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Fatou Ndiaye : “J’ai relancé l’industrie textile de mon village de Louga, pour combattre l’immigration illégale des jeunes” 

Franco-sénégalaise, Fatou Ndiaye a quitté l’automne dernier Paris et son poste d’ingénieur, pour son village natal de Louga au Sénégal. L’objectif : relancer Sotexka, rebaptisée Pitex, la principale usine de textile de la région. Redonner souffle à un secteur stratégique par la même occasion.

Par Merieme Alaoui 

C’est en découvrant un reportage sur les migrants à la dérive près de la Gare du Nord à Paris, que Fatou Ndiaye a eu le déclic. Accusés de trafic de crack, ils viendraient directement de Louga au Sénégal, un village à la frontière Mauritanie dont l’ingénieure parisienne est issue. “Comment ces jeunes se sont retrouvés dans cette misère à Paris ? J’étais révoltée, choquée, je ne voulais plus que l’on parle de nous, de mon village comme cela!” De retour sur ses terres, l’entrepreneure, passionnée de mode, à l’idée folle de reprendre l’usine de textile centrale de la région : la Sotexka, rebaptisée Pitex. Avec pour ambition de développer une plateforme industrielle du textile.  

Sans accompagnement, elle vend son appartement parisien et se lance avec des amis d’enfance dans l’aventure. Elle devient propriétaire d’une usine de trois hectares,  avec une salle de confection de 6000 M2. Autrefois, un des poumons économiques de ce village. Sa fermeture après plusieurs tentatives avortées de relance, fut une rude épreuve pour les habitants. A peine six mois après la reprise de Fatou Ndiaye, déjà 30 salariés s’affairent derrière leurs machines à coudre. Son obsession : relancer l’emploi et en créer de nouveaux. “Nous sommes victimes de trois fléaux : le chômage, l’immigration clandestine et le changement climatique, les terres ne donnent plus de rendement. J’ai relancé l’industrie textile de mon village de Louga, pour combattre l’immigration illégale des jeunes ”. 

“Nous recyclons les tissus, et comptons développer avec l’aide des maires, des champs solaires pour alimenter l’usine”

Celle qui a consacré des nuits entières à donner vie à ce projet, tout en assurant son poste d’ingénieur à Paris, a mené très jeune de grands combats. Née à Louga, elle est issue d’une tribu peule, promise comme la plupart des femmes de son village au mariage très jeune. « Mais moi je voulais étudier ! L’école était pour moi une façon de m’en sortir. Je devais être la meilleure ». Elle bénéficie d’une bourse d’état qui récompense les plus talentueux élèves du pays. Avec le bac, elle arrive en France par le haut, pour ses études supérieures et devient diplômée de l’école d’ingénieurs Cesi. Elle développe sa carrière dans les ressources humaines et le pilotage de la performance économique, sociale et commerciale. A la direction de l’Université RH du groupe SNCF, puis en pilotant la formation et le développement des compétences RSE et au poste de directrice adjointe du Lab SNCF Impact. 

Après des années de travail acharné, en quête de sens, elle veut donner vie à son envie d’entreprendre. En 2019, elle lance à Dakar Kopar Express, une entreprise de fintech de services (crowdfunding, paiements de factures, de recherches téléphoniques…). Avant de jeter son dévolu sur l’usine de textile de Louga. Pour réussir là où d’autres ont échoué, Fatou Ndiaye, l’écolo qui distribue sa carte de visite de façon digitale, a basé son projet sur un socle de valeurs. Elle défend un modèle socialement acceptable pour ne pas exploiter les salariés, avec des formations et un accompagnement. 

A l’origine de ce retour aux sources, un plan mûrement réfléchi, bâti sur trois points cardinaux. Pour que le projet soit économiquement viable, ne pas l’ouvrir dans un premier temps à l’extérieur mais viser d’abord les marchés locaux comme les uniformes de l’armée mais surtout les blouses et vêtements sportifs des écoliers. Dans ce cadre, elle a signé un partenariat stratégique avec les clubs de football locaux, pour habiller tous leurs sportifs. 

« Quand on parle d’industrie en Afrique, on pense aux géants comme Nestlé, Total mais c’est aussi ces petites structures qui naissent de rien”

Une façon aussi d’intégrer les villageois, pour que l’entreprise impacte socialement de manière positive son environnement. “Nous y croyons ! Il y a quelques semaines, une jeune femme a marché 15 km pour me déposer son CV !” Et pour finir, le projet doit incarner un modèle écologiquement soutenable. “Nous recyclons les tissus, et comptons développer avec l’aide des maires, des champs solaires pour alimenter l’usine”. Pour atteindre le potentiel de création de 40 000 emplois, Fatou Ndiaye ne manque pas d’ambitions ni d’idées. Une combinaison gagnante puisque son projet a obtenu le financement et l’accompagnement de l’Agence allemande de coopération internationale pour le développement, GIZ.

Le Sénégal a une longue tradition dans le textile à laquelle se réfère l’entrepreneure, plombée depuis des décennies par la concurrence chinoise. Les pieds sur terre, mais débordante d’ambition, Fatou Ndiaye a lancé sa propre marque de vêtements pour le sport : “Fitraining” (Fit qui veut dire courage en wolof). La fan de mode a aussi lancé “Awa”, marque de prêt-à-porter féminin, mixte entre traditionnel sénégalais et le working girl. Et de donner l’exemple d’un boubou avec une poche pour téléphone, à porter facilement au dessus d’un chemisier blanc. “Je me suis inspirée de mon mode de vie, de mes envies et de ma culture entre le Nord et le Sud” résume-t-elle, plus déterminée que jamais. 

« Quand on parle d’industrie en Afrique, on pense aux géants comme Nestlé, Total mais c’est aussi ces petites structures qui naissent de rien. Surtout d’une conviction, d’une motivation et de trois sous. Mais qui peuvent aller loin ! »

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