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Dr Alfred Bewindin SAWADOGO : “La gouvernance au service de l’industrialisation : une clé pour l’Afrique!”

A l’occasion de la Journée de l’industrialisation de l’Afrique, le Dr Alfred Bewindin Sawadogo appelle à des politiques industrielles ambitieuses et cohérentes, soutenues par un respect des textes et une gestion centrée sur les préoccupations des populations.

Par Dr Alfred Bewindin SAWADOGO*

La nécessaire industrialisation est une idée qui ne date pas d’aujourd’hui. Dès 1960 par exemple, le Pr Cheikh Anta Diop publiait dans « Fondements culturels et économiques d’un Etat fédéral d’Afrique noire » un plan d’industrialisation de l’Afrique. Jusqu’à nos jours, les agences internationales de développement, des chercheurs, des intellectuels africains insistent régulièrement sur l’impérieuse nécessité de la transformation structurelle des économies africaines à travers le développement industriel. 

L’Afrique a connu une industrialisation tardive, comparativement à l’Europe, à l’Amérique du Nord qui se sont industrialisées au XIXe siècle et l’Asie qui s’est industrialisée au XXe siècle. Son tissu industriel est encore faible, en témoigne la faible part de l’Afrique dans l’industrie mondiale qui est généralement inférieure à 3%. Pour caractériser l’évolution de l’industrialisation en Afrique, Mezouaghi et Karim El Aynaoui font ressortir que le continent a connu une industrialisation tardive et une désindustrialisation précoce. Ils le mentionnent en ces termes : « L’industrialisation de l’Afrique s’engage, à partir des années 1960, sous l’impulsion de politiques volontaristes de substitution aux importations, reposant dans une large mesure sur la protection commerciale d’entreprises publiques en situation de monopole. Historiquement tardive, l’industrialisation connaîtra un déclin dès les années 1980, dans un contexte de dérèglement des économies (crise de la dette publique, creusement des déficits extérieurs, hausse du chômage) » (Source : Mihoub Mezouaghi, Karim El Aynaoui, « L’Afrique sur la voie de l’industrialisation ? », Afrique Contemporaine, 2018/2). La valeur ajoutée du secteur manufacturier africain stagne aujourd’hui autour de 10% du Produit Intérieur Brut (PIB).

“Si des pays comme le Maroc et l’Ethiopie sont très souvent cités pour leurs progrès spectaculaires en matière d’industrialisation, force est de reconnaître que la majeure partie des pays africains avancent à petits pas”

La faible industrialisation du continent se traduit par des exportations essentiellement axées sur les produits combustibles, agricoles et miniers, et des importations surtout axées sur des produits manufacturés. Malheureusement, cette configuration est loin d’être optimale. 

Premièrement, elle nourrit la misère en Afrique en bridant le développement économique du continent. Ce n’est pas un hasard si le PIB de toute l’Afrique qui est d’environ 2994 milliards de dollars US est inférieur à celui d’un pays comme la Grande-Bretagne qui se situe autour de 3159 milliards de dollars US, d’après le rapport 2023 de la Fondation Ibrahim Mo. Derrière ces chiffres, il faut voir un revenu par habitant faible en Afrique avec toutes les conséquences que cela entraîne : difficultés d’accès à l’éducation, difficultés d’accès à des soins, faim et malnutrition, etc. Le rapport de la Banque mondiale sur la pauvreté et la prospérité partagée en 2022 indique que « l’Afrique subsaharienne abrite aujourd’hui 60 % des individus en situation d’extrême pauvreté dans le monde, soit 389 millions de personnes ».

Deuxièmement, la faible industrialisation alimente le déficit en matière d’emploi en Afrique. Selon les données de la Banque Africaine de Développement, 10 à 12 millions de jeunes africains arrivent sur le marché de l’emploi chaque année pendant que seulement 3 millions d’emplois (formels) sont créés. D’ailleurs, le secteur manufacturier en Afrique ne représente que 6% de l’emploi total. Les conséquences du déficit d’emploi sont dramatiques, allant de l’enrôlement dans les groupes extrémistes à l’immigration clandestine. 

