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Gestion publique : l’Afrique adopte le pointage biométrique des fonctionnaires

Pour lutter contre l’absentéisme chronique des agents publics qui perçoivent indûment les salaires, des pays du continent ont choisi d’installer des pointeurs biométriques dans les administrations publiques.

L’Ouganda et le Kenya sont les plus récents à opter pour le pointage biométrique des fonctionnaires. Les autorités de ces deux pays d’Afrique de l’Est excipent de « l’absentéisme chronique des fonctionnaires, un mal qui mine beaucoup d’institutions en Afrique subsaharienne ». En 2010, la Banque mondiale tirait déjà la sonnette d’alarme. Dans un « exposé fondé sur les indicateurs du développement en Afrique », l’institution financière notait que « dans le secteur de l’éducation par exemple, l’absentéisme des instituteurs est de 15 à 25 % dans certains pays africains ».

En République démocratique du Congo (RDC), pour réduire le taux d’absentéisme des enseignants, en août 2022, les établissements primaires et secondaires avaient été dotés des lecteurs de cartes biométriques. Leur absentéisme, selon le gouvernement de la RDC, est l’une des causes de la baisse du niveau des élèves ces dernières années.

« En 2012, selon le PNUD, au Bénin, avec une digitalisation élargie des services, les fonctionnaires ne s’absentent plus pour suivre leurs dossiers financiers« 

Le constat dans l’enseignement s’étend aux autres administrations. En 2012, soit deux ans après les constats de la Banque mondiale, le Bénin, une étude commanditée par le Programme des nations unies pour le développement (PNUD) relevait que « l’absentéisme et les retards font des ravages dans l’administration et coûtent à l’État ». Le PNUD chiffrait ces « ravages » à environ 70 milliards de FCFA par an. Du coup, le gouvernement opte, à travers le ministère de la Réforme administrative et institutionnelle, pour une solution biométrique afin de contrer le phénomène. Dix ans plus tard, la digitalisation s’est étendue à un panier plus large d’offres de service. Empêchant les fonctionnaires d’invoquer le suivi de leurs dossiers financiers pour justifier leurs absences.

Lire aussi : Public administration : Africa adopts biometric clocking of civil servants

Le gouvernement gambien s’est également engagé dans le contrôle biométrique des présences des fonctionnaires. Une note du ministère de la Fonction publique, des Réformes administratives, de la Coordination des politiques et de l’Exécution instruit qu’« à la place des cartes d’identités, soit installé un système de pointage électronique biométrique dont les données devront être imprimées chaque semaine et transmises mensuellement au secrétaire général et chef de la fonction publique ». Une instruction que tous les ministères, départements et agences (MDA) devaient appliquer à la fin février 2023. Et qui permet de réduire l’énorme masse salariale due à ces travailleurs fantômes.

« Au Cameroun, l’opération de comptage physique du personnel a révélé 5 000 fonctionnaires fictifs par mois pour 2,74 milliards de FCFA d’économie« 

Comme au Cameroun. Lancée en 2018 par le ministère des Finances, l’opération de comptage physique du personnel de l’Etat (COPPE) a démasqué chaque mois environ 5 000 fonctionnaires fictifs pour une économie de 2,74 milliards de FCFA (environ 4.4 millions de dollars). Par ailleurs, en mai 2022, 18,6 milliards de FCFA (quelque 30 millions de dollars) a été recouvrés dans les comptes bancaires des salariés de l’État décédés, toujours selon le ministère des Finances. Qui révèle qu’entre janvier 2019 et février 2022, le Trésor a ainsi réalisé des économies budgétaires de 140,3 milliards de FCFA (environ 228 millions de dollars), tandis que le gouvernement avait prononcé 5 181 cas de suspension pour faux actes.

Du coup, en 2019, le ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative, Joseph LE, a opté, pour l’installation d’un terminal biométrique qui enregistre toutes les entrées et les sorties du personnel de son ministère. En attendant d’étendre la mesure aux autres administrations publiques, comme l’annonçait alors le ministre, « il est envisagé des contrôles inopinés pour mettre en position d’absence irrégulière les absentéistes, de les suspendre de solde et de les traduire devant le Conseil permanent de discipline ».

« En Afrique, la biométrie bute sur le faible accès à l’électricité, l’absence d’un cadre législatif et réglementaire et les incertitudes sur la sécurité des données« 

Cependant, des obstacles se dressent sur le chemin du pointage biométrique des fonctionnaires en Afrique. Au premier rang desquels, et selon Laurice Serge Eteki Eloundou, expert en gouvernance et développement économique, « le faible accès à l’électricité d’une bonne partie des populations en Afrique. Il constitue un frein à une meilleure utilisation des systèmes biométriques dans les services publics ». Celui qui est également expert en innovation décrie « un déficit énergétique de plus en plus criard même dans certaines grandes capitales africaines ». Mais, souligne-t-il, « les chiffres de la BAD (taux d’accès à l’électricité sur le continent de 42% en 2015 à 54% en 2019) portent à l’optimisme pour le pointage biométrique des fonctionnaires en zones rurales où l’absentéisme est endémique ».

La solution passe également par « les énergies renouvelables, l’Afrique ayant un potentiel qui ne demande qu’à être exploité ».

Ensuite, souligne Laurice Serge Eteki Eloundou, « le cadre législatif et réglementaire dans plusieurs pays n’est pas adapté à l’enregistrement biométrique du fait de leur complexité. Dans certains pays africains, ces lois n’existent pas ». Par ailleurs, la protection solide de la vie privée et de la sécurité des données constitue un double défi à relever pour l’adoption généralisée de la biométrie en Afrique et l’exploitation de cette biométrie pour le plus grand bénéfice social. « Seuls 24 pays africains ont adopté des lois et des règlements pour protéger les données personnelles. Ce qui constitue un facteur bloquant pour l’adoption de la biométrie en Afrique », conclut l’expert en innovation.

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