Exposition : Nyaba Ouédraogo à la rencontre de Mame Coumba Bang
Qui est Mame Coumba Bang ? Comment est-elle ? Est-il possible de la représenter ? Même un saint-louisien pure souche aurait toutes les peines du monde pour y répondre. Tout comme il serait impossible de dissocier un pan de son histoire avec Mame Coumba Bang. Pourtant c’est ce mystère que Nyaba Léon Ouédraogo a eu le culot, pardon le courage de percer. Avec délicatesse et subtilité, tact et agilité…avec un brin de mysticisme, son œuvre transperce le mystère.

Par la rédaction
Tout a démarré par une invitation de Philipe Mailfait, un collectionneur de Saint-Louis habitué à accueillir et à orienter des artistes en résidence. De là, Nyaba Léon Ouédraogo se lance dans une aventure, dans un mythe et/ou mystère que même les natifs de Saint-Louis peinent à percer. « Je me suis penché sur l’imaginaire qui entoure la figure de Mame Coumba Bang. J’ai investigué et j’ai effectué des recherches historiques et du travail de terrain sur les récits autour de cette divinité. Cela a nécessité deux ans de travail », dira-t-il. Comme pour donner le ton de ce qu’a été ce périple aussi agréable que riche en péripéties.

« J’ai échangé avec Samba, pêcheur de Guet N’dar que j’ai rencontré au bord de la mer et qui m’a servi de fixeur. Je suis allé dans sa maison de famille où j’ai été happé par les odeurs, le toucher et l’aspect visuel de la divinité. J’ai ressenti l’impact sensoriel de Mame Coumba Bang dans les intérieurs et l’intimité même des Saint-Louisiens. Samba m’a affirmé que tous les Saint-Louisiens étaient habités par Mame Coumba Bang. J’en ai conclu que Mame Coumba Bang était partout, et qu’Elle peut s’incarner en chacun d’entre eux. Mes rencontres à Saint-Louis m’ont aidées à reconsidérer l’analyse que je faisais sur Mame Coumba Bang : elle n’est pas seulement un génie de l’eau, c’est l’esprit de Saint-Louis ».
Je crois fermement qu’il existe une culture visuelle et un regard africains qui dépendent des formes, des courbes et de la lumière de notre continent

A travers sa narration, Nyaba laisse échapper un sentiment. Un sentiment d’avoir été conquis. « C’est une force envoûtante, une énergie qui nous transporte. Pour moi, Mame Coumba Bang n’est pas quelque chose de mystérieux mais plutôt quelque chose de mystique. Je crois fermement qu’il existe une culture visuelle et un regard africains qui dépendent des formes, des courbes et de la lumière de notre continent. Je défendrai cette idée jusqu’à ma mort, sans dictature intellectuelle, et pour raconter la photographie africaine en pleine mutation », laisse-t-il entendre.
La soixantaine sonnée et pourtant originaire de Saint-Louis, cette ville indissociable de Mame Coumba Bang, Jean Pierre Corréa, n’a rien pu contre son envie de savourer ce récit. « Depuis que j’ai posé et mon regard et ma délicate attention sur l’œuvre de Nyaba Léon Ouédraogo, telles des Madeleines de Proust, des sensations se sont mises à parcourir, tout en les ordonnant, les traces constitutives de ma mémoire que l’homme revendiqué cartésien que je suis a souvent chahutée, confronté aux récits de mes parents décontenancés par tant de défiances ironiques de ce Saint-Louisien «toubabisé » que je fus longtemps », se délecte, ce Ndar Ndar (nom donné aux originaires de Saint-Louis) pure souche.
Atypique, inclassable, furtif, fugitif, Nyaba est tout simplement insaisissable

Inspiration débordante, récit imagé et poignant, Hamady Bocoum se perd presque en conjectures pour parler de l’œuvre Nyaba Léon Ouédraogo. Ildéploie une forme de cadavre exquis visuel dont la fabrication reste imperceptible, où le hasard n’a pas vraiment sa place, puisqu’il n’y croit pas. Il préfère parler de « mystère organisé ». L’artiste ne fonctionne pas à l’instinct, mais établit toujours un synopsis pour le guider, car il sait qu’il doit y retrouver quelque chose. A la manière dont les pêcheurs de Guet N’dar s’en remettent à Mame Coumba Bang pour garantir la prise du jour, Nyaba Ouedraogo invoque les dieux de la photographie pour capter ses mises-en-scène », dit-il, un tantinet dithyrambique. Avant de se lâcher : « Atypique, inclassable, furtif, fugitif, Nyaba est tout simplement insaisissable. Il se joue de nous à la vitesse du son, probablement en raison de son ADN d’ancien sprinter qui le suit partout. Cet homme avance vite mais pas sur la ligne droite du sprinter. Il va vite mais change instinctivement de direction au gré des divagations de son inspiration boulimique ».
Philippe Mailfait lui non plus, n’échappe pas aux effets envoûtants de l’œuvre. Il s’est désormais fait une raison d’ailleurs…à juste raison. « Les photographies réalisées par Nyaba Ouédraogo font preuve d’une ambiguïté essentielle. Ce sont en quelque sorte des photos-fantômes pleines de mystère. Et s’il est vrai que l’irréel ne peut être vu qu’irréellement, elles nous donnent en tout cas à l’entre-apercevoir », témoigne-t-il.
Y aller :
Mame Coumba Bang – Nyaba Léon Ouedraogo
Jusqu’au 29 juillet 2023
Galerie CHRISTOPHE PERSON
39 rue des Blancs-Manteaux, 75004, Paris