A la uneActualitéLe dossier du mois

Analyse : le Commonwealth et l’Afrique… une nouvelle page s’écrit 

Initialement prévu en 2020, puis l’été dernier mais à nouveau reportée pour cause de pandémie Covid 19, la réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth, également connue sous le nom de CHOGM se tient finalement à Kigali, du 20 au 26 juin. Organisée traditionnellement tous les deux ans, cette grande messe réunit les 54 pays qui composent le Commonwealth, dont 19 africains, d’anciennes colonies pour la plupart, ainsi que de nouveaux membres parmi lesquels le Rwanda, dernier venu de l’organisation et hôte de la manifestation qui ne s’était pas tenue en Afrique depuis l’Ouganda, il y a une dizaine d’année. Analyse.

Par Dounia Ben Mohamed à Kigali

Un évènement qui se tient dans un contexte particulier pour la couronne comme pour l’Afrique. L’impact encore lourd sur le tissu socio-économique africain de la pandémie Covid 19, la crise alimentaire latente provoquée par la guerre en Ukraine, mais également cette nouvelle ère post-Brexit dans laquelle les britanniques tentent de se redéfinir et de s’ouvrir à de nouveaux marchés. Le Royaume-Uni a en effet quitté l’Union européenne en 2020 et œuvre depuis à redéfinir son positionnement dans le monde. En Afrique en particulier. Si les relations bilatérales ont déjà été revues avec des pays stratégiques du continent, le Nigéria entre autres, le RDV de juin servira ainsi à renouer avec un continent dont la relation est certes ancienne mais tend à se réécrire (Lire CHOGM 2022 en 10 points). 

« Le Commonwealth devient de plus en plus important et le CHOGM le démontrera »

Et pour se distinguer des puissances influentes sur le continent, à commencer par la Chine, l’ancienne alliée l’Union européenne, mais également les États-Unis, la Turquie, le Japon, ou encore la Russie dont la présence s’affirme, la Royaume-Uni entend s’appuyer sur une de ses pièces maîtresses, le Commonwealth. L’organisation, née à la première moitié du 20e siècle des vestiges de l’Empire britannique et afin maintenir des relations privilégiées avec ses anciennes colonies, entend se moderniser et, en Afrique comme sur la scène internationale, retrouver son influence (Lire l’interview d’Omar Daair, Haut-Commissaire britannique au Rwanda). 

« La Grande-Bretagne a tout ce qu’il faut pour devenir le « partenaire de choix évident » de l’Afrique »

C’est en effet l’idée. Renforcer les relations économiques entre les pays membres, avec l’Afrique en particulier. Le continent, avec 19 pays membres, domine l’organisation. Déjà, en 2018, Thérésa May, lors de sa tournée en Afrique _ au Kenya, en Afrique du Sud et au Nigéria_, la première visite d’un premier ministre britannique en Afrique depuis cinq ans, annonçait alors la couleur : à savoir faire de la Grande-Bretagne le premier investisseur en Afrique parmi les pays du G20. « Alors que le Royaume-Uni se prépare à quitter l’Union Européenne, nous sommes déterminés à assurer une transition souple qui garantit la continuité de nos relations commerciales. » Une déclaration assortie de l’annonce d’un plan d’investissement de 4,4 milliards d’euros pour soutenir les économies africaines et une nouvelle approche « décomplexée » de l’aide au développement. « Je n’ai pas honte de dire que nos programmes d’aide doivent aussi être bénéfiques au Royaume-Uni. [Ils doivent] non seulement combattre l’extrême pauvreté, mais aussi soutenir nos propres intérêts nationaux. » C’est dans ce sens que le Royaume-Uni signait l’année précédente un nouveau « partenariat stratégique » avec l’Union africaine (UA), lequel vise à renforcer la coopération avec les pays africains. 

Boris Johnson à son tour déclarera que la Grande-Bretagne a tout ce qu’il faut pour devenir le « partenaire de choix évident » de l’Afrique pour faire des affaires après le Brexit. Une conférence, tenue en janvier 2020, UK-Africa Investment Summit, à Londres, en marquera la première étape.  Présidée par Boris Johnson et co-organisé avec le Département du développement international (DfiD), elle aura réuni une vingtaine de pays du continent, représentants du public comme du privé venus promouvoir les opportunités d’investissement en Afrique. Alors que les échanges entre l’Afrique et le Royaume-Uni sont peu développés, à peine 3% des exportations et des importations britanniques dont plus de 50% avec deux pays, l’île Maurice et l’Afrique du Sud. Ceci dit en marge du sommet, des accords commerciaux d’un montant de 6,5 milliards de livres sterling (8,2 milliards de dollars au taux de change actuel) ont été signés par des entreprises britanniques.

« Une voix de plus pour l’Afrique pour défendre ses intérêts sur la scène internationale »

Côté africain également, le Commonwealth suscite un regain d’intérêt. Si les membres historiques sont d’anciennes colonies, de nouveaux pays rejoignent l’organisation au cours des dernières décennies, premier pays admis qui n’a jamais fait partie de l’Empire britannique ou qui n’a jamais été sous le contrôle d’un membre le Mozambique, en 1995 ; le Rwanda, alors en rupture diplomatique avec la France et la francophonie, en 2009, tandis que d’autres_ le Togo, l’Algérie, Madagascar, le Soudan ou encore le Yémen_ ont manifesté leur intention de leur emboîter le pas.

