“Transformation locale du cacao : opportunités pour les artisans chocolatiers”, tel était le thème de la 8ème édition de la Journée nationale du cacao et du chocolat (JNCC), organisée par le gouvernement ivoirien, en prélude à l’ouverture de la campagne de commercialisation dans le pays. L’occasion d’établir un état des lieux des grands défis du secteur.
Par Issiaka N’Guessan, à Abidjan
D’entrée de jeu, le ministre ivoirien de l’Agriculture et du développement rural a planté le décor. “Cette journée se tient dans un contexte mondial marqué par la crise russo-ukrainienne qui touche tous les marchés agricoles. Tandis que les prix des intrants agricoles ont fortement augmenté, les prix des produits ont chuté sur les marchés internationaux”. Une tendance paradoxale préoccupante a estimé Kobenan Kouassi Adjoumani, à l’occasion de la Journée nationale du cacao et du chocolat (JNCC). Cet évènement s’est tenu le 30 septembre dernier et a réuni plusieurs centaines de personnes. Il marque le début de la campagne de commercialisation de la campagne café-cacao, mamelles de l’économie ivoirienne.
Kobenan Kouassi Adjoumani a reconnu que “le contexte international appelle à une accélération des initiatives en faveur de la modernisation du secteur agricole et de la transformation de nos produits agricoles sur place”. Pour ce faire, il a souligné les efforts consentis par le gouvernement ivoirien, en soutien aux cacaoculteurs. Parmi les mesures prises : le déblocage de 17 milliards de francs CFA (26 M d’euros) pour soutenir la filière face aux effets de la pandémie de Covid et un soutien aux producteurs à hauteur de 134 milliards de francs CFA, (205 M d’euros) afin de compenser la chute des prix.
La Côte d’Ivoire redevient ainsi le premier producteur à l’échelle internationale et assure 40% de l’offre mondiale de la fève de cacao
A eux seuls, le cacao et le café représentent la moitié des exportations de la Côte d’Ivoire. Le pays, selon des chiffres de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), relayés par le Conseil du café-cacao (CCC), a produit, en 2020, plus de deux millions deux cent mille tonnes de fèves de cacao contre 1 301 347 tonnes en 2010. La Côte d’Ivoire redevient ainsi le premier producteur à l’échelle internationale et assure 40% de l’offre mondiale de la fève de cacao. Le binôme café-cacao représente 15% du produit intérieur brut (PIB) ivoirien, et une part importante du budget de l’Etat, en 2023, lequel s’établit à plus de onze milliards de francs CFA (16 M d’euros).
A ce sujet, Kobenan Kouassi Adjoumani a invité la jeunesse ivoirienne à adopter un esprit “entrepreneurial et d’innovation dans la dynamique de la transformation par la valorisation de tous les produits pouvant être tirés de la fève de cacao, afin de devenir des champions nationaux du cacao et du chocolat”. Une jeunesse, présente en nombre au forum et désireuse de s’impliquer dans ce secteur.
« Il n’est pas normal de produire du cacao et de l’acheter au prix fort »
Dans les allées du salon, Fulgence Kouadio, artisan au Chocolatier ivoirien, une marque locale, estime qu’il “n’est pas normal de produire du cacao et de l’acheter au prix fort”. Autre stand, même constat. Pour Tio Mamba, salarié du groupe français Cémoi, “il faut intégrer le chocolat dans le quotidien des Ivoiriens. En tant que premier producteur de cacao, la Côte d’Ivoire ne consomme pas assez de chocolat. La majorité de notre production est exportée et transformée dans d’autres pays.”
De son côté, nouvellement venu dans le milieu, Fulbert Koffi, soutient que “le cacao constitue un espoir pour la Côte d’Ivoire mais il faudrait que ce pays change de paradigme car produire exclusivement des fèves ne lui garantit pas un meilleur avenir, comparé aux pays qui transforment et vendent directement aux consommateurs”. Selon lui, “les pouvoirs publics sont dans une logique de production et d’exportation. Or, cela ne garantit pas de plus-value. Il faut changer de stratégie. Se contenter du droit unique de sortie (DUS), prélevé sur les fèves de cacao, soixante-deux ans après l’indépendance ne suffit plus.” Fulbert Koffi recommande “un transfert de technologies” car, “tant que des multinationales achètent et transforment la matière première pour nous la revendre, rien n’aura changé.”
“Le défi majeur est d’avoir nos propres normes de certification”
Obed Blondé Doua préside l’association des producteurs et organisations professionnelles agricoles de l’Ouest montagneux. Cette organisation mobilise un peu plus de cinq cents cacaoculteurs dans la région de Man, à 580 Km d’Abidjan, la capitale économique. Obed Blondé Doua a un regard critique sur les défis attendus par les producteurs de base du café et du cacao en Côte d’Ivoire. “Je salue toutes les réformes mises en place sur la question de la durabilité, et de la traçabilité, mais, pour nous, cacaoculteurs, aujourd’hui, le défi majeur est la création de nos propres normes de certification” fait-il savoir.
Selon Obed Doua Blondé, cette labellisation permettra aux producteurs de bénéficier des primes et incitera l’Etat à respecter les prix qu’il a lui-même fixés, sans moyen de suivi.
Autre défi attendu par les producteurs ivoiriens : “la question de la transformation locale grâce aux coopératives. Ces initiatives ont besoin d’être soutenues par l’Etat. Il faut un fonds public pour que la transformation soit à l’initiative des producteurs” recommande Obed Blondé Doua.
“Dans le contexte du changement climatique, la modernisation du secteur peut contribuer à l’accroissement des rendements par l’adoption de stratégies agro-écologiques, notamment le reboisement”
“Si l’initiative de la petite transformation revient aux multinationales, les dividendes leur reviendront. La poudre de cacao et le beurre peuvent se faire dans toutes les coopératives, ne serait-ce qu’à 30%, et elles pourraient avoir assez de rendements” soutient cette voix du monde paysan. “Il faut qu’un pan de la filière revienne aux acteurs nationaux, que la transformation soit à l’initiative des coopératives, à ce moment, nous pourrons produire une valeur-ajoutée. Sinon le producteur sera toujours lésé” soutient Obed Blondé Doua.
“Toute amélioration des revenus agricoles devrait stimuler la demande qui s’adresse aux secteurs de biens de consommation et d’investissement, d’une part et accroître l’épargne nationale” analyse le docteur Assi Tano Maxime, enseignant-chercheur en économie à l’université Peleforo Gon Coulibaly de Korhogo. “Sur le plan socio-économique, bien que la cacao-culture fournisse un revenu à un cinquième de la population, elle contribue très peu à l’amélioration des conditions de vie des producteurs dont la plupart vivent aujourd’hui en dessous du seuil de pauvreté”.
Pour relancer la production locale, le chercheur préconise que les acteurs du secteur se saisissent de la question majeure du dérèglement climatique. “La modernisation du sous-secteur agricole du cacao peut contribuer à l’accroissement des rendements par l’adoption de stratégies agro-écologiques, notamment le reboisement.” Et d’ajouter : “l’exigence des consommateurs en matière de lutte contre la déforestation et le travail des enfants dans la cacao-culture nécessite la mise en place d’un système de traçabilité pour garantir un cacao responsable auprès de ces derniers.”