 000 dinar tunisien ( 10 000 Euro ). J’ai donc créé une société de commerce internationale avec un groupe de la place. Et j’ai commencé avec l’huile d’olive que l’on exportait en vrac vers les USA. Je fais mon bonhomme de chemin. On commence à exporter de l’huile d’olive conditionnée, des dattes. Avec l’Australie, mon premier marché. On entame une autre phase quand mon associé, ingénieur agro-alimentaire, m’annonce qu’il va s’installer en France. On va alors préparer la fameuse salade Mechouia et la Harissa, que l’on va commercialiser pour Le groupe Leclerc. Nous n’avions pas d’usine à l’époque. L’aventure de SUNANTIPASTI… commence comme cela. On installe un petit local au fin fond de la campagne, et on commercialise les produits du terroir. On va très vite être connu. On va être présent sur la GSM en France. On développe l’outil de production. De rien, on commence à se développer. Puis on est contacté par la société Mosaïque, actuel partenaire et distributeur, qui a repris la carte de la distribution de la marque les « Jardins de Carthage » sur la France. Un saut en avant qui nous a permis d’être présent sur beaucoup plus de grandes surfaces. Entre temps, on créé une filiale à Lyon spécialisée sur le secteur ethnique et on développe nos exports sur l’Europe. En parallèle notre distributeur Mosaïque, exprime un besoin pour les feuilles de bricks, totalement pour l’export. Et ainsi de suite… 

Tout le monde pensait au marché local et à importation, moi, j’ai la tête dure, je voulais persévérer dans l’export, pour notre groupe, et notre pays, pour faire entrer des devises alors que d’autres les sortent… J’ai eu, il faut le dire, la chance d’avoir une formation exceptionnelle à l’ISG Institut supérieur de Gestion de Tunis, où j’ai suivi des cours du soir, avec des praticiens, des douaniers, transitaires, avec mon expérience à l’internationale… Le fruit d’ailleurs du Conseil supérieur de l’exportation de 1997 qui voulait entre autres former des gens pour devenir des exportateurs. 

Un parcours qui vous amène à la tête de Conect. Comment et pourquoi avoir rejoint cette organisation au départ ? 

Sans doute en raison de mes origines kerkenniennes, je me retrouve à l’Utica, le patronat historique, où j’ai été élu au bureau exécutif des SCI . Je faisais partie de la branche des jeunes un peu révolutionnaire qui voulait faire bouger les choses mais dans cette organisation un peu vieillotte je ne trouvais pas ma place. Je démissionne. Madame Mounia Saidi, me contacte et me propose de rejoindre le bureau exécutif de CONECT Internationale qui était en phase de création. Après un premier mandat très actif, la quatrième année, lors des élections, je n’avais nullement l’intention de me présenter mais Mounia a insisté…

Quel est votre feuille de route en tant que président de Conect, une organisation qui s’est fait connaître après la révolution pour critiquer les décisions prises par les politiques mais aussi faire force de propositions… Dans le contexte de crise actuelle que connaît la Tunisie, quelles sont vos doléances ? 

CONECT a pour premier objectif d’essayer, dans cette période où nous assistons à des coups répétitifs contre l’investissement et l’export, de défendre les intérêts des opérateurs, exportateurs et autres, en relation avec les différentes chambres mixte de la place, de défendre les intérêts des membres et du secteur en général. Et il y a l’autre volet, capital, faire force de proposition en réalisant des études, sectorielles, par exemple sur le port de Radès, qui connait un problème de saturation.  

On organise également des missions économiques et diplomatiques mises en place par Conect internationale pour aider les opérateurs en Europe et Afrique. 

L’Afrique justement. Comment encourager vos membres à aller sur le continent décrocher de nouveaux marchés et comment les accompagnez-vous ?  

Récemment, nous avons effectué une mission en Mauritanie avec 43 hommes d’affaire. Une région qu’on ignorait , alors que c’est un marché naturel et prometteur. Avec des zones franches, ils viennent de découvrir le gaz, ils ont signé un partenariat avec le Sénégal… Il y a beaucoup de potentiel sur ce pays. Et ils sont assoiffés de transferts de compétence. Compte tenu du taux de chômage important en Tunisie, c’est un marché naturel pour les Tunisiens alors que ces personnes ont besoin de nos compétences. 

Quoiqu’il en soit la mission s’est traduite par la signature de trois accords. C’est un peu le rôle de Conect Internationale, l’État somnole c’est au privé de jouer ce rôle de diplomatie économique contrairement à l’état général de la population tunisienne, qui attend un miracle, ce qui est le résultat du discours politique populiste….

Invitez-vous également vos pairs à aller en dehors de votre zone « habituelle », autrement dit l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest. L’Afrique de l’Est par exemple connaît une certaine dynamique…

« On a perdu notre place de hub … Aujourd’hui le secteur privé doit prendre en main son destin. Mais pour cela le gouvernement doit nous laisser travailler ! »

Avant la Mauritanie, nous étions au Sénégal. Nous choisissons nos missions en fonction de la demande de nos membres. On réalise des enquêtes auprès de nos adhérents. Pour la Mauritanie, elle figurait parmi en tête des demandes, suivi du Sénégal, de la Côte d’Ivoire mais également le Kenya.

Il faut savoir que la Mauritanie a été le 1er pays à reconnaître l’indépendance de la Tunisie. 

Il y a un intérêt très poussé du gouvernement Tunisien qui compte beaucoup sur le transfert de compétence mais aussi sur l’aspect culturel, religieux , et je considère, notamment avec les difficultés actuelles sur le marché libyen, de même en Algérie, que la Mauritanie aujourd’hui offre des opportunités intéressantes. On a aussi été approché par le patronat maltais, où nous avons effectué une mission du 5 au 10 mai. On va suivre la même approche avec les Bulgares. On développe cette triangularisation Europe, Tunisie, Afrique. 

La Tunisie est en effet le hub naturel, mais elle est aujourd’hui challengé par le Maroc, l’Égypte… 

On a perdu notre place de hub … On est en train de perdre du terrain. Mais aujourd’hui le secteur privé doit prendre en main son destin. Mais pour cela le gouvernement doit nous laisser travailler ! Si l’on regarde la loi de finance de 2019, elle va à l’encontre des intérêts du secteur privé. Le coup fatale a été porté par loi de finance 2022…

Quelle est l’alternative pour la Tunisie ? 

II faut avoir les pieds sur terre. C’est vrai l’Afrique est une aubaine, mais aujourd’hui nous sommes à côté de la plaque. L’arme redoutable c’est la logistique. Comment avoir des résultats et profiter de cette opportunité sans une stratégie logistique. On va donc rester à la marge…  Aujourd’hui notre seule planche de salut, avec les Algériens, c’est d’essayer de profiter de cette voie Alger-Nouakchott. C’est le travail de CONECT. Grâce à une nouvelle génération de dirigeants et compte tenu des problèmes actuels. CONECT est bien positionnée pour faire ce travail. 

Découvrez le dernier ANAmag intitulé « Diaspora, une expertise à valoriser » conçu en partenariat avec Expertise France

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page