Expertise France : “Notre objectif, être de plus en plus présents sur le terrain”
Cassilde Breniere est le nouveau visage d’Expertise France. Récemment nommée au poste de Directrice générale adjointe de l’institution française, c’est un produit maison puisqu’elle a passé les quinze dernières années au sein de l’AFD. Dotée d’une réelle expertise, et expérience, sur les questions d’eau et d’assainissement, elle revient pour ANA sur son parcours et sur les grandes orientations de l’institution publique française, deuxième par sa taille en Europe.

Propos recueillis par Mérième Alaoui
Avant de rejoindre Expertise France, vous avez évolué pendant quinze ans au sein de l’Agence française de développement (AFD). Ce que l’on sait moins c’est que vous avez une expertise certaine en matière d’eau et de l’assainissement…
J’ai en effet précédemment occupé le poste de directrice adjointe de la Direction exécutive Solution du développement durable au siège de l’AFD. Avant cela, j’étais au poste de directrice adjointe de l’agence de Rabat au Maroc, qui est la plus importante parmi les implantations pays de l’AFD. J’ai aussi été responsable de la division eau et assainissement dans le monde.
Je viens donc à l’origine du secteur de l’eau et de l’assainissement. J’ai beaucoup travaillé sur le renforcement des services essentiels dans de nombreux pays, mais aussi en France pour le groupe Suez. J’ai accompagné des grands partenariats public-privé qui ont été mis en place et j’ai même été, à une époque, responsable de la distribution de l’eau dans le département des Hauts de Seine.
Avant cela, j’ai travaillé dans le même secteur mais sur les sujets de WASH (eau, assainissement et hygiène) et de ressources dans des pays du Sahel avec des ONG comme le GRET ou le programme Solidarité eau.
Une expertise que vous allez mettre au service de vos nouvelles fonctions : les questions d’eau et d’assainissement comptent parmi les grands défis du continent…
L’eau est une ressource, qu’il faut bien sûr préserver, mais c’est aussi un sujet très social et politique. On l’observe à travers les communautés locales en Afrique, mais aussi dans le privé. C’est pour cette raison que je me suis à un moment dirigée vers le privé, car cela répondait à une demande et permettait un passage à l’échelle. La raison pour laquelle je suis passée par l’AFD ensuite est que je sentais le besoin du renforcement des cadres institutionnels dans les pays et ensuite du renforcement des institutions elles-mêmes.
Votre arrivée à la tête d’Expertise France coïncide avec le nouveau plan stratégique 2023-2027. Quelle orientation comptez-vous donner à l’Agence, sachant que 65% du volume d’activité est lié à l’Afrique ?
Parmi les grandes lignes, il y a l’objectif d’être de plus en plus présents sur le terrain, proches et au contact de nos partenaires dans les pays d’intervention mais aussi de l’ensemble des acteurs de la société civile, des institutions, des collectivités et puis du secteur privé. Nous sommes aussi engagés dans une grande action de déconcentration des activités dans les pays où l’on commence à avoir un portefeuille de projets significatif. Nous sommes en train de créer des directions pays au Comores, en Guinée, en Côte d’Ivoire et en Tunisie, c’est une des priorités de déploiement et de mise en œuvre pour l’année prochaine.
L’agence inscrit notamment son action dans les priorités du Conseil présidentiel du développement. Je peux à ce titre en mentionner certaines. Évidemment en Afrique il y a la question de l’adaptation au changement climatique en général conjuguée à la préservation des réserves vitales de carbone, c’est-à-dire les forêts et les océans. Ces deux priorités se retrouvent dans le Golfe de Guinée mais aussi dans le bassin du Congo.
Expertise France s’est également engagée, au même titre que les autres filiales du groupe AFD, à intégrer davantage les sociétés civiles dans ses programmes. A travers quelle approche ?
Travailler avec la société civile reste bien-sûr notre grande marque de fabrique, et ce parfois dans un format européen à travers une “team Europe” puisque nous travaillons beaucoup avec Enabel (NDLR : l’agence de développement belge) et la GIZ (NDLA : l’Agence de coopération allemande) qui ont des approches conjointes sur le financement européen pour soutenir l’entrepreneuriat et l’innovation ou pour permettre le développement du secteur privé et des infrastructures qui est aussi une priorité du Conseil présidentiel du développement.
