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Banque mondiale, dividende démographique et développement en Afrique

Lors d’un symposium de haut niveau sur le dividende démographique et le développement en Afrique, Louise Cord, directeur des opérations de la Banque mondiale pour le Sénégal, la Mauritanie, le Cap-Vert, la Gambie et la Guinée-Bissau est intervenu afin de partager son analyse. Zoom sur ses constats.

Louise Cord, directeur des opérations de la Banque mondiale pour le Sénégal, la Mauritanie, le Cap-Vert, la Gambie et la Guinée-Bissau souligne le fait qu’aujourd’hui, bien que l’Afrique n’échappe pas à la tendance du vieillissement de la population, elle est moins concernée par ce facteur que les autres parties du globe, par rapport à son taux de croissance. Louise Cord estime d’ailleurs que « l’Afrique subsaharienne sera bien la locomotive de la croissance démographique mondiale, d’ici à 2050, puisqu’elle va engendrer plus de 50% de la croissance mondiale de la population et avec une croissance de 2,5% par an de sa population active, c’est-à-dire les hommes et les femmes qui ont entre 15 et 64 ans ».

La structure d’âge, un atout

Comme l’indique Louise Cord, le défi pour l’Afrique réside dans la structure d’âge des populations. « Cette structure d’âge peut être mesurée grâce au ratio de la population active par rapport aux dépendants. Dans tous les pays émergents, ce ratio s’est accru à 2 ou 2,5. Cependant, en Afrique, il se maintient à 1,2, et sa croissance reste très lente et est prévue de monter jusqu’à 1,6 en 2050 », a-t-elle indiqué. Par ailleurs, elle n’a pas manqué de souligner le fait qu’une faible proportion de la population active constitue « une pression importante pour l’État » et peut l’empêcher de profiter du dividende démographique. Selon elle, les dépendants représentent un nombre très important sur le continent. Ce nombre engendre d’ailleurs, de fortes dépenses sociales, surtout en matière d’école et de services de santé. L’importance du nombre de dépendants freine aussi l’épargne et l’investissement dans l’économie. Ce facteur réduit l’amélioration de la productivité. En revanche, le nombre relativement restreint d’actifs constitue une contrainte pour les recettes fiscales.

Le dividende démographique, une source de croissance accélérée

La Banque mondiale démontre que le dividende démographique peut devenir une source de croissance accélérée et de réduction de la pauvreté. Ce constat a notamment été réalisé auprès des pays du sud-est asiatique. Dans cette région, le taux annuel de croissance économique est passé de 2.32% à 4.32% sur la période de 1970 à 2000, et cela est uniquement attribué au dividende démographique. Cependant, le dividende démographique nécessite des politiques publiques favorisant, non seulement, une transition rapide de la fertilité ainsi que l’émergence d’une force de travail active, qualifiée. Ce dividende démographique n’est donc pas automatique. « C’est d’ailleurs la faible efficacité de ces politiques publiques qui font que plusieurs pays africains ne récoltent pas les fruits d’un dividende démographique aussi élevé.

L’approche des comptes nationaux de transfert (NTA) a récemment été utilisée par le Centre de Recherche en Economie et Finance Appliquées de Thiès dans plusieurs pays du Sahel avec des fonds de la Banque et notamment le projet SWEDD pour estimer l’importance du dividende démographique actuel », indique Louise Cord. Elle a souligné le fait que de nombreux pays du Sahel, à l’exception du Niger, « sont en train d’ouvrir leur fenêtre de dividende démographique avec une baisse du taux de fertilité ». Elle a aussi signalé que le dividende démographique reste faible, à l’instar du Sénégal. En effet, là-bas le taux de dépendance est le plus élevé par rapport à celui des pays de la sous-région. « On estime que le dividende démographique contribue seulement pour un demi-point de la croissance économique, alors qu’il devrait atteindre au moins un point entier ou plus. Un taux de fertilité trop élevé à 5 naissances pour chaque femme, avec un manque d’emplois de qualité pour la population active limite le dividende démographique au Sénégal », a-t-elle indiqué. Pour elle, les priorités qui permettront l’accélération de la réalisation du dividende démographique doivent commencer par accélérer la transition de la fécondité et améliorer l’accès au travail de qualité. Elle conclut que la transition de la fertilité devrait être causée par une baisse de la mortalité infantile. C’est d’ailleurs le cas, en Afrique subsaharienne. La région, connaît un déclin de la mortalité infantile et la baisse la plus rapide concerne le Sénégal. Par ailleurs, les taux de fécondité n’ont pas grandement baissé ou ont baissé très lentement. « Pour redresser le taux de fécondité, des investissements majeurs sont nécessaires, non seulement en ce qui concerne les services de santé de la reproduction, mais aussi pour l’autonomisation des femmes et des jeunes filles. Sans compter l’accès et qualité de l’éducation », a-t-elle indiqué. C’est cette stratégie qu’à adopté le Bangladesh. Lors de ce symposium il a été démontré que ce pays a réussi, en faisant passer le taux de fécondité de 6,8 en 1975 à 2,3 en 2011. Cette baisse de fécondité est associée à l’implication très forte des leaders locaux et des chefs religieux, l’intégration de la planification familiale dans les services de santé et de nutrition maternelle et infantile, les approches axées sur les résultats, l’autonomisation des filles et des femmes, la réduction des mariages précoces, le maintien des filles à l’école, une forte croissance dans la formation des sages-femmes rurales, etc.
« Le Sénégal est dans une trajectoire marquée par un fort engagement politique qui peut engendrer des résultats rapides. En effet, son programme de planification familiale a entraîné la hausse du taux de contraception de 12% à 20% en moins de 4 ans, ce qui constitue un exploit, même s’il faut continuer les efforts pour atteindre un taux de contraception adéquate, donc entre 50% et 60% », a déclaré Louise Cord.