Troisièmement, l’Afrique est dépendante vis-à-vis des pays industrialisés, jusque dans des domaines vitaux comme l’agroalimentaire. Par exemple, le continent importe autour de 83% des aliments transformés qu’il consomme. En cas de difficultés d’approvisionnement dues à des pandémies comme la Covid-19 ou des conflits tels que la guerre russo-ukrainienne, plusieurs secteurs et activités sont largement menacés en Afrique. 

Conscient que l’industrialisation est une nécessité, les décideurs africains ainsi que leurs partenaires ont développé moult initiatives tant sur le plan national, régional que continental. Au titre des initiatives continentales figurent i) le Développement industriel accéléré de l’Afrique (AIDA), ii) le Programme pour le développement des infrastructures en Afrique (PIDA), iii) la Stratégie pour la science, la technologie et l’innovation pour l’Afrique (STISA), iv) la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf), etc. Au titre des initiatives régionales on peut citer i) la Stratégie et feuille de route pour l’industrialisation de la Communauté de développement de l’Afrique australe, 2015-2063, ii) la Stratégie d’industrialisation de la Communauté d’Afrique de l’Est, 2012-2032, iii) la Politique Industrielle Commune de l’Afrique de l’Ouest (PICAO), etc. 

4 principaux leviers à l’origine de l’essor industriel à savoir les infrastructures routières, énergétiques et numériques

Toutes ces initiatives concourent à influencer les quatre principaux leviers à l’origine de l’essor industriel à savoir les infrastructures routières, énergétiques et numériques, l’éducation en général ou l’éducation scientifique en particulier, la protection des jeunes industries et le financement des entreprises industrielles. 

Le déficit de financement est très souvent pointé du doigt comme l’obstacle majeur à l’essor industriel du continent. Mais une question me taraude l’esprit à ce sujet : comment un continent qui cherche de quoi financer son industrialisation ne prend-t-il pas plus au sérieux la lutte contre les flux financiers illicites qui, faut-il le rappeler, lui font perdre plus de 50 milliards de dollars US par an ? Un rapport des Nations Unies indique ceci : « Au cours des 50 dernières années, on estime que l’Afrique a perdu plus de 1000 milliards de dollars du fait des flux financiers illicites. Ce chiffre est à peu près équivalent à l’ensemble de l’aide publique au développement reçue par l’Afrique pendant le même laps de temps » (Source : Nations Unies. Commission Economique pour l’Afrique 2015. Flux financiers illicites : rapport du Groupe de haut niveau sur les flux financiers illicites en provenance d’Afrique. Addis Abeba). 

Si des pays comme le Maroc et l’Ethiopie sont très souvent cités pour leurs progrès spectaculaires en matière d’industrialisation, force est de reconnaître que la majeure partie des pays africains avancent à petits pas. 

A mon avis, ce qui a manqué dès le départ aux pays africains, c’est le fait de n’avoir pas ériger l’industrialisation en priorité. La preuve que l’industrialisation ne semble pas une priorité c’est que ce sujet est peu présent dans le débat public. Combien d’émissions télévisées, radiophoniques, d’articles de presse traitent-ils sérieusement de la question ?

“Faire du développement industriel une priorité doit se traduire concrètement par des politiques et stratégies nationales industrielles ambitieuses et cohérentes”

Faire du développement industriel une priorité doit se traduire concrètement par des politiques et stratégies nationales industrielles ambitieuses et cohérentes. Une fois les décisions prises, l’appareil d’Etat doit avoir une organisation optimale qui lui permette de traduire les objectifs et plans d’industrialisation en résultats concrets. S’il est vrai que le rôle principal dans le processus d’industrialisation sera joué par le secteur privé, il n’en demeure pas moins que ce sont les pouvoirs publics qui doivent créer les conditions favorables sans lesquelles les industriels ne peuvent rien faire. 

Mais tout cela suppose au préalable le renforcement de la bonne gouvernance dans les pays africains. J’appelle bonne gouvernance, une gouvernance centrée, non pas sur les intérêts des dirigeants, mais sur les préoccupations des populations ; une gouvernance qui respecte les textes (au premier rang desquels figurent la Constitution) que chaque pays s’est donné. Lorsqu’on se soucie du sort du peuple, on trouve les voies et moyens pour améliorer sa condition matérielle. Et l’industrialisation occupe une place de choix dans ces voies et moyens !

*Docteur en Télécommunications, écrivain et leader du think tank MROD/BF

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