Il s’agit également d’investir dans la jeunesse et l’éducation. Nous sommes très présents auprès des centres de formation, nous avons accompagné 186 centres au total, dont une grosse part en Afrique. Nous investissons également beaucoup sur la santé. Nous avons accompagné 1979 structures mais c’est encore à renforcer. De plus, pour moi, une des grandes priorités est la promotion des droits des femmes et de l’égalité femmes-hommes qui est une dimension transversale de nos projets et qui contribue, comme vous le savez, à la diplomatie féministe mise en place par la France.
Les relations entre certains états africains et la France se sont tendues, traduites par les derniers événements survenus au Mali, au Burkina Faso, au Niger… Comment, dans ce contexte, poursuivre les actions d’Expertise France dans la région ?
Nous sommesun opérateur de coopération française et nous intervenons toujours, et c’est vraiment notre mandat et notre mission, à la demande des partenaires. Jamais nous n’irons nous imposer. Ceci est vraiment ancré dans la politique d’Expertise France. Notre agence est assez jeune, nous avons beaucoup de jeunes collègues très engagés qui mobilisent énormément l’expertise locale et les échanges régionaux. Nous intervenons toujours en réponse à des demandes. Évidemment si l’on nous demande de ne plus intervenir, nous n’intervenons plus. Pour autant, nous constatons qu’il y a une forte demande en Afrique aux côtés des Etats. Nous nous positionnons davantage via le format européen. Ce sont donc des partages d’expériences, mais chaque État reste in fine souverain, chacun choisira sa trajectoire de développement. Nous travaillons aussi avec la diaspora via notre programme Meet Africa, sur le renforcement de la capacité entrepreneuriale. Nous avons financé 170 entrepreneurs, et en avons accompagné techniquement 140.
Nous avons encore de vraies demandes à la fois en Afrique francophone mais aussi en soutien aux autres acteurs. Nous avons aussi des projets autour du sport, en particulier en Afrique du nord. C’est une façon de changer notre manière d’intervenir, d’écrire une nouvelle histoire. Je pense en particulier au programme Basketball Expérience, où nous travaillons avec la NBA pour soutenir et inspirer des associations sportives notamment au Maroc mais aussi au Kenya, et au Sénégal. C’est ainsi une façon de promouvoir les Objectifs de Développement Durable (ODD) à travers le sport qui est entre autres intimement lié aux sujets de la santé. En Afrique la population est très jeune, le sport est ainsi porteur de valeurs que nous cherchons à soutenir.
Vous accompagnez également le développement du digital sur le continent. A travers quelle approche ?
En effet, une de nos priorités est le soutien de l’entrepreneuriat numérique. Cela permet la mobilisation de tous ces sujets numériques. Cette thématique touche aussi les institutions : nous mobilisons les gouvernements dans leur gestion afin de garantir un meilleur processus de transparence. Le programme PAGOF (programme d’appui aux gouvernements ouverts francophones) en est un bon exemple en contribuant à l’ouverture et à la redevabilité des gouvernements de Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Maroc ou de Tunisie.
Pour conclure, votre feuille de route pour votre début de mandat et les mois à venir ?
Je me rends prochainement en Tunisie pour le lancement d’un projet que je trouve très intéressant, “Savoir Eco”. Il s’agit de la mise en avant de dialogues autour des questions économiques où l’on finance entre autres des institutions de recherche et de savoirs tunisiennes. Nous renforçons aussi la société civile en lui donnant les moyens de participer aux débats entre les académies et les think tanks autour des questions économiques. Je trouve que cela illustre la position qui est la nôtre : à la fois d’échange mais aussi de catalyseur d’un dialogue qui sera uniquement local. Nous allons continuer d’appuyer les acteurs autour de la production de savoir en Afrique. C’est une démarche qui doit être soutenue. Ce sont donc à terme les universités, les penseurs africains, qui inspireront leur état et leur politique.
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