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EnR: La transition énergétique, une opportunité pour l’Afrique ? 

Le continent africain, le moins pollueur, reste la première victime du dérèglement climatique. Malgré les défis, la crise climatique offre des opportunités majeures à l’Afrique grâce aux énergies renouvelables. 

Par Mérième Alaoui

Faut-il le rappeler ? Plus de 600 millions d’Africains n’ont toujours pas accès à l’électricité et 930 millions utilisent encore le charbon comme mode de cuisson. En Afrique, la consommation électrique moyenne annuelle par habitant n’est que d’environ 600 kilowattheures (kWh), contre 3 200 kWh au niveau mondial, 6 100 kWh à l’échelle européenne et 4 600 kWh pour la Chine, d’après l’Agence internationale de l’énergie (IEA). 

Cela ne date pas d’hier, et tous les rapports le démontrent, la solution aux défis posés par le réchauffement de l’atmosphère réside dans les énergies renouvelables (EnR). D’autant que l’enjeu écologique mondial se fait de plus en plus pressant, notamment en cette veille de COP 27 à Charm El-Cheikh, en Egypte. L’injustice de la situation est telle que le continent le moins pollueur (à peine 4% des émissions) subit pourtant inondations et sécheresses à répétition. Des catastrophes dont les conséquences sont d’autant plus graves, que peu de pays disposent d’infrastructures pour y faire face. 

Plus qu’une solution écologique, il s’avère que les EnR offrent une opportunité économique majeure. Entre 2010 et 2021, le coût actualisé de l’énergie (LCOE) des projets photovoltaïques a baissé de 88 % et, en 2021, le LCOE des nouveaux projets photovoltaïques et hydroélectriques était inférieur de 11 % en comparaison aux nouveaux projets d’exploitations de combustibles fossiles. Cette rentabilité est en mesure de faire pencher la balance. 

60% des meilleures ressources solaires du monde. Des ressources sous-exploitées

Pour Tayeb Amegroud, expert en planification énergétique, senior fellow à Policy Center (OCP) au Maroc, opter pour les énergies renouvelables, n’est plus une option mais une opportunité à ne pas rater. “La rapidité et le faible coût d’installation des centrales solaires, par exemple, s’adaptent parfaitement au continent africain”. Et de comparer, le développement des EnR à celui de la téléphonie mobile. 

Le Maroc, l’un des pays les plus avancés en matière d’énergie renouvelable, malgré quelques retards dans l’exécution des projets, présente un bon bilan général. Entre 2017 et 2018, la puissance installée en énergie solaire a quadruplé, passant de 180 MW à 710 MW. L’objectif affiché de l’Agence Mazen chargée de piloter les énergies renouvelables, reste de 52 % du mix d’origine renouvelable d’ici 2030. Des pays comme le Ghana, le Kenya et le Rwanda sont en passe d’atteindre la couverture totale de leur territoire en électricité à la même date, en grande partie grâce aux EnR.

Même certains pétroliers se mettent au vert. Eni, le fournisseur d’énergie italien et l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) ont signé, en septembre 2021, un accord de partenariat de trois ans, en pleine pandémie, pour la promotion des énergies renouvelables et l’accélération de la transition énergétique en Afrique. 

Cependant, les ressources naturelles du continent sont encore loin d’être exploitées. Cinq des dix pays avec le plus grand potentiel solaire à l’échelle mondiale sont africains : la Namibie (1er rang mondial), l’Egypte (4e), le Lesotho (8e), la Libye (9e) et le Botswana (10e). Concernant l’éolien, si le potentiel du Tchad, de la Mauritanie, du Niger et du Mali se déployait au maximum, cela permettrait de multiplier par trente la capacité électrique de ces quatre pays. Selon l’IRENA, l’Afrique rassemble 60% des meilleures ressources solaires du monde, mais avec seulement 1% de la capacité solaire photovoltaïque installée. 

En dix ans, les pays africains ont triplé leurs investissements dans les énergies propres

Le développement de l’accès à l’énergie presse alors que la population africaine est amenée à doubler d’ici 2050 et à tripler d’ici 2100. Si aucune mesure n’est prise, la Banque mondiale estime que le changement climatique pourrait plonger environ 40 millions d’Africains supplémentaires dans l’extrême pauvreté d’ici dix ans. Selon la Banque africaine de développement (BAD), les besoins de financement climatique du continent atteignent jusqu’à 1 600 milliards de dollars. Sans cela, le continent devrait subir des pertes allant de 7 à 15 milliards de dollars, voire 50 milliards de dollars d’ici 2030, selon l’institution panafricaine. 