Si pour certains, rejoindre le Commonwealth ne signifie pas quitter la Francophonie, _ organisation qui regroupe un grand nombre de nations francophones et compte 28 pays africains pour rappel_ elle répond avant tout à des intérêts économiques, accroître leurs relations commerciales avec le monde anglophone, mais également diplomatique. Rejoindre le Commonwealth s’est également une voix de plus pour l’Afrique pour défendre ses intérêts sur la scène internationale alors qu’elle s’est déjà manifestée dans ce sens, elle a par exemple soutenue les intérêts de l’Afrique au sein de l’UE et plus particulièrement dans le secteur de l’agriculture.

« Les coûts bilatéraux pour les partenaires commerciaux des pays du Commonwealth sont en moyenne 19 % moins élevés qu’entre ceux des pays non membres »

Surtout, rejoindre la Communauté de la Couronne serait rentable. Avec un PIB combiné des pays du Commonwealth s’élevant à 13,1 milliards de dollars en 2021 qui devrait atteindre 19,5 milliards de dollars en 2027, soit un quasi-doublement en dix ans par rapport aux 10,4 milliards de dollars de 2017 ; les coûts bilatéraux pour les partenaires commerciaux des pays du Commonwealth sont en moyenne 19 % moins élevés qu’entre ceux des pays non membres. La moitié des 20 premières villes émergentes mondiales se trouvent dans le Commonwealth : New Delhi, Mumbai, Nairobi, Kuala Lumpur, Bangalore, Johannesburg, Kolkata, Le Cap, Chennai et Dhaka. 

Bien que le Commonwealth n’ait pas d’accord commercial multilatéral, des recherches menées par la Royal Commonwealth Society ont montré que le commerce avec un autre membre du Commonwealth est en moyenne jusqu’à 50 % plus élevé qu’avec un non-membre, les États plus petits et moins riches ayant une plus grande propension à commercer au sein du Commonwealth. Lors du sommet de 2005 à Malte, les chefs de gouvernement ont approuvé la poursuite du libre-échange entre les membres du Commonwealth sur une base bilatérale.

De même, selon une étude menée par OECD Development Matters, les taux de croissance plus élevés du PIB des PMA du Commonwealth se sont accompagnés de volumes d’échanges plus importants. « Collectivement, les exportations mondiales de biens et services des 47 PMA sont passées de 215 milliards USD en 2011 à un peu plus de 241 milliards USD en 2019, soit une augmentation d’environ 12 %. L’augmentation correspondante pour les PMA du Commonwealth est de 41 %. Leurs exportations sont passées de 57 milliards d’USD à environ 80 milliards d’USD, à un taux moyen de 3,7 % par an, contre seulement 0,6 % pour les 47 PMA et 1,2 % dans le monde. » 

Les PMA du Commonwealth se sont largement appuyés sur le commerce intra-Commonwealth pendant la pandémie, qui a connu une croissance importante bien que l’organisme de 54 membres ne soit pas un bloc commercial. En 2019, le Commonwealth a absorbé un quart (19 milliards USD) de leurs exportations totales de biens et services (79 milliards USD). Au cours des années pré-pandémiques (2011-2019), la part des PMA du Commonwealth dans les exportations de biens intra-Commonwealth a grimpé de 2,18 % à 3,4 %. Sur la même période, la part des PMA dans le commerce mondial a stagné à 1 %.

« Un « avantage du Commonwealth » : établissement, renforcement et maintien des relations commerciales entre les PMA du Commonwealth et les autres pays membres »

Cette augmentation des exportations est due à un « avantage du Commonwealth » important et croissant en matière de commerce, qui contribue à l’établissement, au renforcement et au maintien des relations commerciales entre les PMA du Commonwealth et les autres pays membres. Les liens historiques, les systèmes juridiques et administratifs familiers, l’utilisation répandue de l’anglais et la présence de diasporas importantes et dynamiques signifient que les coûts du commerce bilatéral sont inférieurs d’environ 21 %, en moyenne, pour les paires de pays du Commonwealth par rapport au coût du commerce avec les pays non membres du Commonwealth.

Si le gouvernement britannique a promis d’améliorer le modèle commercial UE-Afrique et de mieux protéger les intérêts des nations africaines, jusqu’à présent, le Royaume-Uni a signé des accords commerciaux post-Brexit avec 13 pays africains. Mais ces nouveaux accords, qui offrent un accès en franchise de droits et de quotas aux marchés britanniques, ne sont pas très différents des anciens. Il s’agit principalement d’accords dits « de reconduction », c’est-à-dire qu’ils ne font que transférer les conditions des accords européens dans des accords bilatéraux entre le Royaume-Uni et la nation ou les blocs africains.

