Gaming africain : du jeu à l’enjeu
Du Maroc au Cameroun, en passant par le Sénégal ou l’Afrique du Sud, l’industrie vidéoludique africaine trace sa route. Portée par une jeunesse connectée et des studios émergents, elle doit encore surmonter de nombreux obstacles pour s’imposer.

Par Bylkiss Mentari
Du 2 au 6 juillet 2025, Rabat a accueilli la deuxième édition du Morocco Gaming Expo. Pendant cinq jours, la capitale marocaine est devenue un point de convergence pour les acteurs du jeu vidéo venus d’Afrique, d’Europe et d’Asie. L’événement, organisé par le ministère marocain de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, a réuni développeurs, éditeurs, influenceurs, institutions et joueurs autour de conférences, compétitions e-sport, démonstrations technologiques et rencontres professionnelles.
Parmi les invités marquants figurait Yoshiki Okamoto, légende japonaise du secteur, créateur de franchises emblématiques telles que Street Fighter ou Resident Evil. Sa présence a souligné l’ouverture croissante de l’industrie mondiale au potentiel africain. Mais au-delà de l’effervescence du salon, c’est surtout l’occasion qu’il a offerte de faire un état des lieux d’une industrie vidéoludique africaine en pleine mutation qui a retenu l’attention.
Plus plus d’un milliard de dollars de chiffre d’affaires en 2024
Longtemps considérée comme marginale, l’Afrique du jeu vidéo est aujourd’hui l’un des marchés les plus dynamiques du Sud global. En 2024, le secteur sur le continent a généré plus d’un milliard de dollars de chiffre d’affaires, contre 862 millions en 2022, selon plusieurs estimations croisées. La croissance s’est appuyée en grande partie sur l’explosion du jeu mobile, accessible même dans des zones aux infrastructures limitées. En Afrique subsaharienne, le nombre de joueurs est passé de 77 millions en 2015 à plus de 186 millions en 2021.
Pourtant, ces chiffres impressionnants masquent une réalité plus contrastée. Le marché reste largement dominé par les jeux importés. Plus de la moitié des joueurs interrogés n’avaient jamais joué à un jeu développé sur le continent, révélant un déficit de production locale. Les studios africains, souvent jeunes et sous-financés, peinent à rivaliser en termes de moyens, de distribution et de visibilité.
Certains pionniers parviennent malgré tout à tirer leur épingle du jeu. Le studio camerounais Kiro’o Games, fondé par Olivier Madiba, a ouvert la voie avec Aurion, premier jeu inspiré de la culture africaine publié en 2016. Aujourd’hui, son équipe prépare un nouveau titre, Le Responsable Mboa, qui suscite de grandes attentes. Au Sénégal, le studio Kayfo multiplie les projets ancrés dans la réalité ouest-africaine, avec une volonté affirmée de parler aux jeunes du continent. « Les marchés occidentaux et asiatiques sont un peu saturés. Ici, nous en sommes au tout début, mais le potentiel est là », a estimé Julien Herbin, fondateur de Kayfo, dans un entretien avec Le Monde.
Bâtir une industrie capable de créer des emplois qualifiés, de générer de la valeur et de renforcer l’autonomie numérique du continent
L’enjeu est donc autant économique que culturel. Il s’agit de créer des récits, des héros et des mécaniques de jeu qui parlent aux publics africains, tout en bâtissant une industrie capable de créer des emplois qualifiés, de générer de la valeur et de renforcer l’autonomie numérique du continent. « Il faudrait faire plus de marketing. Mais dans la plupart de nos pays, nous n’avons pas d’aide publique à la création. Le financement est souvent le premier frein », déplorait récemment Olivier Madiba.
Des initiatives émergent toutefois pour structurer l’écosystème. Au Maroc, Rabat Gaming City entend devenir un cluster régional, en accueillant studios, incubateurs, écoles de formation et infrastructures e-sport. En Afrique du Sud, au Nigeria, au Kenya ou encore en Tunisie, des programmes publics et privés commencent à soutenir les développeurs locaux. L’intégration du jeu vidéo dans les stratégies nationales d’économie numérique devient peu à peu une réalité.
Le Morocco Gaming Expo a offert une vitrine continentale à ces efforts. En rassemblant des acteurs venus de tout le continent et au-delà, l’événement a mis en lumière une génération de créateurs décidés à faire du jeu vidéo un levier d’innovation, d’expression et de développement. Reste à consolider les acquis : renforcer la formation, garantir l’accès à des financements durables, assurer la protection des créations, et bâtir des canaux de distribution adaptés aux réalités africaines.
L’Afrique du jeu vidéo avance, portée par sa jeunesse, sa créativité et un appétit croissant pour les expériences numériques. Elle ne manque ni de talents, ni d’idées. Ce qui lui reste à conquérir, c’est la capacité de transformer cette énergie en industrie pérenne, capable de rayonner au-delà de ses frontières.