Dr. Mary Moussa : Repenser le financement de la santé en Afrique et viser une gouvernance autonome pour une croissance durable
Dans cette nouvelle Cart’Afrik, le Dr Mary Moussa lance un appel fort : l’Afrique doit reprendre en main le financement de sa santé et bâtir des systèmes autonomes, résilients et durables. Face au gel des fonds de l’USAID, elle plaide pour une gouvernance continentale renforcée, l’implication du secteur privé et une mobilisation accrue des ressources locales. Une tribune incontournable pour repenser l’avenir de la santé en Afrique. Par Dr Mary Moussa*

La récente suspension et réévaluation des fonds de l’USAID destinés aux programmes de santé en Afrique a provoqué une onde de choc dans les systèmes de santé du continent. Cette décision a réveillé l’Afrique alors qu’elle rêvait encore de solidarité mondiale en faveur de la sécurité sanitaire internationale.
Les fonds de l’USAID ont été essentiels pour soutenir les services de santé les plus cruciaux du continent : de la prévention et du traitement des maladies au renforcement des systèmes de santé et à la réponse d’urgence, notamment dans les pays où les ressources et financements ne suffisent pas à répondre aux besoins. Le retrait brutal de ces ressources expose les vulnérabilités de l’Afrique et sa dépendance vis-à-vis du financement extérieur, laissant des millions d’Africains en danger et annulant des acquis durement obtenus en santé publique.
Ne mettez pas tous vos œufs dans le même panier, dit-on. Mais dans ce cas, même le panier ne nous appartient pas !
Alors que chacun tente d’analyser la situation et de mettre en place des mesures et actions d’urgence pour atténuer les effets négatifs de ce gel des financements, il est tout aussi important de reconnaître et de saluer la décision d’annuler l’interdiction sur les médicaments essentiels, car des vies sont en jeu et un arrêt brutal de l’approvisionnement aurait eu des conséquences dévastatrices.
Cependant, l’interdiction de l’USAID doit servir d’alerte : il ne fait aucun doute que les financements des donateurs doivent décroître progressivement au fil du temps, car l’autonomie et la responsabilité du financement de la santé doivent revenir aux nations elles-mêmes. Néanmoins, nous appelons à un retrait progressif et stratégique de l’aide étrangère.
La réalité demeure : l’Afrique ne peut continuer à s’appuyer sur des programmes financés par des donateurs étrangers pour maintenir ses systèmes de santé
Il est temps d’opérer un virage audacieux et coordonné vers l’autonomie, la priorisation budgétaire et la prise en charge locale de ses systèmes de santé.
Le rôle de l’Africa CDC dans le renforcement des systèmes de santé en tant qu’agence panafricaine autonome
L’Africa Centres for Disease Control and Prevention (Africa CDC) est à l’avant-garde du renforcement de la sécurité sanitaire du continent et de la préparation face aux pandémies. L’organisation a prouvé sa capacité à coordonner des réponses menées par des Africains, de la Covid-19 à la variole simienne, démontrant que les solutions locales ne sont pas seulement possibles, mais nécessaires. Plus que jamais, l’Africa CDC doit être renforcée et soutenue pour piloter une stratégie continentale de résilience sanitaire, afin que les incertitudes liées au financement étranger ne perturbent pas les efforts essentiels de contrôle des maladies.
Les gouvernements africains doivent travailler en étroite collaboration avec l’Africa CDC afin de développer des modèles durables de financement de la santé publique qui privilégient l’investissement domestique dans les infrastructures de sécurité sanitaire.
La volonté politique et l’orientation de l’Union africaine (UA) doivent guider les ministères de la Santé des États membres pour donner à l’Africa CDC l’assistance technique et les ressources nécessaires. Tous les États membres doivent investir des montants beaucoup plus conséquents dans la santé, afin d’éviter des conséquences catastrophiques découlant d’un système de santé affaibli, trop longtemps dépendant de fonds extérieurs.
L’Union africaine, l’Africa CDC et les blocs économiques régionaux doivent jouer un rôle moteur dans la définition de l’agenda du financement durable de la santé et de sa mise en œuvre
Le secteur privé comme partenaire stratégique face au gel de l’aide
Le secteur privé a toujours été un acteur essentiel pour naviguer dans les périodes d’incertitude. Aujourd’hui, il a une opportunité sans précédent de s’affirmer comme acteur clé en apportant des solutions innovantes pour améliorer l’accès, l’accessibilité et la qualité des services de santé sur le continent.
