Combler le fossé : les infrastructures de transport, moteur économique de l’Afrique
Dans cette tribune, Ayodeji Stephen, spécialiste en hydrogène et mobilité électrique, met en lumière le rôle central des infrastructures de transport comme levier essentiel du développement économique africain. Selon lui, combler les déficits actuels est une urgence pour favoriser la croissance, l’intégration régionale, l’inclusion sociale et la durabilité environnementale.

Par Ayodeji Stephen*
Le potentiel économique de l’Afrique repose sur sa capacité à déplacer efficacement les biens, les personnes et les idées — pourtant, ses infrastructures de transport constituent un goulet d’étranglement majeur. Des routes dégradées, des réseaux ferroviaires vieillissants et des ports sous-développés freinent le commerce, limitent la création d’emplois et compromettent la durabilité sur le continent.
Plus de 640 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité, avec un taux d’accès d’à peine plus de 40 %, le plus bas au monde (BAD, 2015). Cela illustre bien le niveau de déficit d’infrastructures qui entrave le développement économique africain.
Selon la Banque mondiale, des infrastructures de transport insuffisantes réduisent la productivité de l’Afrique jusqu’à 40 %, une perte colossale qui maintient les économies fragmentées et peu compétitives à l’échelle mondiale. À l’inverse, des réseaux de transport efficaces, englobant routes, chemins de fer et ports, peuvent générer des gains significatifs : stimuler le PIB, relier les producteurs ruraux aux marchés urbains, et soutenir des objectifs écologiques tels que la réduction des émissions.
La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), lancée en 2021, accentue cette urgence, avec des projections d’une hausse de 28 % de la demande de fret d’ici 2030 (CEA, 2022). Par ailleurs, les tendances mondiales vers la décarbonation exigent des solutions durables, incluant les véhicules électriques et les chemins de fer à faible empreinte carbone, pour aligner l’Afrique sur ses engagements climatiques.
Ce texte défend que les investissements stratégiques dans des infrastructures de transport durables ne sont pas une option, mais une nécessité pour libérer le potentiel économique africain. En se concentrant sur des domaines prioritaires tels que la connectivité et l’innovation, le continent possède l’avantage unique de transformer son déficit en infrastructure en moteur de croissance, de commerce et de résilience.
Le déficit des infrastructures de transport en Afrique
Le potentiel économique de l’Afrique est immense, mais il est freiné par un obstacle profond : des infrastructures de transport faibles. Bien que le continent abrite certaines des économies à la croissance la plus rapide et une population en forte expansion, son ossature de transport reste fragile.
Cette faiblesse est particulièrement visible dans les infrastructures routières. Les recherches montrent que seulement 47 % des routes africaines sont pavées, un chiffre inférieur à la moyenne mondiale (Banque mondiale, 2010). Cette faible couverture routière freine l’accès aux marchés, aux soins, à l’éducation et à l’emploi, notamment dans les zones rurales et enclavées.
Les conséquences sont vastes. Des réseaux routiers dégradés augmentent le coût des échanges, nationaux comme internationaux. Les marchandises expédiées sur de longues distances sont retardées par des routes en mauvais état, des points de contrôle fréquents et des passages frontaliers lents.
Le commerce intra-africain est l’un des plus coûteux au monde, selon la Banque mondiale (Banque mondiale, 2010). Les coûts de transport en Afrique sont 63 % plus élevés que dans les pays industrialisés. Ces coûts représentent entre 30 % et 50 % de la valeur totale des exportations africaines, contre une moyenne de 17 % dans d’autres pays émergents (BAD, 2013).
La CNUCED affirme qu’entre 2005 et 2014, les pays africains payaient en moyenne 11,4 % de la valeur des importations pour le transport international, soit plus que toutes les autres régions. Peu de choses ont changé depuis. Ce coût exorbitant rend les entreprises africaines moins compétitives et diminue l’attractivité de l’intégration régionale, pourtant essentielle pour atteindre les objectifs de la ZLECAf (CEA, 2022).
De plus, les villes africaines sont de plus en plus confrontées à des infrastructures de transport urbain inadéquates et vieillissantes. Des villes comme Lagos, Nairobi et Kinshasa souffrent quotidiennement de congestion, de transports publics inefficaces et d’un taux élevé d’accidents (ONU-Habitat, 2020).