Malgré les défis, la transition énergétique verte est extrêmement prometteuse pour le développement socio-économique de l’Afrique. Le continent l’a bien compris et n’a pas attendu pour investir dans cette économie. D’après l’étude du think tank kényan, Power Shift Africa, les pays investissent, chaque année,  en moyenne, 2,8 % de leur produit intérieur brut (PIB) pour la transition climatique. Durant la décennie 2010-2019, ils ont investi 47 milliards de dollars dans les énergies propres, soit trois fois plus que le montant engagé au cours de la décennie précédente, en l’occurrence 13,4 milliards de dollars. C’est très encourageant mais loin d’être suffisant. 

Le Fonds vert pour le climat (FVC), le principal fonds mondial qui recueille les financements des pays industrialisés à destination des plus vulnérables, croule sous les projets issus des quatre coins du monde. Avec une mention particulière aux pays africains. La Côte d’Ivoire, qui bénéficie de deux financements du FVC, en espère d’autres. Pour cela, le ministère a même dédié un service à l’élaboration de dossiers de financement. 

Enjeu majeur de la COP 27 : le respect du principe pollueur-payeur

En ce qui concerne le principe de pollueur-payeur, qui sera au cœur des débats de Charm el-Cheikh, il tarde à se concrétiser. Entre 2014 et 2018, seuls 46 % de ce qui a été engagé par les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour l’adaptation en Afrique ont été décaissés. Pourtant, quarante-huit pays africains ont conditionné la concrétisation de leurs plans climatiques au financement international prévu de plus de 1 200 milliards de dollars d’ici à 2030. 

“Le monde développé, depuis longtemps, a promis 100 milliards de dollars par an pour soutenir le financement climatique des pays en développement. Ce que nous avons obtenu jusqu’à présent, c’est beaucoup de discussions et aucun financement. Il est temps de mettre les fonds à disposition, car l’Afrique souffre énormément de l’impact du changement climatique. C’est la COP de l’Afrique, alors réglons les problèmes de l’Afrique en mettant l’argent sur la table”, ne cesse de  marteler Akinwumi Adesina, le président du groupe de la Banque africaine de développement (BAD), cette fois, à l’Assemblée générale des Nations Unies. 

La RDC va-t-elle protéger le poumon de la planète ou au contraire céder à la tentation d’extraire de son sol les énergies fossiles ?

En écho, les chefs d’États africains durcissent le ton et comptent rappeler aux pays industrialisés leur dette comme le président sénégalais Macky Sall, qui représente l’Union africaine (UA). Eve Bazaïba, la Vice-première ministre et ministre de l’Environnement de la République démocratique du Congo (RDC) va plus loin : « Que devons-nous faire ? Exploiter nos ressources et nourrir nos enfants et nos petits-enfants ? Ou les contempler et laisser nos enfants et nos petits-enfants mourir de faim parce que nous devons protéger la planète ? »  a t-elle déclaré à l’occasion de la pré-COP 27, organisée à Kinshasa. Pour ce pays dont les sols sont bien dotés et qui vient de faire de nouvelles découvertes de gisement de gaz et de pétrole, la question est bien réelle. 

Le continent africain a d’autres arguments de poids pour peser sur les négociations. L’un d’eux se concentre en RDC et dans le bassin du Congo. Le pays va-t-il protéger ce poumon de la planète ou au contraire céder à la tentation d’extraire de son sol les énergies fossiles ? Le richissime sol congolais regorge aussi de minerais rares et stratégiques tels que le cobalt, le coltan, le germanium qui sont utilisés dans la fabrication de voitures électriques ou le stockage de l’énergie solaire. Enfin, le potentiel de construction hydroélectrique est évalué à 100 mille mégawatts, et un potentiel de 90 mille mégawatts sous d’autres formes d’énergies renouvelables. Ce qui peut aiguiser l’appétit de nouveaux investisseurs internationaux. 

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