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Interview Diana Bangoura et Philippe Marchesin “Des points communs fondamentaux”

Dans “Les raisons d'une comparaison, Afrique-Russie” se livre à une analyse, jusqu’ici rarement abordée, des convergences entre la Russie et l’Afrique. Explications par les co-auteurs.

Pourquoi vous être lancé dans cette comparaison, rarement effectuée jusque-là, entre la Russie et l’Afrique ?

Après avoir vécu dans les espaces russophone et africain et avoir travaillé sur ces aires, il nous est apparu – c’est le point de départ du livre – qu’il y avait beaucoup de points communs fondamentaux entre la Russie et l’Afrique. Certes, ce sont les différences que l’on souligne généralement. C’est justement pour cette raison qu’il convenait de déplacer le curseur pour combler un angle mort de la comparaison politique.

On découvre en effet à la lecture de votre ouvrage des éléments de similitudes à la fois sur les plans sociologique mais également politique, économique, etc.

C’est justement ce qui est le plus frappant. Et ce sont des similitudes qui sont très importantes. Elles concernent des domaines aussi fondamentaux que l’État, l’économie, l’anthropologie, les régimes politiques, l’absence de véritable société civile, les valeurs qui sont généralement conservatrices mais aussi la prégnance du monde de l’invisible, l’importance de la corruption… jusqu’au système D, au goût du paraître ou au sens de la fête. La liste n’est pas limitative.

Si nous devions aller plus loin, d’après vos analyses, comment l’Afrique regarde la Russie et vice et versa ?

En réalité, les liens entre les deux ensembles ne sont pas si importants. Hormis le récent retour de la Russie en Afrique par l’intermédiaire de Wagner, les relations sont plutôt faibles. Cela est peut-être dû au fait que l’Afrique et la Russie sont relativement pauvres (le PNB de la Russie est équivalent à celui de l’Espagne, celui de l’Afrique à celui de la France). Les deux exportent avant tout des matières premières qu’elles ne transforment généralement pas, produisent peu de biens manufacturés, bref, sont peu complémentaires.

Dans le jeu des puissances qui se joue, se rejoue peut-on dire sur le continent, et à la lumière de vos travaux, comment analyser la situation actuelle alors que la Russie réaffirme sa présence sur le continent et qu’un nouveau rapprochement s’opère entre certains pays du continent et la Russie ?

Il ne faut pas exagérer ce mouvement. Nous sommes encore loin des relations qui existent entre l’Afrique et la Chine, l’Union européenne ou les Etats-Unis, même si les Etats africains ne se sentent plus aussi liés à tel ou tel camp, comme à l’époque de la Guerre froide, passant ainsi du non-alignement au « multi-alignement » ou pratiquant, selon le mot de Bertrand Badie, l’ « union libre ». Plusieurs pays africains francophones n’ont pas voté dans le même sens que la France aux Nations Unies au sujet de la guerre en Ukraine. Notre livre ne consiste d’ailleurs pas à étudier les relations entre les deux ensembles mais à souligner leurs points communs, ce qui peut expliquer que leurs rapports soient relativement faibles, ayant quasiment les mêmes choses à s’échanger.

Quelles leçons en tirer : qui se ressemble s’assemble “mieux” ?

C’est loin d’être évident. Et même si c’est paradoxal à première vue, on a noté que cela s’explique. Un peu dans le même sens, il est intéressant, pour terminer, de rappeler le message qui se trouve à la fin du livre. Les points communs entre les deux ensembles pourraient favoriser davantage de liens, notamment sur le plan militaire, ce qui ne nous semble pas une bonne chose, la Russie démontrant chaque jour, à travers les horreurs que l’on voit en Ukraine, qu’elle est devenue un État actuellement infréquentable. Il est temps pour la France, qui est l’une des victimes de ces rapprochements au Sahel, de changer sa politique de coopération pour attirer enfin la sympathie des Africains.

Les raisons d’une comparaison, Afrique-Russie, Philippe Marchesin, Diana Bangoura, L’harmattan.

Propos recueillis par DBM

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