Ces problèmes affectent particulièrement les quartiers pauvres, qui doivent subir des trajets longs et coûteux. Le manque d’investissements dans les infrastructures pour les modes de déplacement non motorisés, tels que les trottoirs et pistes cyclables, limite également la mobilité et perpétue l’exclusion sociale.
Outre les inefficacités économiques et les injustices sociales, ce déficit a un coût environnemental. La forte dépendance de l’Afrique aux véhicules anciens et gourmands en carburant, combinée à des réseaux routiers dégradés, se traduit par des émissions accrues de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques (BAD, 2022).
Les émissions dues au transport urbain augmentent rapidement, aggravées par les ralentissements et embouteillages (AIE, 2021). Faute d’investissements dans le rail ou les modes de transport propres, l’Afrique risque de s’engager dans des systèmes de transport carbonés, en contradiction avec ses objectifs climatiques définis dans l’Accord de Paris.
Combler ce déficit en infrastructures de transport n’est pas seulement une question de développement économique — c’est aussi une question d’inclusion sociale, de durabilité environnementale et d’intégration régionale.
La solution repose sur une approche globale impliquant un engagement accru des pouvoirs publics, des mécanismes innovants de financement (comme les partenariats public-privé) et des cadres politiques robustes favorisant des systèmes de transport inclusifs et bas carbone.
Plus précisément, il s’agit d’investir dans la construction de routes résilientes au changement climatique, de développer les infrastructures ferroviaires et les transports en commun, et de promouvoir les technologies numériques pour la gestion logistique. L’harmonisation des politiques de transport au sein des régions afin de faciliter la libre circulation des biens et des personnes est également cruciale.
Le défi des infrastructures de transport en Afrique est grand, mais pas insurmontable. Par une planification adéquate et un effort collectif, le continent peut transformer ses routes, ses réseaux ferroviaires et ses systèmes de transit en moteurs de croissance inclusive et de développement durable.
Tirer parti des transports pour la croissance
Le bénéfice le plus immédiat des infrastructures de transport accrues est probablement la connectivité et le commerce. De meilleures routes, des chemins de fer modernes, des ports efficaces et des réseaux logistiques informatisés sont nécessaires pour concrétiser cette promesse.
Une meilleure infrastructure facilite le commerce transfrontalier, réduit les délais, baisse les coûts logistiques et connecte les fabricants à des marchés plus larges, notamment dans les zones enclavées et rurales (CEA, 2022).
Une connectivité fluide entre les pays africains pourrait libérer des milliards de dollars en commerce, accroître le PIB et stimuler les investissements dans les chaînes de valeur industrielles et agricoles (BAD, 2022).
Outre l’efficacité économique, les infrastructures de transport constituent un socle solide pour l’innovation verte. Face à la crise climatique mondiale, l’Afrique peut accélérer sa croissance en investissant dans des transports bas carbone.
Le développement de l’usage des véhicules électriques (VE), combiné à des transports à hydrogène pour le fret et les transports en commun, ainsi que des infrastructures favorisant la marche, le vélo et les transports publics propres, peut considérablement réduire les émissions (AIE, 2022).
Cela contribuera aux ambitions climatiques de l’Afrique dans le cadre de l’Accord de Paris, créera des emplois verts, améliorera la qualité de l’air urbain et réduira la dépendance aux importations de combustibles fossiles (BAD, 2022).
Il est également crucial d’impliquer les jeunes dans la construction du futur transport durable de l’Afrique. Avec plus de 60 % de sa population âgée de moins de 25 ans, investir dans les compétences, la créativité et le leadership des jeunes professionnels est une priorité stratégique (ONU, 2023).
Associer les jeunes à la planification des transports, à la conception des politiques, aux innovations numériques en mobilité et au développement d’infrastructures vertes favorise l’appropriation, assure la résilience à long terme et ouvre des voies vers l’emploi dans des secteurs émergents.
Des start-ups locales développant des applications de mobilité aux étudiants en ingénierie testant des bus solaires, les jeunes transforment déjà le secteur des transports à travers le continent.