Sensibiliser les populations à la scolarité

« Je demeure convaincue que le Sénégal mettra l’accent davantage sur les populations les plus pauvres, car le taux de fécondité des 20% les plus pauvres est de 7 naissances par femme contre 5 en moyenne dans le pays. Quant au lien entre l’éducation et la fertilité, je ne vous apprendrais rien en vous disant qu’il est bien établi. Beaucoup de progrès ont été fait au Sénégal, pour améliorer l’accès à l’éducation », a ajouté Louise Cord. Pour elle, il est d’ailleurs nécessaire de « cibler les filles », surtout celles dont les situations sont les plus défavorables. Celles-ci terminent peu souvent leur cursus scolaire du primaire, 20% contre 60% pour les élèves issues de classes moyennes. Louise Cord propose d’appliquer des interventions critiques pour faire baisser le nombre d’abandons scolaires aux niveaux primaire et secondaire, notamment à travers les programmes de bourses et de transferts en espèces. « Les investissements dans le domaine de l’autonomisation des femmes et des jeunes filles sont également cruciaux ainsi que la facilitation de l’accès à l’emploi, en particulier pour les femmes et les plus pauvres. Le projet SWEED contribue avec des programmes éducation qui ciblent les filles, des programmes de formation dans les compétences de base, et avec la construction des espaces « safe » pour les filles et femmes vulnérables pour échanger sur leurs expériences et recevoir des formations », a-t-elle précisé. Elle reste persuadée que le continent africain est dans une posture propice à recevoir du dividende démographique du fait de l’ouverture récente des fenêtres ou de celles qui restent encore à ouvrir. Louise Cord n’a pas manqué de démontrer que l’Afrique peut s’inspirer de l’expérience d’autres continents. « Dans ce contexte, l’Asie nous apprend au moins trois leçons. Premièrement, l’action doit être multisectorielle, compte tenu du fait qu’un dividende démographique élevé requiert des investissements majeurs et des politiques adéquates en matière de santé de la reproduction et de l’enfant, d’éducation, d’autonomisation des femmes et de création d’emplois. Des pays comme la Corée ont suivi une approche à multiples phases qui ont inclus des efforts à plusieurs niveaux, y compris : la politique démographique, la stratégie de l’éducation et de développements des talents et les plans économiques globaux. Deuxièmement, l’engagement politique des dirigeants est un facteur-clé pour avancer sur cet agenda… La réussite du Bangladesh que j’ai mentionné était, en effet, fondé sur une vision nationale et un consensus fort avec le soutien des leaders politiques, religieux, économiques et sociaux, locaux et nationaux, pendant des décennies, donc bien au-delà des changements politiques.
Un réseau d’échanges entre pays comme celui soutenu par le projet SWEED avec des observatoires pour le dividende démographique et les échanges comme cette conférence peuvent jouer un rôle important pour renforcer l’engagement national et le dialogue visant à amorcer des politiques difficiles avec la société civile, les dirigeants religieux et les acteurs politiques. Troisièmement, il faut avoir la croissance économique. En effet, « pas de dividende démographique sans emploi de qualité et sans une croissance soutenue », a déclaré Louise Cord. Elle a repris l’exemple de l’Asie, dont le dividende démographique a été accompagné par de meilleures politiques dans le but d’améliorer le climat d’investissement, la qualité des institutions et des réformes structurelles qui ont rendu l’agriculture plus performante, l’énergie plus accessible et moins chère. Pour elle, le dividende démographique permettra certainement d’atteindre une croissance inclusive.

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