Les multinationales, les entreprises africaines et les investisseurs doivent comprendre que leur responsabilité sociale va au-delà de la diversité, de l’équité et de l’inclusion. Il s’agit d’un investissement économique stratégique contribuant à la croissance sociale et économique.
Entrer sur le marché avec force, montrer de la bonne volonté, gagner la confiance des gouvernements en tant qu’allié fiable : lorsque le secteur privé est guidé par les priorités nationales, il représente un partenaire engagé et digne de confiance, visant des solutions durables à long terme.
Le rôle des gouvernements africains dans l’encadrement d’une offre privée durable et viabl
Les gouvernements jouent un rôle central, soit en maintenant le statu quo, soit en accélérant les partenariats, tels que les partenariats public-privé (PPP). Un PPP réussi peut fournir un modèle viable pour financer et maintenir les infrastructures de santé, tout en améliorant la prestation des services.
Les gouvernements africains doivent activement œuvrer à créer un cadre réglementaire et politique favorable à la participation et à l’innovation du secteur privé. Cela inclut la simplification des processus d’octroi de licences et d’accréditation afin de créer des marchés matures et prêts à l’investissement.
De plus, des incitations fiscales claires, des réformes réglementaires et des mécanismes de partage des risques offrent un environnement plus propice à l’implication accrue du secteur privé.
Prendre en main nos systèmes de santé, de la conception à la mise en œuvre
Nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas investir massivement dans la santé
Au fil de mes années de pratique et d’engagement dans le secteur, j’ai souvent entendu des experts rappeler qu’en Afrique, la santé ne doit pas être considérée comme une dépense, mais comme un investissement dans la stabilité et la croissance économiques. Partout dans le monde, les pays qui priorisent le financement de la santé en récoltent des retombées directes en matière de productivité de la main-d’œuvre, de création d’emplois et de développement du capital humain.
Mais pour notre continent, ce n’est pas un simple choix. Avec les pandémies, les épidémies et les autres urgences sanitaires liées au climat, aux changements environnementaux ou aux catastrophes naturelles, cela devient une nécessité
Pour réduire la dépendance à l’aide étrangère – une étape nécessaire, bien que difficile – les gouvernements africains doivent :
- Mobiliser les ressources domestiques
- Allouer une plus grande part du budget national à la santé
- Développer des mécanismes de financement innovants
- Mettre en place des systèmes d’assurance sociale nationale
- Explorer des modèles de financement durables
- Encourager la production locale et réduire la dépendance aux importations
- Garantir un accès ininterrompu aux médicaments essentiels
- Créer des opportunités économiques
Nos gouvernements doivent approfondir intentionnellement l’engagement du secteur privé : travailler avec les entreprises pour co-construire des solutions de santé, qu’il s’agisse du financement des infrastructures ou de l’essor de la santé numérique.
Un moment décisif pour l’Afrique
La crise du financement de l’USAID est un moment décisif pour l’Afrique – un appel à une collaboration stratégique et significative entre gouvernements, institutions régionales et secteur privé.
Réduire les risques imminents et bâtir une Afrique en meilleure santé et autonome n’est pas seulement un impératif moral, mais une nécessité économique. Nous devons prendre en main notre santé, et il semble que le moment soit venu !
Prendre le contrôle de notre propre financement et de la mise en œuvre de la santé nous donnera l’occasion de concevoir des solutions innovantes, culturellement adaptées et potentiellement bien moins coûteuses.
Nous avons une opportunité unique de bâtir des solutions solides et locales qui protègent des vies, stimulent la croissance économique et façonnent un avenir durable et prospère pour le continent.
Désormais, nous n’avons plus le choix : il faut changer le récit et agir – non pas simplement pour combler des déficits de financement, mais pour transformer en profondeur les systèmes de santé africains, pour les générations à venir.
*Le Dr Mary Moussa est une panafricaniste engagée, forte d’une vaste expérience dans plusieurs secteurs de la santé en Afrique, notamment en Égypte, en Ouganda et, plus récemment, au Kenya. Elle occupe actuellement le poste de Head of Consulting chez Africa Health Business (AHB).