Dr. Arnaud OULEPO : plaidoyer pour un programme de citoyenneté par investissement en Côte d’Ivoire
Terre d’intégration, la Côte d’Ivoire accueille plusieurs nationalités. Certaines, actives dans le secteur économique prennent de plus en plus de places. Pour le Dr. Arnaud OULEPO, spécialisé dans le droit public international, le droit international de l'investissement et l'arbitrage des investissements, il faut instaurer des programmes de citoyenneté par investissement pour tirer le potentiel de ce pragmatisme économique.

Par le Dr. Arnaud OULEPO*
Des éléments de la police judiciaire ivoirienne ont récemment procédé à l’arrestation puis à la détention provisoire de plusieurs hommes d’affaires ivoiro-libanais, dont des patrons très en vue du microcosme économique de cette influente communauté, pour leur prétendue implication directe ou indirecte dans des faits susceptibles de revêtir la qualification pénale d’acquisition frauduleuse de la nationalité ivoirienne et de trafic de passeports. Si les faits défraient à nouveau la chronique, ils sont révélateurs d’un état civil et d’une machine administrative fragile dans la saine appréciation des conditions d’attribution de la nationalité ivoirienne. Des faits les plus anecdotiques aux plus graves, une constance demeure : la nationalité ivoirienne semble être un bien accessible aux plus offrants, pour peu d’avoir les ressources financières, le bon réseau et les bons contacts. Les autorités compétentes en sont conscientes, et tentent du mieux possible d’apporter une réponse adéquate au fléau. La dernière en date fût les amendements introduits au Code de la nationalité en ses dispositions relatives à l’acquisition de la nationalité ivoirienne par voie de mariage. Dans le but d’éviter les unions de complaisance, l’Etat exige désormais une période probatoire de cinq ans avant l’acquisition de la nationalité ivoirienne par le conjoint étranger.
Contrairement aux autres vagues d’immigration qu’a connues la Côte d’Ivoire, l’immigration libanaise est une immigration résolution économique dont l’origine s’écrit avec l’histoire moderne de la Côte d’Ivoire. Résolument intégrée dans la société ivoirienne à laquelle elle appartient, on lui doit de nombreux fleurons de l’économie ivoirienne qui contribuent significativement au rayonnement économique du pays.
Le passeport ivoirien occupait en 2022 la 79e place avec un accès à 59 pays en exemption de visa dont les pays de zone ouest-africaine
Une tradition qui ne s’est pas estompée au fil des générations. Au-delà des ressortissants libanais, ce sont de nombreux ressortissants étrangers qui trouvent en la Côte d’Ivoire, un « pays d’hospitalité », un modèle de vie agréable, une terre d’opportunités, une terre de possibilités. Selon le Henley Passport Index, mesurant la mobilité internationale des passeports, le passeport ivoirien occupait en 2022 la 79e place avec un accès à 59 pays en exemption de visa dont les pays de zone ouest-africaine. Une proposition de valeur importante pour tout opérateur économique étranger souhaitant profiter des opportunités et du cadre réglementaire unifié de la région.
Les faits relatés précédemment, dont l’on se garderait de présager toute issue juridique du fait de l’instruction en cours, viennent malheureusement jeter le discrédit et la suspicion sur tant de ressortissants étrangers désormais ivoiriens dans le strict respect des lois nationales.
Il est vrai que l’acquisition de la nationalité ivoirienne par les ressortissants étrangers a pendant longtemps fait l’objet de polémique et d’instrumentalisation. La question principale des conditions d’éligibilité à l’élection présidentielle a très souvent éclipsé la réalité du droit positif ivoirien. Tout étranger sous réserve du respect des conditions définies par les lois de la République, peut accéder à la nationalité ivoirienne. Il s’est ainsi installé dans l’esprit de nombre d’ivoiriens, un réflexe quasi-pavlovien consistant à déterminer qui est réellement ivoirien à la seule évocation d’un nom patronymique, voire de la couleur de la peau. Il faut se rendre à l’évidence d’une réalité sociale, la Côte d’Ivoire est cosmopolite, multiculturelle ; et surtout d’une réalité économique : notre croissance économique est la résultante des efforts conjugués de nos concitoyens, et de la contribution majeure de ressortissants étrangers. C’est aussi cela « l’Ivoirien Nouveau », concept cher aux autorités ivoiriennes.
