Crypto-monnaies : l’intérêt s’accroît en Afrique malgré les résistances des gouvernements
Depuis leur apparition en 2009 avec l’invention du célèbre anonyme Satoshi Nakamoto, les crypto-monnaies intègrent de plus en plus les circuits financiers en Afrique, un continent pourtant réputé en retard en technologique. Au point qu’en 2022, la Centrafrique, après le Salvador, a adopté le bitcoin comme monnaie officielle.

Malgré l’engouement des populations pour ce nouveau système financier numérique, les États continuent d’y résister en adoptant des postures de rejet. Ils sont aidés en cela par des banques centrales qui sont quelque « dépassées par les événements ». ANA ouvre le dossier.
Bitcoin, Ethereum, Litecoin, XRP, Cardano, EOS et Monero sont quelques-unes des crypto-monnaies prisées par les Africains. C’est ce que révèle le rapport « The 2021 Chainalysis Global Crypto Adoption Index » de Chainalysis, société d’analyse blockchain, sur les 20 pays du monde ayant le plus adopté des crypto-monnaies en 2021. Le boom du marché des crypto-monnaies en Afrique est tel que le continent pulvérise des records d’adoption, de transfert de détail et d’utilisation de plateformes peer-to-peer (P2P). Chainalysis note une augmentation de plus de 1 200 % du marché des crypto-monnaies en Afrique se basant sur la valeur reçue en 2020.
L’intérêt des Africains pour les crypto-monnaies est donc en nette croissance. En 2021, Useful Tulips,une entreprise qui analyse ce marché, révèle que « le volume des transactions de l’Afrique subsaharienne en font la région du continent ayant acquis le plus de crypto-monnaies ». Bien plus, indique Useful Tulips, « les acquisitions subsahariennes sont supérieures de 50 % aux volumes en Asie-Pacifique et représentent trois fois celles de l’Amérique latine et deux fois les acquisitions de l’ensemble des autres pays du monde réunis ».
En Afrique, les crypto-monnaies sont une alternative aux politiques désastreuses des banques centrales
L’internet est à l’origine de la ruée des Africains vers cette nouvelle technologie monétaire. En effet, dans son rapport 2021, l’Union internationale des Télécommunications (UIT) relève que le taux de pénétration de l’internet en Afrique est de 40%. Avec une progression de 43% de décembre 2021 à Juin 2022, selon l’Internet Society qui indique que « la pandémie de Covid-19 a accru l’importance capitale d’internet en Afrique ». Et par effet induit, l’adoption des crypto-monnaies dans plusieurs pays du continent.
L’internet n’est pas le seul facteur qui facilite l’adoption des crypto-monnaies en Afrique. Selon Rakesh Sharma, journaliste en économie et technologie, les citoyens des pays frappés par une forte inflation sont susceptibles d’opter pour la crypto-monnaie. « Les crypto-monnaies, fondées sur un principe de décentralisation, offrent une alternative aux politiques désastreuses des banques centrales », indique-t-elle.
Selon gobitcoin.io, un site d’information sur le Bitcoin en Afrique, « il n’est donc pas surprenant que certains de ces pays comptent parmi les principaux utilisateurs de Bitcoin en Afrique, qui sont le Botswana, le Ghana, le Kenya, le Nigéria, l’Afrique du Sud et le Zimbabwe ». Même observation du côté de la BBC qui note que « le Bitcoin gagne aussi du terrain en Ouganda ».
L’urgence d’une régulation
Pour les pays africains, les crypto-monnaies ne sont pas légales, n’étant émises ni par leur soin ni par une banque centrale
La ruée des pays africains vers les crypto-monnaies n’est pas sans conséquences. La volatilité de ces monnaies virtuelles et leur impact sur les économies, ainsi que l’absence de transparence et d’un cadre réglementaire suscitent le débat. En Afrique, les gouvernements estiment que « les crypto-monnaies ne sont pas des monnaies légales du fait que ces actifs numériques ne sont pas émis par leur soin ou par une banque centrale ». Malgré l’enregistrement des transactions réalisées en crypto-monnaies dans un registre public favorisant leur traçabilité, les gouvernements africains soulèvent des questions de transparence. Et pour cause, excipent-ils, « la capacité d’anonymisation de ces transactions peut favoriser le développement d’activités illicites du fait que lesdites transactions ne permettent pas de répondre aux obligations en matière de connaissance du donneur d’ordre et du bénéficiaire ».
Face à cette situation, des pays comme le Maroc, la Zambie, l’Algérie, la Libye, le Nigeria, le Lesotho, l’Egypte, le Zimbabwe, la Namibie ont interdit à tout organisme bancaire et financier agréé de proposer ou de faciliter les transactions en crypto-monnaies. D’autres pays préfèrent garder leurs distances avec le secteur des crypto-monnaies.
Malgré l’appel de certaines autorités africaines à réglementer le secteur des crypto-monnaies, aucune évolution ne se dessine dans ce sens
Au Fonds monétaire international (FMI), on est également préoccupé par l’engouement des pays pour les crypto-monnaies. Bo LI, son directeur général adjoint en charge des questions de politique économique dans 90 pays, et Nobuyasu Sugimoto, le chef adjoint de la division de la supervision et de la réglementation financières au sein du département des marchés monétaires et de capitaux, ont commis en janvier 2023 une tribune intitulée « Technologies financières : Effets de contagion des crypto-actifs ». Dans laquelle ils appellent les autorités de réglementation internationales à agir rapidement pour [en] limiter les risques. Les deux experts estiment que « le renforcement de la réglementation et du contrôle financier, ainsi que l’élaboration de normes internationales peuvent contribuer à soulager de nombreuses inquiétudes concernant les crypto-actifs. Du fait de leur caractère intersectoriel et transfrontalier, on ne peut plus se contenter de suivre des mesures nationales non coordonnées. Afin de garantir la réussite d’une approche internationale, il faudra s’assurer que cette réglementation évolue parallèlement au contexte et aux risques ». « Malgré l’appel de certaines autorités (en Afrique du Sud, au Malawi, en Ouganda ou encore en Tunisie) à réglementer le secteur et les usages des crypto-monnaies, aucune évolution notable ne semble se dessiner dans ce sens pour l’instant », écrivent Fortuné B. Ahoulouma et Fabien Lawson, deux avocats au barreau de Paris et associés LABS-NS Avocats, dans une tribune qu’ils cosignent en novembre 2021. Ils affirment que « cette situation est source de confusion dans différents pays ou espaces sous régionaux ». Notamment dans les États membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), dans ceux de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA), en Tunisie ou encore au Zimbabwe.