Financement des PME : entre défis et opportunités
Les petites et moyennes entreprises (PME) jouent un rôle majeur dans les économies africaines, et plus largement dans les sociétés africaines. Représentant environ 90% du tissu économique, elles contribuent de manière significative à la création d'emplois et au développement économique des pays africains. Cependant, l'accès au financement est un obstacle majeur à la croissance des PME. De nouveaux mécanismes de financement, dédiés à ces PME africaines, se multiplient. Encore insuffisantes pour combler le déficit de financement estimé à plus de 300 milliards de dollars…

Par Dounia Ben Mohamed
C’est le deuxième obstacle le plus cité auquel les PME doivent faire face pour développer leurs activités. L’accès au financement. Selon une étude réalisée par Investisseurs & Partenaires, près de 40 % des PME africaines évoquent l’accès au financement comme une « contrainte majeure à leur croissance ». Selon des estimations de la Société Financière International (SFI), les petites et moyennes entreprises d’Afrique subsaharienne font face, chaque année, à un manque de financement de près de 330 milliards de dollars. À titre de comparaison, ce déficit s’élève à environ 1 200 milliards en Amérique latine et à 776 milliards de dollars en Europe.
Le gap se creuse davantage quand il s’agit de PME gérées par les femmes en Afrique subsaharienne : il serait de l’ordre de 42 milliards de dollars, toujours selon les données de la Société financière internationale (SFI).
Et si la question du financement des PME est devenue centrale, c’est en raison du poids que celles-ci représentent dans les économies africaines, plus largement au sein des sociétés africaines.
Les PME, au cœur du tissu économique en Afrique
Sur le continent africain, les PME représentent environ 90 % des entreprises ; elles créent entre 60 % et 80 % des emplois; et contribuent à hauteur de 40 % du PIB. En comparaison, les PME aux États-Unis ou en Europe comptent, respectivement, 53 % et 65 % des entreprises.
L’Afrique subsaharienne compte à elle seule 44 millions de micro, petites et moyennes entreprises, dont la quasi-totalité sont des micro. Les PME représentent ainsi un enjeu crucial dans la création d’emplois et la croissance économique.
Pour que ces entreprises puissent croître, créer davantage d’emplois et générer de la croissance économique, elles doivent avoir accès au capital.
Sauf que bon nombre de PME peinent à accéder aux financements indispensables à leur croissance – et ce malgré la prise de conscience de leur rôle économique clé par les gouvernements et les organisations internationales de développement.
L’une des principales difficultés est celle de l’accès aux sources de financement adaptées : seules 20 % des très petites et moyennes entreprises (TPME) bénéficient en effet d’un financement bancaire et une part encore très réduite des PME ont accès à des investisseurs. En zone subsaharienne, le déficit actuel de financement est ainsi estimé à 330 milliards de dollars. Les petites et moyennes entreprises africaines pâtissent également d’obstacles directement liés à leur nature, leur environnement économique ou leur activité : perçues comme plus risquées ; avec une gouvernance parfois défaillante ; ou ne possédant pas les fonds propres ou les garanties nécessaires pour attirer les investisseurs.
Résultat, 51 % de ces entreprises vitales ont besoin de financements supérieurs à ceux auxquels elles ont actuellement accès.
Un autre obstacle au financement des PME est la perception du risque qu’elles représentent. Une situation qui s’est compliquée avec la pandémie Covid 19 qui a causé d’immenses souffrances économiques en Afrique subsaharienne avec 115 milliards de dollars de pertes de production et une contraction attendue de 3,3 % du PIB. Les PME ont été particulièrement touchées par des chocs simultanés sur l’offre et la demande. Les crises qui ont suivi, la guerre en Ukraine, la hausse des prix du carburant, la perturbation des chaînes de valeur etc. ont particulièrement touchées les PME qui nécessitent une attention particulière, alors qu’elles sont considérées, à juste titre, comme un moteur de la reprise économique.

Une prise de conscience
De plus en plus conscients de l’enjeu stratégique que revêt le soutien aux PME, les Etats africains ont mis en place des programmes, dédiés, à ces dernières. La Côte d’Ivoire par exemple a créé un ministère, ainsi qu’un fonds, destiné à soutenir les PME; au Rwanda, elles font partie d’une stratégie (Rwanda SME Development Policy); au Nigéria, une nouvelle banque de développement entièrement dédiée au financement des PMES a été lancée…
De même, les partenaires au développement, ciblent les PME. Lors du sommet du G7, les institutions de financement du développement du G7, la SFI, la filiale de la Banque africaine de développement dédiée au secteur privé, la BERD et la Banque européenne d’investissement ont annoncé qu’elles s’engageaient à investir 80 milliards de dollars dans le secteur privé africain. Étalés sur cinq ans, ces investissements ont pour objectif de soutenir la relance économique du continent, qui a subi une récession historique en 2020 à cause de la pandémie de Covid-19. La France a également mis en place le programme Choose Africa lequel a été adapté aux besoins post-Covid : le dispositif a été porté à 3,5 milliards d’euros au lieu des 2,5 milliards prévus initialement sur la période 2018-2022.
