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Docteur Paul Kananura, président de l’Institut Mandela : « Les pays n’ont pas d’amis, ils ont des intérêts »

À la suite de la conférence sur « Les Etats fragiles et la sécurité des ressources stratégiques, énergétiques et minières, nous nous sommes entretenus avec le Docteur Paul Kananura, président de l’Institut Mandela, initiateur de cet événement. Il signale la nécessité de restructurer l’Afrique afin de lui apporter davantage de sécurité sur tous les plans.

Parlez-nous de l’Institut Mandela

« L’Institut Mandela, c’est la pensée stratégique au service de l’intelligence collective. Cette conférence n’a pas dérogé à la règle en ciblant une problématique fondamentale : comment les pays faibles peuvent-ils protéger leurs ressources stratégiques, sources de problèmes à court terme et de puissance à long terme. On a une équation entre le problème et la puissance, il faudra faire le bon choix politique ».

 

Dans quel but a eu lieu cette conférence ?

« Cette conférence s’inscrit dans le but même de l’Institut Mandela, afin de participer à la transformation profonde de l’Afrique en restructurant intellectuellement et institutionnellement les pays africains. Elle suit le cheminement idéologique du programme quinquennal SPDA (Sécurité, Paix et Développement en Afrique). En 2014, nous avons mené une analyse globale sur les questions de sécurité et de terrorisme en Afrique, du chaos en RCA, de paix et de stabilité aux Comores, et du fondamentalisme ainsi que du djihadisme en Libye. En 2015, nous avons privilégié une approche régionale des questions de piraterie maritime, de sécurité et de désir d’émergence dans le cadre d’un Cycle de conférences sur la gouvernance sécuritaire en Afrique, avec comme objectif de peaufiner l’Indice de Risque Sécuritaire (IRS) mesurant la capacité de résistance des pays face aux défis sécuritaires et du terrorisme. En 2016, nous poursuivrons l’analyse sur l’implantation des groupes terroristes dans les espaces des ressources stratégiques : Une simple coïncidence ou une stratégie délibérée ? Donc, cette conférence ouvrait une série de cinq conférences de cette année avec cette logique profonde de la gouvernance sécuritaire ».

 

Qu’est-il ressorti de cette conférence ? 

« Il ressort que l’absence d’institutions fortes et d’armées professionnelles fait le lit des prédateurs qui s’accaparent des ressources vitales pour s’enrichir sur le dos des pays et des peuples. La convoitise et les comportements de prédation des ressources constituent une menace permanente pour la sécurité des Etats fragiles. Les indicateurs de fragilité ont été mis en évidence : faiblesse interne et prédation extérieure. Fragilités politiques, carence idéologique, pilotage à vu, absence de socle commun, faiblesse des services de sécurité, absence de maîtrise et de capacité d’action, entre autres, rendent les pays non compétitifs et vulnérables. Dans ces conditions, les risques sont permanents et les forces de défense et de sécurité sont dans l’incapacité de protéger l’Etat et ses ressources vitales ».

 

Quels pays d’Afrique sont concernés ? 

« Les Etats fragiles sont moins solides et résistants aux chocs déstabilisateurs extérieurs ou intérieurs. La majorité des pays africains sont malheureusement dans cet état de fait. Cela est différent d’un Etat failli qui se définit par l’effondrement d’un appareil d’Etat et présente des dysfonctionnements à assurer ses missions régaliennes : sécurité intérieure et extérieure, justice et monnaie. C’est un Etat qui n’est pas maître du monopole de la violence légitime, qui est pourtant la caractéristique essentielle de celui-ci, selon Max Weber. Il est incapable d’assurer la sécurité de ses citoyens ainsi que celle de ses frontières. Il est inapte à mettre en place une gouvernance efficace et assurer l’Etat de droit. C’est malheureusement le cas de la Somalie et de la RCA, à titre d’illustration. Telle une maladie, les Etats déficients sont susceptibles de transmettre leurs maux aux pays voisins, il y a un risque de contagion régionale. Par exemple, l’incompétence du Nigeria à éradiquer Boko Haram a donné lieu à des attentats dans les pays voisins de celui-ci, à l’instar du Cameroun, du Tchad et du Niger ».

Qu’entendez-vous par la sécurité des ressources stratégiques, énergétiques et minières. ? Que représentent-elles ? 