Des accords bilatéraux qui se heurtent toutefois à la politique des blocs régionaux notamment dans ce contexte de mise en place de la ZLECAf. Ainsi l’accord avec le Kenya a suscité des tensions en sein de la Communauté des pays d’Afrique de l’Est. 

En attendant, si le Ghana et le Nigeria ainsi n’ont pas réussi à sceller un accord avec le Royaume-Uni avant la fin de la période de transition du Brexit, le 31 décembre 2020, le Nigeria est un acteur important du commerce intra-Commonwealth : plus grande économie du continent, 30 % de ses exportations seraient destinées au marché du bloc. L’Inde, à elle seule, représente également 15 % des exportations du Nigeria. Le Nigeria est également la cinquième plus grande économie du Commonwealth et, avec l’Afrique du Sud, il représente environ 70 % du commerce africain du Commonwealth.

« Un accord commercial entre le Royaume-Uni et l’Afrique créerait des emplois et stimulerait le Commonwealth »

De quoi convaincre le président Muhammadu Buhari lequel déclarait, dans une tribune datée du 23 janvier 2022 « un accord commercial entre le Royaume-Uni et l’Afrique créerait des emplois et stimulerait le Commonwealth : Après le BREXIT, c’est désormais possible » (Lire le discours de Muhammadu Buhari). « En septembre dernier, le Royaume-Uni est entré dans l’histoire en devenant le premier pays au monde à signer un mémorandum avec la zone de libre-échange continentale de l’Union africaine (ZLECAf), composée de 54 pays. Cet accord devrait déboucher sur un accord de libre-échange entre le Royaume-Uni et l’Union africaine. Il s’agirait d’un accord paritaire, puisque le PIB combiné de l’Afrique, qui s’élève à 3 000 milliards de dollars, est équivalent à celui du Royaume-Uni, cinquième économie mondiale. »

« Quand vous regardez les opportunités que cela apporte à l’Afrique et à notre Commonwealth nous croyons qu’en travaillant ensemble, nous serons en mesure d’améliorer le commerce »

L’avenir du Royaume-Uni post-Brexit se joue donc en Afrique (Lire Étude Morgan Philips Royaume-Uni post-Brexit : (re)connecter avec l’Afrique). Le CHOGM 2022, premier sommet du Commonwealth qui se tiendra dans un pays qui n’est pas une ancienne colonie ou le Royaume-Uni lui-même, devra marquer l’entrée dans cette nouvelle ère . « Ce qu’il y a de bien avec notre Commonwealth, c’est que nous avons beaucoup de choses en commun : nous avons une langue commune, une structure commune en termes de structure parlementaire, nous avons des institutions similaires qui partagent l’État de droit. Tout cela fait que nos échanges commerciaux sont plus de 21 % moins chers, plus faciles et plus rapides les uns que les autres, déclarait la Secrétaire générale du Commonwealth, Patricia Scotland QC, lors d’un discours prononcé lors de la 12e Conférence régionale des chefs des agences de lutte contre la corruption en Afrique du Commonwealth à Kigali, le 3 mai dernier. Juste avant la Covid, nous avions près de 700 milliards de dollars d’échanges intra-Commonwealth. Ce chiffre a baissé [en raison de l’impact de la pandémie], mais il semble maintenant revenir à ces 700 milliards de dollars. Mais nous espérons atteindre 1 000 milliards de dollars d’ici 2030. Et vous savez qu’en Afrique, les pays africains ont adhéré à l’Accord de libre-échange continental africain. Donc, quand vous regardez les opportunités que cela apporte à l’Afrique et à notre Commonwealth, avec la facilitation du commerce, nous croyons qu’en travaillant ensemble, nous serons en mesure d’améliorer le commerce, en particulier le commerce numérique. » 

S’agissant de la guerre en Ukraine. « Ce sont des questions dont nous allons discuter, car bien sûr, au fur et à mesure que cette crise se déroule, nous avons compris ce que nous devions faire nous-mêmes pour améliorer notre sécurité alimentaire. Il s’agit donc d’une difficulté, mais aussi d’une opportunité. Comment améliorer le secteur agroalimentaire dans l’ensemble du Commonwealth, comment rendre chacun de nos pays plus durable, comment partager la technologie et l’expertise pour améliorer la possibilité que nous avons tous de nourrir nos populations ? » 

Autant de questions qui seront débattues au cours de l’évènement. Cette édition 2022 doit également se conclure sur l’élection du secrétaire général. La secrétaire générale sortante, Patricia Scotland, diplomate, avocate et politicienne britannique née en Dominique, se représente, face au ministre jamaïcain des affaires étrangères, Kamina Johnson Smith, qui a reçu le soutien du Royaume-Uni. Quel que soit le gagnant, le nouveau secrétaire général aura notamment pour mission de moderniser l’institution. En attendant, à la fin de la CHOGM 2022, le président rwandais Paul Kagame succédera au Premier ministre britannique Boris Johnson en tant que président en exercice du Commonwealth des Nations et ce pour les deux prochaines années. Une nouvelle occasion pour le dirigeant rwandais de faire briller son pays sur la scène internationale.

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page