Les institutions panafricaines tâchent également de répondre à la problématique. Sous l’impulsion de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), il a été mis en place un Dispositif de soutien au financement des Petites et Moyennes Entreprises/Petites et Moyennes Industries (PME/PMI) ou Dispositif PME dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA).
Des mécanismes jugés souvent “complexes”, “insuffisants” ou inadaptés par les principaux intéressés, les chefs d’entreprises.
Partenariat et innovation
« Moins d’un quart des TPE et PME accèdent effectivement à un prêt bancaire », rappelait en effet Léonce Yacé, Directeur général de NSIA Banque Côte d’Ivoire, pour le magazine français Entreprendre.fr.
Ce qui tient à la configuration particulière, à la fois des PME et des économies africaines. Dans ce contexte, établissements bancaires, organismes publics et institutions financières multiplient les initiatives, et les partenariats, pour imaginer des modèles innovants de financement, alors que les liquidités se font plus rares depuis la crise sanitaire.
Parmi lesquelles, celle initiée au printemps dernier par le Groupe Bank of Africa (BOA) et l’IFC afin de soutenir l’activité économique et la création d’emplois dans 10 pays d’Afrique subsaharienne. IFC investira 77 millions de dollars dans le mécanisme de partage des risques pour accroître les prêts de la BOA aux petites et moyennes entreprises (PME), y compris aux entreprises appartenant à des femmes, au Bénin, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Ghana, à Madagascar, au Mali, au Niger, au Sénégal, en Tanzanie et au Togo. L’investissement de l’IFC garantira 50% d’un portefeuille global de prêts pouvant aller jusqu’à 154 millions de dollars, l’équivalent, aux entreprises des secteurs de l’agriculture, du commerce, de l’énergie, de la construction et autres. Grâce à ce mécanisme, la BOA devrait accorder 12 000 nouveaux prêts, dont au moins 2 000 à des entreprises appartenant à des femmes, qui sont souvent confrontées à de plus grands obstacles pour accéder au financement. IFC fournira également des services de conseil pour aider BOA à renforcer son portefeuille de PME appartenant à des femmes dans ses filiales dans les dix pays.
Une initiative qui s’appuie sur un mécanisme de partage des risques multi-pays établi en 2018 par l’IFC avec la BOA, et le soutien du GSMEF, pour encourager la croissance des petites entreprises dans huit pays africains.
De même, Afreximbank et la China Development Bank ont signé, en août dernier, un prêt de 400 millions de dollars pour soutenir les PME africaines. Selon l’accord, le mécanisme, d’une durée de sept ans, sera déployé soit directement auprès des PME africaines éligibles qui répondent aux exigences d’Afreximbank, soit indirectement par l’intermédiaire d’intermédiaires financiers locaux.
Les innovations numériques également, par les modèles d’affaires innovants qu’elles permettent, apportent des solutions disruptives aux problèmes rencontrées par les PME africaines.
La lutte contre le changement climatique en Afrique, une opportunité pour les PME
En attendant, une autre opportunité se dessine pour les PME africaines : le changement climatique. La lutte contre le changement climatique en Afrique présente une opportunité d’investissement économique de 3 000 milliards de dollars sur le continent d’ici 2030. Le secteur privé en Afrique est essentiel pour s’adapter au changement climatique et l’atténuer. Cela est particulièrement vrai pour les PME, étant donné qu’elles constituent une part importante du secteur privé du continent. Aussi, celles qui s’orienteraient vers une croissance verte auraient accès à de nouvelles sources de financement, ainsi qu’à de nouveaux marchés.
Des initiatives à encourager et à multiplier, afin de promouvoir de nouveaux mécanismes de financement pour les PME, d’exploiter la technologie numérique, le commerce électronique et la blockchain, afin, in fine de promouvoir la création d’emplois et l’entrepreneuriat des jeunes. Car c’est finalement cela l’enjeu. D’ici 2035 à 2050, la Banque mondiale estime que près de 450 millions de jeunes Africains rejoindront le marché du travail.
Les PME sont essentielles pour répondre aux besoins de la population africaine en croissance rapide. Non seulement parce que ce sont elles qui vont créer ces nouveaux emplois mais également des opportunités économiques, le développement des compétences, et favoriser un développement économique inclusif et contribuer ainsi à la cohésion sociale.