Diaspora : Kader Jawneh, pionnier de la fast food africaine
Entrepreneur franco-sénégalais, Kader Jawneh dirige Afrik'N'Group, une entreprise de restauration africaine. Fort de son succès en France, il a ouvert un premier restaurant à Casablanca, capitale économique du Maroc. Une première étape avant d’étendre ses marques en Afrique.
Par Mérième Alaoui
Boulevard Mohamed Zerktouni, à Casablanca, le restaurant Afrik’N’Fusion, ouvert en juin 2021, attire les regards et les papilles. “L’idée de s’implanter à Casablanca est venue de mon associé, qui s’y est installé avec sa famille. Il a constaté que beaucoup de Subsahariens vivent au Maroc et cherchent à consommer de la cuisine d’Afrique de l’Ouest. Mais aussi que les Marocains eux-même, très curieux, sont ouverts à d’autres expériences gastronomiques. En particulier à Casa, ville cosmopolite” explique Kader Jawneh, CEO d’Afrik’N’Group qui gère l’enseigne. Bien plus grand que celui de Paris, le restaurant Afrik’N’Fusion de Casablanca conserve la même carte, “avec, en supplément, le couscous chaque vendredi. Une façon d’adapter notre offre au pays” précise Kader Jawneh.
S’installer au Maroc ne relève pas seulement du marché local. C’est la première étape d’une stratégie tournée vers l’Afrique. “Les mentalités ont évolué. Les Marocain se définissent de plus en plus comme africains, et non seulement maghrébins. Cela se ressent à travers les publicités et dans les médias nationaux. C’est le résultat de la vision économique et politique du roi Mohammed VI, qui se concentre davantage sur les investissements vers le Sud et moins vers l’Europe” poursuit Kader qui se voit régulièrement proposer, par ses contacts marocains, de nouvelles opportunités au Sud du Sahara, au Sénégal, en Côte d’Ivoire. “La prise de conscience du potentiel économique africain est réelle” analyse-t-il.
Une cuisine africaine aux standards internationaux
Le Maroc constitue ainsi une porte d’entrée vers l’Afrique pour le groupe qui ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. En plus des restaurants Afrik’N’Fusion, son enseigne phare, le groupe se compose de Djaam, une offre à destination des citadins, qui propose les fameux bowls hawaïens, revisités à la sauce africaine, et de The Flow qui s’inspire de la soul food américaine. Avec une stratégie digitale active, marquée par une présence quotidienne sur Instagram, mais surtout sur TikTok, principal moteur de recherche, le CEO veut gommer les frontières pour mieux viser l’Afrique. “Nos plats sont sénégalais, maliens voire gambiens car ils reprennent la même base. Mais contrairement à ce qu’on croit, en Afrique, par exemple à Dakar, peu de restaurants proposent un thieboudienne, un mafé ou encore un poulet yassa aux standards internationaux” observe-t-il. Fort de ce constat, ses associés et lui négocient actuellement avec des investisseurs pour une installation à Abidjan, en Côte d’Ivoire, et à Douala, au Cameroun.
Présenté comme la première chaîne de restauration africaine mondiale, Afrik’N’Group promeut une vision ambitieuse du marché. Dans leurs bureaux, situés dans la Tour d’Asnières, aux portes de Paris, Kader gère, entre autres, le marketing et la formation du personnel, soit une équipe de 60 à 80 personnes, composée de managers, de chefs d’équipes, de cuisiniers et de serveurs. Ce succès s’appuie sur un marché en pleine expansion. Les chiffres parlent d’eux-même. La cuisine africaine est l’une des plus représentées dans les assiettes des restaurants français, selon une étude de Gira Conseil, expert de la consommation alimentaire. Le chiffre d’affaires de ce marché, tous segments confondus, s’élève à 50,4 milliards d’euros en France, et atteint 90 milliards d’euros, toujours selon Gira Conseil, en incluant l’ensemble du marché de la restauration (hôtels, cantines, …).
Je suis aligné, fier de mes origines africaines et, en même temps, fier d’être Français. Ce n’est pas antinomique
S’il s’investit aujourd’hui totalement dans le business de la restauration, le dirigeant de 38 ans n’en est pas à sa première entreprise. Déjà, à l’âge de 18 ans, alors que le père de son ami travaille dans le bâtiment, les deux acolytes lancent une entreprise de nettoyage de chantiers. Une première expérience rude, mais formatrice. “J’ai beaucoup appris. Et j’ai vite compris que l’entrepreneuriat coulait dans mes veines”. Il enchaîne en organisant des soirées de stand-up à Paris, puis à Cannes et en Tunisie, à Hammamet et à Sousse, pendant trois ans.
Quand il a fallu réinvestir, il a fait le choix judicieux, à 21 ans, sur les conseils avisés de son cousin, de lancer K Energie, une entreprise de solutions en énergie renouvelable. Grâce à la pose de pompes à chaleur, de panneaux photovoltaïques et autres, il emploie jusqu’à une quinzaine de personnes et engrange un chiffre d’affaires d’un million d’euros. Une belle réussite qui lui permet d’investir sereinement dans la restauration rapide africaine.
Né en France, de parents sénégalais, Kader Jawneh appartient à cette diaspora qui entreprend entre les deux rives. “Je suis aligné, fier de mes origines africaines et, en même temps, fier d’être Français. Ce n’est pas antinomique. Opposer ces deux cultures n’a pas de sens” explique celui qui fut membre de la délégation française de la Young Entrepreneur Alliance au G20 (G20 YEA), en Inde, en juillet dernier. “Tout le monde sait que l’Afrique est non seulement le continent du futur mais surtout celui du présent. Chacun veut sa part du gâteau. Aujourd’hui, je pense sincèrement que notre double culture représente une force. Ce n’est malheureusement pas ce qui est véhiculé en France, en particulier dans certains médias qui diffusent des discours de haine” déplore-t-il, à chaque fois qu’il rentre à Paris. “Mettre en valeur la diaspora changerait énormément la donne et aiderait la France à repenser sa position en Afrique en adoptant un rapport win-win. Je sais qu’à mon niveau, à travers la cuisine qui est un vecteur très important de la culture, on peut passer énormément d’idées”
L’idée est de nous unir pour promouvoir ensemble le secteur, partager les bonnes pratiques et acheter en commun dans le cadre de négociations groupées
Très actif dans le réseautage et les instances entrepreneuriales, Kader Jawneh a lancé en octobre l’Union des métiers de bouche africains (UMBA). En quelques semaines seulement, quatre-vingt restaurateurs, traiteurs, épiciers et acteurs de l’afro-food l’ont rejoint. “Nous espérons dépasser la centaine d’adhérents rapidement. L’idée est d’unir les professionnels de la cuisine africaine pour promouvoir ensemble le secteur, partager les bonnes pratiques et acheter en commun dans le cadre de négociations groupées pour obtenir une assise confortable” détaille-t-il.
“Certes, nous nous retrouvons parfois entre concurrents, mais la terre est vaste. Faisons en sorte d’augmenter la taille du marché, et tout le monde aura sa place”. Des restaurateurs installés en Belgique ou en Turquie ont aussi rejoint l’UMBA. “Cela donne au mouvement une portée internationale, c’est hyper intéressant et enrichissant” s’enthousiasme-t-il. “On nous a souvent divisés, mais la jeune génération dont je fais partie a compris qu’ensemble, on ira tous plus loin”.
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