Il est nécessaire que les autorités ivoiriennes réfléchissent à la mise en place d’un programme de citoyenneté par investissement
En raison de l’attractivité de la nationalité ivoirienne pour de nombreux ressortissants étrangers, dans le but renforcer le système d’octroi de la nationalité, et surtout pour légaliser une pratique qui a toujours eu cours (au moins officieusement), il est nécessaire que les autorités ivoiriennes réfléchissent à la mise en place d’un programme de citoyenneté par investissement. Le concept est né dans les années 1980 quand les nations insulaires des Caraïbes entre autres Saint-Kitts-et-Nevis, Antigua-et-Barbuda, Dominique, Grenade, Sainte-Lucie, très dépendantes des recettes touristiques pour leurs économies ont décidé de capitaliser sur l’opportunité d’une grande mobilité internationale qu’offraient leurs passeports. Selon des modalités différentes, mais toujours en échange d’investissement dans des secteurs prioritaires définis à l’avance, les ressortissants étrangers ont la possibilité d’obtenir la nationalité du pays concerné à travers une procédure accélérée dérogeant aux conditions du droit commun.
Les programmes de citoyenneté par investissement ont depuis lors été multipliés dans plusieurs pays notamment en Afrique avec des pays pionniers tels que l’Île Maurice, les Seychelles, l’Egypte. D’autres encore sont en voie de l’introduire dans leurs stratégies de promotion des investissements directs étrangers tels que le Kenya, la Tanzanie et la région autonome de Zanzibar. Les programmes de citoyenneté par investissement ne sont pas exempts de critiques.
La Côte d’Ivoire doit embrasser ce pragmatisme économique
Des enquêtes ont révélé des cas de corruption des autorités administratives en charge de la gestion du programme, le recours au programme par des individus recherchés pour crimes, blanchiment d’argent et autres infractions. Le mécanisme a au moins le mérite du pragmatisme économique. La Côte d’Ivoire doit embrasser ce pragmatisme économique.
Un programme de citoyenneté par investissement en Côte d’Ivoire apporterait des ressources additionnelles pour le financement des objectifs des différents plans de développement. Le code d’investissement ivoirien prévoit des avantages fiscaux à tout investisseur étranger investissant dans les régions autres que le pôle économique d’Abidjan et ses environs. A minima, à travers le programme de citoyenneté par investissement, il s’agirait d’encourager les investisseurs étrangers vers ces zones (découpées en zone A, B et C) et à financer des projets de développement d’une valeur minimale à déterminer (par exemple 500 000 EUR) en échange de la nationalité ivoirienne pour eux et leurs proches les plus directs.
La mise en œuvre concrète du programme nécessitera un amendement au Code de la nationalité, un benchmark des meilleures pratiques existantes pour un positionnement compétitif de l’offre ivoirienne ainsi que les potentiels pays cibles, la détermination d’un organisme national en charge de la gestion du programme, l’évaluation de l’opportunité de sous-traiter la promotion du programme à l’international à un cabinet expérimenté, la mise en place de mécanisme rigoureux de filtrage pour réduire les risques de recours frauduleux au mécanisme. Un groupe de réflexion devra mis en place avec la participation de différents experts ivoiriens et étrangers. Les crises sont très souvent l’occasion d’imaginer de nouveaux possibles, ce « scandale » est une invitation à le faire.
Dr. Arnaud OULEPO
Docteur en droit public, Université Cadi Ayyad
Consultant en politiques d’investissement et entrepreneuriales