Gilets jaunes « Des revendications qui font écho à celles exprimées en Afrique »
Le mouvement des gilets jaunes qui est né en France en novembre 2018 contre la hausse des prix du carburant, la baisse du pouvoir d’achat et l‘appauvrissement de la classe moyenne, a été très suivi en Afrique où il interpelle alors que plusieurs pays du continent connaissent eux aussi des tensions sociales majeures.
Par Assanatou Baldé
Les gilets jaunes n’ont pas seulement attiré l’attention en France mais aussi en Afrique, où le mouvement est scruté de près depuis ses débuts. Observateurs, experts, penseurs, journalistes, internautes, chacun y est allé de son commentaire. Pour le blogueur sénégalais très influent Charles Sanchez, « vu d’ici c’est un peu surprenant parce qu’on ne voyait pas le mouvement venir. La France est tellement présente en Afrique francophone notamment en termes d’influence décisionnelle, qu’on lui reproche tous nos maux. Macron dès qu’il a été élu n’a pas cessé de donner des leçons aux Africains d’abord sur la natalité puis sur le besoin de mieux encadrer la jeunesse africaine alors le voir dans cette impasse c’est à la fois ridicule et triste ».
« Ça fait au moins 150 ans que les Africains demandent plus de justice sociale »
Selon le jeune blogueur, « pour maintenir leur soft power certains leaders des pays développés sont tellement présents sur la scène internationale qu’ils en oublient de régler leurs problèmes économiques internes ». Néanmoins « il est solidaire des gilets jaunes parce que comme l’a rappelé Aminata Dramane Traoré ça fait au moins 150 ans que les Africains demandent plus de justice sociale. Aujourd’hui, la mondialisation réduit les distances, le global s’ancre au local. Les Africains sont connectés comme jamais, ils suivent ce qui se passe ailleurs. C’est la nouveauté. Les gilets jaunes apportent donc une perspective de démystification de la puissance française. Et c’est un paradigme intéressant dans nos rapports avec la France ». En fait l’ironie du sort est que « la France parade en Afrique mais sa population manifeste pour exiger de meilleures conditions de vie », conclut-il.
« Une démystification de la puissance française »
En Algérie, le journaliste Hamza Mehassouel, estime, pour sa part, « qu’on découvre grâce à ce mouvement le vrai visage de la France, ou une majorité de la population a laissé éclater sa colère face à ses responsables politiques, et tout cela est bien loin du pays parfait que s’imagine la jeunesse africaine ». Pour beaucoup en Algérie, insiste le journaliste, « ce n’est que le juste retour du bâton pour la France, qui a semé le chaos en Libye et trompé depuis des décennies son peuple au déprimant des africains, elle ne récolte en réalité que ce quelle a semé car les gilets jaunes sont le résultat de la défaillance des responsables politiques français au plan national et international ».
« Le continent n’est pas encore prêt pour un tel mouvement tant qu’il y aura une élite structurée en classe sociale et un peuple nourri aux fantasmes de la politique identitaire »
Du côté de la diaspora africaine, on reste sceptique sur le mouvement. Pour Ali Soumaré, conseiller régional d’Ile de France, « les gilets jaunes ne peuvent pas revendiquer tout et son contraire comme payer moins d’impôts et avoir une meilleure qualité de transport ». Bien que l’élu admet que leurs revendications sont légitimes, « ils doivent selon lui mettre en avant des priorités qui sont la santé et l’éducation, essentiels au bon fonctionnement d’une nation ». Par ailleurs, Ali Soumaré s’étonne de voir qu’au Mali, d’où il revient, des grèves ont lieu dans de nombreux secteurs pour la revalorisation des salaires, des revendications qui font écho à celles des gilets jaunes.
Toutefois, certains penseurs comme l’historien Camerounais Achille Mbembe, dans une Tribune diffusée dans Le Monde Afrique, le 18 décembre, intitulée « Pourquoi il n’y aura pas de gilets jaune en Afrique », estime que « le continent n’est pas encore prêt pour un tel mouvement tant qu’il y aura une élite structurée en classe sociale et un peuple nourri aux fantasmes de la politique identitaire ».
De son côté, Mireille Mouélé, originaire du Cameroun qui s’était présentée à la présidence de l’UMP, constate que le mouvement des gilets jaunes est loin d’être la préoccupation des jeunes notamment issus de la diaspora, qui sont de plus en plus tournés vers le continent. « Qu’est-ce que ce mouvement peut leur apporter, quand on sait qu’en France il n’y a pas d’argent. Aujourd’hui la jeunesse africaine se lance dans l’entreprenariat. Elle ne veut pas bâtir son avenir sur les legs du passé parce qu’elle est lucide, formée en Europe, éveillée et consciente, grâce notamment à l’information en continue diffusée sur les réseaux sociaux ». Une pensée qui va dans le même sens que celle de l’écrivaine Sénégalaise Aminata Sow Fall, qui assure que « l’eldorado est en Afrique et pas ailleurs, à condition de le bâtir à l’endroit même où l’on vit ». Les gilets jaunes auront eu ainsi, sans doute malgré eux, de révéler à une jeunesse africaine en quête d’exil, que la France est loin d’être l’eldorado qu’ils imaginent…