BADEA : une nouvelle ère pour le développement de l’Afrique
Avec un plan quinquennal 2025-2030 doté de 18,4 milliards de dollars, la BADEA accélère son engagement en faveur du développement africain. Son président, Sidi Ould Tah, revient sur les ambitions de cette stratégie, l’innovation financière et le rôle clé du partenariat entre l’Afrique et le Moyen-Orient dans la transformation économique du continent.
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Propos recueillis par Dounia Ben Mohamed
Monsieur Sidi Ould Tah, la BADEA s’apprête à franchir une nouvelle étape avec son plan quinquennal 2025-2030, doté d’un budget de 18,4 milliards de dollars, soit une augmentation de 120 % par rapport au précédent plan 2019-2024. Quels sont les axes stratégiques majeurs de ce nouveau plan et quel impact espérez-vous sur le développement du continent au cours des cinq prochaines années ?
En effet, le nouveau plan quinquennal de la BADEA, qui couvre la période 2025-2029 avec une allocation de plus de 18 milliards de dollars sur cinq ans, traduit l’engagement de nos actionnaires envers l’Afrique et leur volonté d’avoir un impact accru. Depuis cinquante ans, la BADEA et les autres institutions du Groupe Arabe de Coordination (NDLR : Groupe Arabe de Coordination – ACG) ont œuvré aux côtés des pays africains pour contribuer à leur développement économique et social.
Aujourd’hui, les besoins sont immenses. Avec une population jeune représentant entre 60 et 70 % de la population africaine, ces besoins sont également pressants. Les populations attendent des solutions immédiates. C’est pourquoi nous devons mobiliser davantage de ressources. Cette prise de conscience a conduit nos actionnaires à débloquer cette enveloppe. Mais nous ne nous limiterons pas à ces fonds, car nous travaillons en étroite collaboration avec les autres institutions du Groupe Arabe de Coordination, qui a annoncé l’an dernier une enveloppe de 50 milliards de dollars pour l’Afrique.
Le rôle de la BADEA est de développer le partenariat entre le monde Arabe et l’Afrique. C’est la raison même d’être de l’institution
Le secteur privé est aussi un acteur essentiel. Nous souhaitons que le secteur privé arabe joue un rôle croissant en Afrique, afin d’aider les pays africains à développer des chaînes de valeur dans tous les secteurs, à créer plus d’emplois et à améliorer les conditions de vie des populations.
Compte tenu de ses besoins, importants, divers, comment innover en matière de mécanismes de financement pour mieux répondre aux besoins croissants et aux réalités des pays africains ?
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C’est une question extrêmement importante parce qu’aujourd’hui l’innovation est au centre de la finance et c’est l’innovation qui guide aujourd’hui les solutions de financement et de développement.
Comme vous le savez, l’Afrique est un continent, elle n’est pas un pays unique : chaque pays a des réalités différentes qui appellent des solutions différenciées. Certains pays ont besoin de ressources concessionnelles, tandis que d’autres peuvent envisager des partenariats public-privé avec des conditions de financement proches du marché.
L’atout de la BADEA et du Groupe Arabe de Coordination réside dans leur capacité d’adaptation aux spécificités locales et leur faculté à innover pour proposer des solutions qui garantissent à la fois la soutenabilité financière des projets et celle de la dette des pays bénéficiaires.
Nous disposons aujourd’hui d’une large gamme de produits : dons, prêts très concessionnels, prêts ajustés aux conditions du marché, financements pour le secteur privé et les projets. La combinaison de ces instruments et l’utilisation des mécanismes de garantie permettent d’adapter chaque solution aux réalités du terrain.
L’Afrique est un continent mais ce n’est pas un seul pays et donc on a différentes situations et à différentes situations, différentes solutions…
Une petite parenthèse : proposez-vous aussi des produits de la finance islamique ? On constate aujourd’hui un intérêt croissant pour les produits de la finance islamique en Afrique…
Comme vous le savez, la BADEA est à l’origine une institution de financement conventionnel, mais cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas envisager d’autres modes de financement, notamment la finance islamique, et nous en avons effectivement proposé. C’est en fonction des besoins du pays, des besoins de l’entreprise, du projet, et parfois aussi des besoins de nos co-financiers que nous pouvons mettre sur la table soit des solutions conventionnelles, soit des solutions de type Mourabaha, Moudaraba, Ijara, et autres.
La BADEA a fait de l’accompagnement des PME l’une de ses priorités. Vous avez notamment lancé, avec d’autres partenaires, une coalition en faveur des PME. Où en est cette initiative ?