Le potentiel africain des transports en action
Le potentiel africain dans les transports est déjà illustré par des projets visionnaires et des innovations prometteuses. C’est le cas du réseau autoroutier transafricain (TAH), un projet en cours visant à connecter les grandes villes et pôles économiques du continent.
Composé de neuf autoroutes couvrant plus de 60 000 kilomètres, ce réseau devrait renforcer l’intégration régionale, réduire les temps et coûts de transport, et améliorer le commerce transfrontalier (UA, 2014).
En reliant les pays enclavés aux terminaux portuaires et en harmonisant les réseaux routiers, ce réseau soutient les ambitions de la ZLECAf et constitue un modèle pour l’intégration régionale (CEA, 2022).
Au-delà des infrastructures traditionnelles, l’Afrique connaît aussi une montée des solutions intelligentes combinant technologie et systèmes de transport.
Par exemple, l’Internet des objets (IoT) est utilisé dans la gestion du trafic urbain à Kigali et Nairobi (Banque mondiale, 2021). Ces technologies exploitent capteurs, GPS et analyses de données en temps réel pour surveiller les embouteillages, optimiser la circulation et améliorer la satisfaction des usagers.
Ces innovations répondent aux défis de mobilité urbaine tout en attirant l’attention de la population jeune et connectée d’Afrique (ONU-Habitat, 2020).
Elles illustrent comment une approche hybride, mêlant infrastructures majeures et innovations numériques, peut offrir des bénéfices à court et long termes.
Pour transformer les infrastructures de transport africaines en moteur de croissance économique, un cadre politique stratégique, durable et inclusif est indispensable. Les recommandations clés incluent :
1. Augmenter les investissements publics et privés
Mobiliser des ressources financières accrues via des partenariats public-privé, des fonds verts et des instruments financiers innovants. Développer des mécanismes de financement adaptés à la réalité africaine.
2. Promouvoir des infrastructures durables et résilientes
Intégrer la durabilité dans chaque projet, en utilisant des matériaux recyclés et des technologies vertes. Aligner les plans nationaux sur les objectifs climatiques.
3. Harmoniser les politiques régionales
Les 55 pays africains doivent adopter des cadres réglementaires unifiés pour faciliter la libre circulation. Simplifier les procédures douanières et coordonner les normes techniques.
4. Valoriser les jeunes et les femmes
Offrir des formations, des soutiens entrepreneuriaux et des programmes de leadership pour accroître leur participation dans le secteur. Encourager les hubs d’innovation et incubateurs.
5. Exploiter la technologie et les données
Soutenir les infrastructures intelligentes, la gestion du trafic en temps réel, les péages électroniques et le suivi numérique des marchandises. Favoriser l’ouverture des données et la cybersécurité.
Conclusion : un défi à saisir pour l’Afrique
L’Afrique est à un tournant. Avec l’une des populations les plus jeunes et la croissance urbaine la plus rapide au monde, son déficit d’infrastructures est une difficulté majeure, mais aussi une opportunité unique.
Les infrastructures de transport sont la colonne vertébrale de l’intégration économique, de l’inclusion sociale et de la résilience climatique.
Investir avec intelligence et stratégie aujourd’hui, c’est libérer le potentiel du continent, à travers :
- La stimulation du commerce intra-africain et du PIB
- La réduction des coûts et délais dans le transport
- La création de millions d’emplois décents dans la construction, la technologie verte et l’innovation numérique
- La livraison de solutions inclusives, bas carbone et résilientes
- L’autonomisation des jeunes et des femmes en acteurs de la mobilité durable
L’appel est clair : gouvernements africains, secteur privé, partenaires de développement et société civile doivent unir leurs forces pour accélérer le développement des infrastructures.
En comblant le fossé du transport, l’Afrique peut transformer son économie et s’imposer comme un leader mondial pour un avenir prospère, inclusif et durable.
Lire le rapport : https://theelectricityhub.com/wp-content/uploads/2025/05/Bridging-the-Gap-Transport-Infrastructure-as-Africas-Economic-Catalyst.pdf
*Ayodeji Stephen est spécialiste en hydrogène et mobilité électrique, engagé dans le développement des infrastructures. Il est doctorant à Dublin City University, où il travaille sur la décarbonation des transports.