« L’Afrique dispose d’espaces géostratégiques fondamentales de matières premières. Elle est marquée aussi par des grandes lignes de fractures géopolitiques, où nous y observons la récurrence de l’insécurité. Par exemple la guerre contre Boko Haram a mis en évidence la vulnérabilité de chacun des Etats concernés. Curieusement, les groupes terroristes se sont implantés dans des espaces disposant de ressources vitales. Que faire ? Il faut sécuriser l’exploitation et l’approvisionnement dans une stratégie partagée des acteurs sous la responsabilité et la protection de l’Etat ».

 

Existe-il des accords entre pays pour sécuriser les ressources du continent africain ?

« Les accords militaires entre les anciennes puissances coloniales et les pays anciennement colonisés existent bel et bien. Cependant, ils n’ont pas empêché le saccage de ces ressources d’une manière continuelle. Il faudra des accords de protection des ressources entre pays africains avec une obligation d’assistance mutuelle ».

 

Quels sont les chiffres des dépenses allouées à la sécurité sur le continent africain ? 

« Les dépenses militaires sont le premier budget de la nation dans la majorité des pays africains. Nonobstant, on ne voit pas le bénéfice en cas de rébellion ou d’attaques terroristes. Comme c’est un budget qui échappe au contrôle public, il devient une source de détournement, d’où la misère des forces de défense et de sécurité rendues inaptes face à l’ennemi. En outre, il faut noter que l’Afrique enregistre la plus forte progression des dépenses militaires au niveau mondial depuis 10 ans (augmentation de 91% depuis 2005). Les dépenses en armement du continent dépassent 50 milliards de dollars par an (avec 20,1 milliards de dollars pour l’Afrique du Nord et 30,1 milliards de dollars pour l’Afrique subsaharienne, en 2014). Il serait sain que ces dépenses soient au bénéfice du progrès pour le continent à travers la sécurisation de nos ressources stratégiques, énergétiques et minières ».

 

Pour rendre les mesures sécuritaires plus efficaces, quelles solutions proposer ?

« La suffisance ou l’insuffisance dépend des missions assignées à la sécurité nationale et des menaces qu’elle encourt. Les mesures contre le détournement et la corruption dans le domaine sécuritaire sont nécessaires pour protéger la nation de tous les dangers. Par exemple, au Nigeria, avant l’arrivé du nouveau Président, on versait prioritairement des salaires du Colonel au Général ; le reste de l’armée n’était pas payé régulièrement. Comment voulez vous qu’ils défendent le pays ? Certains vendaient des armes et des informations sensibles à Boko Haram pour faire vivre leurs familles. Le Président Buhari s’est attaqué frontalement à cet épineux problème. Mais il faudra 10 ans pour restructurer une telle armée. Il faudra revoir en profondeur le mode de gouvernance des ressources avec des outils à la fois juridiques (normes, codes, lois) et de sécurité de base pour donner un signal attractif pour les investisseurs et un signal répressif aux prédateurs. Les mécanismes de protection de ressources supposent de disposer des informations fiables : renseignement, intelligence, espionnage,… pour les protéger efficacement. La capacité de réaction rapide est aussi une solution de protection des ressources de façon holistique en fonction des menaces. L’utilisation des systèmes de renseignements pour détecter et anticiper les menaces à la sécurité nationale, l’utilisation de la technologie (interception et brouillage des communications et des drones) sont évoquées dans une optique de guerre préventive ou dissuasive pour se protéger de groupuscules menaçant la sécurité des ressources stratégiques. L’implication des populations des zones d’intérêts est nécessaire pour compléter les mécanismes de surveillance et de protection des sites riches et sensibles. Voilà en gros les recommandations de la conférence ».

 

Faut-il, selon- vous, l’intervention des pays occidentaux pour réussir à sécuriser les ressources en Afrique ?

« Les pays n’ont pas d’amis, ils ont des intérêts ! Au nom de quoi et de quel intérêt l’Occident va protéger les ressources de l’Afrique ? C’est une erreur stratégique de penser aux bons sentiments du protecteur extérieur. Les pays africains n’ont que des amis ! Quand vont-ils avoir des intérêts ? Lorsqu’ils comprendront les intérêts, ils sécuriseront leurs ressources ».

 


 

Par Darine Habchi
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