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Interview Abdou Cissé, « Franc CFA : nous n’avons pas à sortir d’une monnaie qui nous appartient, nous avons juste besoin de flexibilité »

Abdou Cissé,  expert en actuariat et finance, spécialiste de la Bancassurance, directeur général du cabinet Cisco consulting (Conseil-Audit-Services en actuariat et finance) dédié spécifiquement aux évolutions des systèmes économiques et financiers du continent africain, revient sur le débat autour du Franc CFA. Avec une approche plutôt inhabituelle… Pour lui il s’agit avant tout de dépassionner le débat et de le porter sur la dimension internationale de la monnaie.

 Propos recueillis par Dounia Ben Mohamed

Ces derniers mois, le débat entre défenseurs et pourfendeurs du franc CFA fait rage. Même la presse française s’y est intéressée.  Le FCFA vit-il ses dernières heures ?

Il est vrai que le navire CFA a pris l’eau de toutes parts ces derniers temps. Voir la presse française critiquer les mécanismes de fonctionnement de notre monnaie, est une preuve qu’un temps est réellement révolu. Dans une vision multidimensionnelle, le franc CFA se situe entre ceux qui l’achètent pour survivre, ceux qui le brandissent comme arme de défense dans la guerre internationale des monnaies, ceux qui en font un vecteur générateur de devises à travers leur monnaie non convertible, ceux qui en profitent pour vivre au-dessus de leurs moyens et ceux qui l’ont conçu comme une courroie de transmission entre les économies d’Afrique subsaharienne et occidentales. Dans un tel pêle-mêle d’étalage du franc CFA, il sera difficile, voire même impossible de trouver un dénominateur commun à tous ces acteurs. 

Justement, pour vous, il s’agit désormais de dépassionner le débat. Quels sont les arguments en faveur du FCFA et vice-versa ?

De l’avis des pourfendeurs du CFA : un régime de change fixe relevant d’un autre temps, un système monétaire au profit de la France et des élites africaines, une politique monétaire restrictive (objectif d’inflation autour de 2% qui freine la dynamique économique), une monnaie trop forte. De l’avis des défenseurs du CFA : des arguments de pourfendeurs fondés sur aucune étude, une forte campagne de désinformation orchestrée autour de la monnaie, un franc CFA qui apporte une réelle stabilité monétaire dans la zone. Aujourd’hui, toute la polémique est centrée sur la dimension franco-africaine du franc CFA, alors que notre  monnaie reflète une deuxième dimension, internationale, qui nous impose la synthèse suivante : nous n’avons pas à sortir d’une monnaie qui nous appartient car nous achetons le CFA au Trésor français au même titre que la France achète l’euro à la Banque centrale européenne (BCE) et nous sommes les seuls (pays de la zone franc CFA) à acheter cette monnaie ; il n’est pas question de maintenir les fonctionnalités d’une monnaie qui ne profite pas au peuple africain ; le contexte économique mondial actuel est tel qu’il est préférable de réformer en profondeur les mécanismes du franc CFA (institutions et principes) et prendre le temps de maîtriser cette guerre des monnaies qui perturbe le commerce mondial.

Autrement dit, le FCFA appartient aux Africains, mais il faut en revoir les mécanismes ?

