Derguene Mbaye : “La percée de l’IA en Afrique passera par les langues locales”
Derguene Mbaye figure parmi les pionniers de l’intelligence artificielle en Afrique. Depuis 2018, ce jeune Sénégalais, ingénieur en Traitement du Langage Naturel (NLP), œuvre dans le secteur à travers Baamtu technologies et GalsenAI. Portrait.
Par Dounia Ben Mohamed
C’est avant tout un passionné de technologie. Mais pas seulement. Ce qui motive le jeune Sénégalais Derguene Mbaye, c’est l’impact que peut avoir l’innovation sur la vie de ses concitoyens. Rien d’étonnant à ce que très vite, il s’intéresse à l’intelligence artificielle (IA). Dès ses études universitaires, il s’est enthousiasmé pour la technologie en s’impliquant activement dans des projets parascolaires liés à l’informatique. Chef de projet informatique alors qu’il était à l’université, il est désormais le secrétaire général de la cellule sénégalaise de l’Internet Society et co-fondateur de GalsenAI, la plus grande communauté de passionnés de la science des données et d’intelligence artificielle (IA) au Sénégal, regroupant actuellement deux mille membres actifs. « Notre objectif est de réaliser des activités de promotion et de vulgarisation de l’IA au Sénégal. C’est une mission qui nous tient à cœur, et nous travaillons en partenariat avec des acteurs clés tels que Google pour renforcer les capacités et promouvoir l’IA dans notre communauté » explique Derguene Mbaye.
Ingénieur-chercheur en traitement du langage naturel (NLP), Derguene Mbaye travaille à Baamtu, un groupe d’entreprises spécialisé dans l’ingénierie logicielle, l’automatisation de processus et la valorisation de données. Il poursuit sa passion pour l’IA tout en contribuant au développement de son écosystème au Sénégal. En parallèle, il poursuit un doctorat en informatique à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) et travaille sur des systèmes de dialogue en langue wolof, l’une des langues du Sénégal qui, à terme, pourraient grandement contribuer à réduire la fracture numérique du continent. Selon lui, « si on arrive aujourd’hui à faire en sorte que ces populations utilisent ces applications dans leur propre langue, cela peut combler le fossé et avoir un impact énorme en termes d’inclusion numérique mais aussi financière ».
L’IA doit être le résultat d’une intelligence collective
Son expertise et son engagement ont valu à Derguene Mbaye d’être sollicité par les autorités sénégalaises pour participer à l’élaboration de la stratégie nationale en matière d’IA. « Je suis très actif dans l’écosystème de mon pays, notamment dans le travail de vulgarisation que l’on mène depuis 2018 avec l’association. L’IA doit être le résultat d’une intelligence collective, impliquant experts, décideurs, entrepreneurs, afin d’intégrer tous les avis dans une stratégie cohérente. »
Ce développement national de l’IA devra passer par un accompagnement des acteurs locaux, les jeunes en premier lieu, en termes de renforcement des compétences, de financement, et d’équipement. « Renforcer la formation de la jeunesse en matière de numérique et d’IA est un enjeu majeur. Nous travaillons sur des programmes concrets avec des partenaires tels qu’Expertise France pour répondre à cette demande croissante en compétences. »
En ce qui concerne les débats sur l’éthique et la souveraineté, Derguene Mbaye aborde la question avec pragmatisme, soulignant les avantages de l’ouverture tout en restant conscient des enjeux d’indépendance. « Aujourd’hui, est-il possible de faire sans les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ? Il suffit de regarder Gaia X de l’Union européenne, un projet qui se veut souverain mais qui a fini par intégrer Microsoft. Je pense qu’il y a des inconvénients comme des avantages. L’ouverture est intéressante tant que l’on est conscient des enjeux en matière de souveraineté » argumente-t-il. Faut-il ralentir le rythme pour se poser les questions sur le plan éthique ? La réponse de Derguene est sans équivoque : « Ceux qui veulent ralentir sont ceux qui sont déjà en avance. Laissons à l’Afrique rattraper ce retard et nous pourrons ralentir comme tout le monde. »
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