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Intelligence artificielle : l’Afrique prend les commandes de sa révolution numérique

Smart Africa et une large coalition d’acteurs publics, privés et académiques africains réunis à Transform Africa Summit_ dont la 7eme édition, la première en Afrique francophone, s’est tenue du 12 au 14 novembre à Conakry_, réaffirment leur ambition : développer une intelligence artificielle conçue pour l’Afrique, inclusive, multilingue et alignée sur les priorités socio-économiques du continent.

Reportage par Dounia Ben Mohamed, à ConakryImages Emmanuel Millimono

 L’Afrique est à l’aube d’une transformation numérique majeure avec l’émergence d’une intelligence artificielle adaptée à ses réalités. L’objectif est clair : créer une IA qui soit accessible à tous, respectueuse des langues et cultures locales, et capable de résoudre les défis africains dans l’éducation, la santé, l’agriculture ou encore l’inclusion financière.

Selon un rapport de l’Union africaine et de la Banque Africaine de Développement, le marché de l’IA en Afrique pourrait générer près de 20 milliards de dollars d’ici 2030, avec une croissance annuelle de 25 % dans les secteurs fintech, e-santé et smart cities.

Le Transform Africa Summit, dont la première édition, la première en Afrique francophone,  s’est tenue du 12 au 14 novembre à Conakry, a servi de plateforme stratégique pour concrétiser cette vision. Lors de cette édition, dédiée à l’intelligence artificielle africaine, gouvernements, entreprises et institutions académiques ont échangé sur les priorités du continent, les initiatives innovantes et les moyens d’assurer que l’IA soit inclusive, adaptée aux besoins locaux et vectrice de développement dans tous les secteurs clés.

L’IA pour l’Afrique est un égaliseur. Même dans les zones rurales ou parmi les populations non scolarisées, elle peut permettre à chacun de participer activement au développement économique et social

« L’IA pour l’Afrique est un égaliseur. Même dans les zones rurales ou parmi les populations non scolarisées, elle peut permettre à chacun de participer activement au développement économique et social » souligne Lacina Koné, Directeur Général de Smart Africa. Il explique que l’adaptation aux langues locales, comme le wolof, le berbère ou l’arabe, permet de toucher des millions de personnes jusqu’alors exclues des outils numériques. Les grandes langues africaines doivent ainsi devenir des vecteurs d’inclusion numérique, et non des barrières.

Dans l’éducation, l’IA offre des perspectives inédites. Des agents numériques personnalisés peuvent fournir aux étudiants un suivi adapté, même à distance, et faciliter l’accès aux connaissances pour des populations éloignées des centres scolaires. Dans la santé, des systèmes de diagnostic assisté par IA peuvent analyser rapidement des données pour identifier des anomalies et orienter vers un suivi médical adéquat. L’économie bénéficie aussi de cette transformation : des plateformes numériques permettent aux entrepreneurs, notamment des femmes en milieu rural, de créer, vendre et gérer leurs activités tout en restant connectés à un marché global.

A condition de mettre en place l’écosystème favorable à l’émergence de cette IA made in Africa.

La Guinée, pays hôte de TAS2025, figure parmi les pays à avoir adopté une stratégie dédiée au développement de l’IA. En s’attaquant à la base : le pays forme actuellement 1 500 femmes dans des centres d’apprentissage numérique, leur donnant les compétences pour créer de la valeur depuis leur domicile.

Rose Pola Pricemou, ministre guinéenne des Télécoms et de l’Économie numérique, a souligné que le numérique constitue une infrastructure transversale qui soutient tous les secteurs : « Que ce soit l’énergie, l’éducation, l’industrie ou la santé, le numérique doit porter chaque secteur ». En Guinée, cela se traduit par des investissements massifs : création de technopoles, formation de centaines de femmes rurales, développement de centres d’apprentissage numérique, réforme du cadre juridique (protection des données, incitations fiscales).

Nos étudiants doivent devenir créateurs d’IA et non simples consommateurs

La formation joue un rôle clé dans cette stratégie. Des universités comme Carnegie Mellon Africa ou l’Université Virtuelle Africaine forment des étudiants venus de plus de vingt pays à devenir des experts de l’IA. Selon Conrad Tucker (CMU-Africa), « nous ne voulons pas seulement des consommateurs d’IA, mais des créateurs : des ingénieurs capables de concevoir des algorithmes, de gérer les datasets et de bâtir une IA adaptée à l’Afrique ». Cette expertise technique est cruciale pour garantir que les modèles d’IA reflètent les valeurs, les cultures et les priorités africaines. L’approche éducative vise à former des talents capables de répondre aux besoins locaux tout en contribuant à l’écosystème mondial de l’IA poursuit-il.

Le développement d’une IA africaine nécessite également des infrastructures solides et des écosystèmes réglementaires adaptés. Les initiatives comme le Smart Africa Data Exchange Platform (SADX), testé au Bénin, au Ghana et au Rwanda, permettent la vérification d’identité numérique et l’interopérabilité transfrontalière, posant les bases d’un marché numérique unifié.

Mettre en place les piliers de la souveraineté technologique

Les défis restent cependant nombreux : l’accès à Internet, le coût de la connectivité, la protection des données et la constitution de datasets africains représentatifs sont essentiels pour assurer la souveraineté technologique.

L’une des dimensions les plus stratégiques évoquées au sommet est la souveraineté numérique. Il ne s’agit pas seulement d’utiliser l’IA, mais de la produire localement : créer des datasets africains, former des talents, héberger les données sur le continent. « Nous devons préserver nos langues, nos valeurs, notre culture », insiste Koné. Cette souveraineté passe aussi par la coopération continentale : les technologies émergentes, y compris l’IA, doivent renforcer la convergence africaine plutôt que creuser les divisions.

A ce titre, le lancement de Telemo, la plateforme dédiée aux marchés publics, fruit d’une collaboration avec le Rwanda.

De même le partenariat entre Smart Africa et YouthConnekt Africa, signé lors du sommet, illustre la volonté de mobiliser la jeunesse dans la transformation numérique. Mentorat, programmes d’innovation et d’entrepreneuriat, participation active à l’économie digitale : autant d’initiatives destinées à créer une génération capable de piloter l’IA africaine de demain.

L’IA n’est pas seulement une révolution technologique, c’est un catalyseur pour accélérer nos transformations numériques et inclure chaque Africain dans le développement du continent

Aujourd’hui, cette ambition repose sur un socle solide. Smart Africa, organisation panafricaine créée en 2013 et opérationnelle depuis 2016, coordonne 42 États membres et représente près de 1,2 milliard de personnes. L’Alliance a piloté plus de 18 projets continentaux sur les technologies émergentes, allant des infrastructures numériques à la cybersécurité, en passant par l’éducation et le renforcement des capacités. Comme le souligne Lacina Koné : « L’IA n’est pas seulement une révolution technologique, c’est un catalyseur pour accélérer nos transformations numériques et inclure chaque Africain dans le développement du continent. »

Alors que la prochaine de Transform Africa Summit est déjà en préparation, une conviction s’impose : l’Afrique ne veut plus être spectatrice de la révolution de l’intelligence artificielle. Elle veut en devenir l’un des moteurs, en s’appuyant sur ses talents, ses besoins, ses langues, et sa propre vision du futur.

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