Pour réformer les principes il faudra d’abord recentrer le débat sur nos besoins en évitant le terrain de l’idéologie économique. Rappelons qu’à la fin de la seconde guerre mondiale, l’Occident était à reconstruire. En plus du plan Marshall, la France a bénéficié d’une réelle flexibilité monétaire pour développer ses infrastructures, ses industries, et financer sa politique sociale sans avoir besoin d’emprunter sur les marchés. La zone franc CFA n’a jamais bénéficié d’une telle flexibilité monétaire depuis les indépendances politiques. Ainsi, à l’échelle de l’arrimage, nous avons droit au même traitement qu’il faut capitaliser et réclamer. Ensuite, nous devrions porter un autre regard sur le mécanisme des comptes d’opérations, comme un système de réserves fractionnaires qui ne dit pas son nom. Dans un modèle où la BCEAO et la BEAC sont des banques commerciales et que le trésor français représente leur banque centrale, le dépôt de 50% de nos réserves de change que ce dernier nous impose, doit être comparé au dépôt de 1% que la BCE impose aux banques commerciales européennes. Il y a réellement une inégalité de traitement: le Trésor français conçoit que travailler avec les banques centrales africaines est six fois plus risqué que travailler avec les banques commerciales européennes. Quelles en sont les preuves ?  La France ne nous fait donc pas confiance, elle nourrit une réelle suspicion de mauvaise gestion économique et de mauvais crédit envers nous. Seulement, au regard de tous les évènements économiques et financiers des dix dernières années (crise boursière, bancaire, économique et des dettes souveraines) nous disposons de plusieurs arguments pour retourner cette suspicion vers le monde occidental et particulièrement vers la France.

Quelles réponses aux Africains qui appellent à la création d’une nouvelle monnaie ?

La monnaie est le reflet réel d’un prix pour l’économie de la zone associée. L’idée de créer une nouvelle monnaie est recevable car elle consiste exactement à élaborer un projet régional, visant à mettre un produit fini sur le marché mondial. En créant notre monnaie, nous allons ainsi réaliser un projet qui nécessite : une prise de conscience du peuple africain, qu’une zone monétaire doit être unique, indivisible et qu’une monnaie est un bien public générateur de liens sociaux et politiques ; une vision, une solidarité, un sens de la vérité, et une réelle conscience qu’on peut réussir ce projet ; une gestion en mode projet, tenant compte des contraintes de ressources, de budget et de temps ; un business modèle avec une étude de rentabilité très approfondie, tenant compte de tous les types de scénarios de catastrophes possibles, pour éviter de tomber dans le même piège que l’euro ; une souveraineté économique autour d’une convergence parfaite (monétaire, budgétaire, fiscale et sociale) ; une monnaie à deux étalons : le premier en interne basé sur un panier de matières premières et le deuxième à l’international basé sur l’or (pas exactement sur le modèle chinois mais mieux adapté à nos réalités africaines) ; une acceptation d’énormes sacrifices en début de projet, car les autres ne nous laisserons pas les manettes ; un appel continuel à la communauté internationale pour la convergence vers une stabilité monétaire (pourquoi pas le retour à l’étalon-or) ? Il faudra aussi éviter de faire les mêmes erreurs que les Européens avec l’euro : l’absence de référentiel commun en début de construction et l’absence d’institutions capables d’arbitrer les déséquilibres futurs sont à  la source de tous les problèmes de la monnaie unique européenne. Le temps de réunir toutes ces conditions nécessaires à la réussite d’un projet de création d’une monnaie africaine, la zone franc CFA doit opter pour une réforme en profondeur de ses mécanismes de fonctionnement pour accéder à plus de flexibilité monétaire et pour répondre à nos besoins régaliens et sociaux conformément à nos réalités africaines.

Pour conclure, pour en finir avec la polémique, que préconisez-vous à court terme ?

Le franc CFA est au cœur de nos activités : pour que le peuple africain puisse en profiter, il est nécessaire d’inviter nos partenaires français à un débat bilatéral autour de la flexibilité monétaire qui est vitale pour la zone. Depuis le début des indépendances, l’Afrique subsaharienne n’a pas encore entamé une réelle construction parce qu’elle ne bénéficie pas de flexibilité monétaire. Le franc CFA étant arrimé à l’Euro, nous avons droit à tout type de flexibilité monétaire accordée à la zone euro et particulièrement à la France. Pour relancer leurs économies, les banques centrales des grandes puissances occidentales se sont lancées durablement dans des politiques de taux d’intérêt bas et d’assouplissement monétaire quantitatif (« Quantitative Easing » ou QE) – nous devons réclamer le droit aux mêmes politiques monétaires pour nos économies.


 Auteur : Dounia Ben Mohamed // Photo : Abdou Cissé © Abdou Cissé
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