Après avoir perdu son positionnement de plateforme privilégiée des investissements européens, pour cause de crises, au profit du Maroc, la Tunisie est venue reconquérir son titre… à Casablanca !
L’opportunité de la quatrième édition du Forum Afrique Développement, co-organisé par Attijariwafabank et Maroc Export, a été saisie pour organiser des conférences « présentations pays ». Une occasion pour les délégations présentes de « vendre » leur destination auprès des investisseurs. Ainsi, aux côtés de la Côte d’Ivoire, du Togo, de la RD Congo ou encore du Sénégal, la Tunisie, jusque là peu présente dans ce type de manifestation, s’est prêtée au jeu. L’enjeu étant de taille : Reconquérir son positionnement de plateforme privilégiée des investissements européens perdu, en raison de la déstabilisation socio-politique consécutive à la révolution de 2011, au profit du Maroc. Et c’est Wided Bouchamaoui, présidente de l’Utica, patronat tunisien, récemment sacrée prix Nobel de la paix avec ses acolytes du Quartet, qui a mené la délégation… et le plaidoyer.
« On peut s’inspirer de l’expérience marocaine »
« C’est vrai que la Tunisie a connu des moments très difficiles, on apprend la démocratie, admet la patronne des patrons tunisiens. Nous n’avons pas eu l’occasion de nous occuper de l’économie parce qu’il y avait d’autres priorités. Et pour être franche avec vous, il nous reste beaucoup de challenges ; le gouvernement doit accélérer le processus de réformes pour que la Tunisie reste compétitive. Elle doit aussi aller vers de nouveaux marchés. Même si son premier partenaire reste l’Europe, un partenariat à conserver et à renforcer, elle doit aussi être plus présente en Afrique. Il y a des initiatives privées, aujourd’hui il faut les accompagner. On peut s’inspirer de l’expérience marocaine », insiste Wided Bouchamaoui.
Un modèle… mais également un sérieux concurrent, qui au fil de ses dernières années, s’est imposé comme le hub de investissements européens pour l’Afrique. « Pourquoi la Tunisie est présente à ce forum ? Pour trois raisons, indique Khalil Laabidi, directeur de l’Agence de promotion de l’investissement extérieur tunisien (FIPA). La première, la Tunisie est un pays essentiellement africain. La deuxième, la Tunisie est un pays ouvert. Une ouverture qui n’est pas récente : le premier port, le port unique de Carthage, date de 870 avant JC. La troisième, la Tunisie se veut un hub régional ». Une place précisément disputée par le Maroc, l’Egypte également qui annonce le retour « des Pharaons » sur le continent. « Avec le Maroc, il y a en effet une forme de concurrence, mais nous avons des positions géographiques différentes et des possibilités d’accueil complémentaires. Alors pourquoi pas une coopération nord-africaine avec l’Afrique subsaharienne, ensuite on partira vers une coopération verticale, Afrique-Méditerranée-Europe ». Pourquoi pas, en effet.
5% de croissance d’ici 2020
En attendant, reste à rassurer quant à la destination Tunisie fragilisée par l’actualité récente. « A travers le plan de développement Tunisie 2016-2020, qui sera prochainement soumis à l’Assemblée, décliné par des projets structurants, la Tunisie vise un certain nombre d’objectifs, poursuit Khalid Laabidi. Le positionnement de la Tunisie comme hub régional, l’inclusion sociale, le développement régional, la baisse du chômage et les 5% de croissance ». Sachant qu’au cours de ces dernières années, malgré un contexte difficile, l’économie tunisienne a révélé sa résilience avec une croissance moyenne autour de 1,5%. « Globalement, il s’agit de changer de modèle économique en passant d’une économie low coast à une économie intégrée, tournée vers l’économie mondiale ».
Une position géostratégique, un vivier de talents, des infrastructures…
Le pays connaît déjà une reprise de l’investissement étranger de plus de 22%, avec 3220 entreprises, totalisant 19 146 MTND, et 350 000 emplois. Car la Tunisie ne manque pas d’atouts, à commencer par une position géostratégique, à une heure de l’Europe et à 3 heures de la plupart des villes du Moyen-Orient. Ainsi que des accords de partenariats privilégiés avec le l’Union Européenne, un certain nombre de pays arabe ainsi que la Turquie. Soit l’accès, via la plateforme tunisienne, à un marché de 800 millions de consommateurs. « La Tunisie, c’est également un vivier de talents, souligne le DG du FIPA. Depuis son indépendance, la Tunisie a investi dans l’éducation et le résultat est un taux de scolarisation de l’ordre de 99% ». Avec près de 6000 ingénieurs diplômés chaque année. Troisième atout, ses infrastructures dont 9 aéroports internationaux, 7 ports, des réseaux routiers et autoroutes, des zones industrielles, 15 cyber parcs, etc. Enfin, les mesures d’incitation fiscale. Et de souligner : « Le rapport Doing Business 2016 classe la Tunisie à la 74e position parmi 189 pays, la plaçant en tête des pays maghrébins ».
« Chaque avion dans le monde compte au moins une composante fabriquée en Tunisie ! »
Pour rester dans les classements, la Tunisie est également le premier exportateur mondial de dattes et d’huile d’olive, (2014/2015), le 2e pays exportateur d’Afrique de produits biologiques ; 2e producteur africain de composants automobiles ; le 7e producteur mondial de phosphates et de triple superphosphate ; le 8e fournisseur de l’Union Européenne en produits d’habillement, le 8ème pays accrédité en tant qu’exportateur de produits biologiques sur le marché UE. « Chaque avion dans le monde compte au moins une composante fabriquée en Tunisie ! » Des réformes en cours doivent encourager les IDE. « La loi sur les énergies renouvelables vient d’être votée pour encourager les investissements, on attend le décret d’application. D’autres sont attendues dans le secteur de l’environnement, du tourisme, de la logistique, des infrastructures et du secteur financier. Des réformes vers lesquelles pousse la présidente de l’Utica. « S’il est vrai que nous avons une position géographique stratégique, un vivier de talents, nous avons encore beaucoup d’efforts à fournir. Mais nous y arriverons. Nous avons fait cette révolution tout seuls, nous construisons cette démocratie seuls, et nous mènerons également cette révolution économique seuls. » Par contre, la Tunisie attend de « ses partenaires européens et en particulier de la France », indique Wided Bouchamaoui, « des actions concrètes » sur l’épineux dossier libyen, principale source de déstabilisation de la Tunisie voisine. « Tous ont salué notre jeune démocratie, mais nous subissons la situation libyenne. La communauté internationale est intervenue seule en Libye et la Tunisie, aujourd’hui, est en train de payer la facture toute seule. Si on réussit, toute la région va réussir, mais si on échoue, ce sera un échec non seulement pour toute la région, mais aussi pour l’Europe ».