Si l’on observe l’Afrique, on constate que 80 à 90 % du tissu économique est constitué de petites et moyennes entreprises, et donc il est extrêmement important de pouvoir répondre à cette population. Surtout si l’on sait que seulement 20 % des petites et moyennes entreprises en Afrique ont accès au financement. Il s’agit donc de les aider à obtenir un financement, mais cela ne suffit pas. L’idée de la coalition est d’apporter une solution holistique à la problématique des petites et moyennes entreprises en Afrique, qui ont certes besoin de financement, mais également d’accompagnement, de formation en gestion, et autres. Cette initiative est la conjugaison des efforts de toutes les parties prenantes réunies autour de la table, afin de soutenir les petites et moyennes entreprises.
Nous avons avancé sur la coalition et nous espérons que le secrétariat sera mis en place très prochainement. Entre-temps, nous avons travaillé avec les fonds de garantie et avec un certain nombre d’institutions partenaires pour engager des opérations visant à aider les petites et moyennes entreprises.
Nous voulons que le secteur privé arabe joue un rôle de plus en plus important en Afrique pour aider les pays africains à développer des chaînes de valeur dans tous les secteurs, à créer plus d’emplois et à améliorer les conditions de vie des populations
Aujourd’hui, le Moyen-Orient est devenu l’un des principaux bailleurs de fonds du continent africain. La BADEA illustre ce rapprochement stratégique. Comment expliquez-vous cette montée en puissance du Moyen-Orient sur le continent ? Quel intérêt pour l’Afrique ? Pour le Moyen-Orient ?
C’est une question d’une importance capitale pour la BADEA, car vous le savez, le rôle de notre institution est de développer le partenariat entre le monde arabe et l’Afrique. Et c’est la raison même d’être de l’institution. Aussi, nous sommes très heureux de constater qu’aujourd’hui les relations économiques et le volume des investissements et des échanges commerciaux entre l’Afrique et le monde arabe connaissent des développements jamais vus auparavant. Cela traduit la conjugaison de trois facteurs. Le premier facteur est d’abord une évolution au niveau de l’Afrique et des pays du monde arabe vers un rôle plus prépondérant du secteur privé.
Il y a également un autre facteur important : l’Afrique s’est révélée au monde, avec des taux de croissance records au cours des deux dernières décennies et la prise de conscience de l’importance stratégique des ressources naturelles de l’Afrique, notamment le pétrole, les minéraux, ainsi que les potentialités agricoles et humaines. L’Afrique constitue aujourd’hui un centre d’intérêt mondial. Il était donc évident que des pays ayant des relations historiques avec l’Afrique, qui ont toujours été là pour apporter de l’aide publique au développement, deviennent également des partenaires financiers et d’investissement, contribuant davantage au développement des ressources naturelles et des potentialités du continent.
Un dernier facteur important est le développement des chaînes de valeur et la corrélation entre les pays consommateurs et les pays producteurs. Il existe un certain nombre de produits utiles à l’Afrique, produits dans les pays arabes, et de l’autre côté, en Afrique, il existe encore de nombreuses ressources qui sont également très utiles pour les pays arabes. Il y a donc un intérêt mutuel, et ce partenariat gagnant-gagnant se développe rapidement.
La voie que le Moyen-Orient et l’Afrique tracent en matière de développement contribuera sans doute à façonner de nouveaux mécanismes de collaboration, susceptibles d’inspirer d’autres régions du monde
Comment ce partenariat stratégique entre l’Afrique et le Moyen-Orient pourrait-il porter une nouvelle voix, et une nouvelle voie, pour le monde de demain plus sûr, plus vert, plus prospère et plus inclusif?
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Je pense que l’Afrique est déjà en train de se tailler une place sur la scène internationale, et l’adhésion de l’Afrique au G20 en tant que membre à part entière en est un témoignage éloquent. De même, la présence des pays arabes, comme l’Arabie Saoudite, au sein du G20 traduit l’importance du Moyen-Orient. Je suis convaincu que cette voix sera non seulement entendue aujourd’hui, mais encore plus forte dans les années à venir. De même, la voie que le Moyen-Orient et l’Afrique tracent en matière de développement durable, ils ouvrent également une nouvelle voie en termes de partenariats et d’intérêt mutuel. Cette dynamique contribuera sans doute à façonner de nouveaux mécanismes de collaboration, susceptibles d’inspirer d’autres régions du monde.
La BADEA, un moteur du développement afro-arabe
Créée en 1974 par 18 pays membres de la Ligue arabe, la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA) œuvre à renforcer le partenariat afro-arabe. En 50 ans, elle a financé plus de 1000 projets dans 44 pays africains, mobilisant plus de 13 milliards de dollars. Avec son plan quinquennal 2025-2030, doté de 18,4 milliards de dollars, la BADEA accélère son soutien aux infrastructures, aux PME et aux investissements stratégiques pour une transformation durable du continent.