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Analyse- Destination reprise : réinventer le tourisme en Afrique

La pandémie de COVID-19 a provoqué une crise sans précédent pour le tourisme en Afrique. L’essor des classes moyennes et la jeunesse de la population constituent des opportunités. Exploiter le potentiel du tourisme domestique sera essentiel pour aider le secteur à se relancer.

Par Olivier Monnier*

Quelques mois après le début de la pandémie de COVID-19 en 2020, les plages habituellement immaculées du Kenya semblaient disparaitre par endroits sous d’épaisses couches d’algues.

Comme si l’océan Indien cherchait à profiter de la fermeture des hôtels et de l’absence des touristes pour reconquérir ces étendues de sable fin, en général très animées, à Diani, Watamu, Malindi et autres hauts lieux du tourisme balnéaire du Kenya.

La plupart des pays d’Afrique ont été logés à la même enseigne : les mesures de confinement et les avions cloués au sol ont eu des conséquences désastreuses pour l’industrie du tourisme, conduisant de nombreux opérateurs au bord de la faillite ou à devoir cesser toute activité.

En Afrique de l’Ouest, le groupe hôtelier Azalaï a dû se résoudre à fermer ses établissements au plus fort de la pandémie. La plupart des hôtels de la chaîne dans la région ont depuis rouvert, mais plus de la moitié des chambres sont encore inoccupées.

« Je redoute encore une année très difficile en 2021 », confie Mossadeck Bally, fondateur et PDG du groupe hôtelier. « La vaccination va certes redonner confiance aux voyageurs, mais je ne pense pas que les gens vont beaucoup voyager cette année. La reprise commencera véritablement en 2022. »

Une crise sans précédent

Au cours des 20 dernières années, le tourisme est devenu un secteur vital pour les économies africaines. Il représentait en 2019 environ 7 % du PIB et contribuait à hauteur de 169 milliards de dollars à l’économie du continent — soit à peu près l’équivalent du PIB de la Côte d’Ivoire et du Kenya réunis.

Selon le Conseil mondial du voyage et du tourisme (WTTC), le secteur du tourisme employait plus de 24 millions de personnes en Afrique en 2019.

Mais la pandémie de COVID-19 a provoqué une crise sans précédent pour cette industrie, en Afrique comme dans le reste du monde, et pour les secteurs dont les emplois et les revenus dépendent du tourisme, comme la restauration, les services et les industries manufacturières.

En juillet 2020, l’Union africaine a estimé que le continent avait perdu près de 55 milliards de dollars de revenus du voyage et du tourisme et deux millions d’emplois rien qu’au cours des trois premiers mois de la pandémie, tandis que le Fonds monétaire international prévoyait un recul de 12 % du PIB réel des économies africaines dépendantes du tourisme en 2020.

Avec ses neuf hôtels dans six pays d’Afrique de l’Ouest, le groupe Azalaï connaît parfaitement les effets douloureux de la pandémie : pour survivre, il a dû licencier du personnel, réduire les salaires et solliciter un allégement de sa dette auprès de ses créanciers, dont IFC.

« L’impact a été très fort », rappelle Mossadeck Bally qui ne s’est pas versé de salaire depuis plus d’un an. « Notre secteur s’est effondré parce que nous avons dû tout arrêter du jour au lendemain. Nous sommes en première ligne donc nous avons été touchés avant le reste de l’économie. »

À part le Grand Hôtel de Bamako, au Mali, tous les autres établissements du groupe ont repris du service mais avec des équipes réduites, des baisses de salaire et un gel des recrutements, poursuit-il. Les taux d’occupation vont de 5 % en Guinée-Bissau à 40 % en Côte d’Ivoire, toujours très en deçà des niveaux habituels.

Dépendance aux touristes étrangers

Le secteur africain du tourisme a tenu le coup en grande partie sans les aides publiques débloquées dans les régions plus riches et avancées. Les plus petites entreprises ont été les plus touchées. 

La crise a également mis au grand jour la dépendance du continent aux voyageurs étrangers. C’est particulièrement vrai pour les pays d’Afrique de l’Est et australe, où les activités de loisir et de safari, bien développées, attirent les touristes venus d’Europe, d’Amérique et d’Asie notamment.

En décembre 2020, une enquête réalisée par IFC et Dalberg Advisors auprès d’opérateurs en Ouganda, en Tanzanie et en Zambie a montré que les recettes liées aux touristes internationaux allaient être amputées de deux tiers pour la saison 2020-21. 

Certains experts estiment que l’Afrique mettra plus de temps à se remettre de la crise que les autres régions, du fait notamment d’une demande intérieure et intrarégionale insuffisante et d’une chaîne d’approvisionnement fragile.

Selon le WTTC, le tourisme intérieur a représenté 55 % des dépenses touristiques en Afrique en 2019, en deçà des niveaux observés en Amérique du Nord (83 %), en Europe (64 %) et en Asie-Pacifique (74 %). En 2017, le tourisme domestique représentait 73 % des dépenses touristiques globales dans le monde.

« La plupart des autres pays du monde ont pu se reposer sur une clientèle nationale et régionale. Mais en Afrique, le tourisme intérieur a longtemps été négligé », souligne Hermione Nevill, spécialiste sénior du tourisme à IFC à Johannesburg. « Le secteur doit se tourner vers des marchés plus diversifiés afin d’être plus résilient. »

Mais tout n’est pas perdu pour le secteur, et la crise a poussé certains pays à prendre des mesures pour stimuler le tourisme intérieur.

L’Afrique du Sud, qui a accueilli 10 millions de touristes internationaux en 2019, a fait du tourisme local l’une des priorités de son plan de rdes eelance en 2020. Avec le soutien d’IFC, le Rwanda est en train d’élaborer une stratégie de relance qui prévoit de développer les marchés locaux et régionaux. Au Kenya, les droits d’entrée dans les parcs animaliers et les réserves ont été réduits pour un an afin d’attirer davantage de touristes locaux.

« Nous avons constaté une certaine résilience là où le tourisme intérieur est développé, » explique Wayne Godwin, vice-président sénior de JLL Hotels & Hospitality pour l’Afrique subsaharienne lors d’une rencontre virtuelle organisée par IFC sur l’avenir du tourisme en Afrique et au Moyen-Orient.

Jeunes voyageurs et libre-échange

L’émergence des classes moyennes, l’essor d’une population jeune avide d’aventures et l’entrée en vigueur récente de la Zone de libre-échange continentale africaine (la première du monde en nombre de pays participants) font partie des moteurs qui devraient soutenir le développement futur du tourisme local et régional sur le continent.

« L’accord de libre-échange va radicalement changer la donne pour les voyages », souligne Wayne Godwin. « Si 97 % des produits de base et des biens sont exonérés de droits de douane, les échanges régionaux vont augmenter et entraîner dans leur sillage touristes et voyageurs. C’est mathématique… »

Doté d’une faune abondante et de paysages variés, le Kenya est l’un des chefs de file de la promotion du tourisme local en Afrique. Une fois passé le premier choc de la pandémie, les plages du pays font à nouveau le plein même si l’annonce en avril 2021 d’un nouveau confinement d’un mois dans certaines régions a mis les nerfs de certains opérateurs à vif.

Entre 2014 et 2018, le Kenya avait enregistré une hausse de 55 % des nuitées des touristes domestiques, selon des données officielles. Un dynamisme à mettre au crédit de campagnes de promotion en ligne, de la hausse du revenu disponible des Kényans et des efforts pour proposer des alternatives meilleur marché aux complexes 5 étoiles.

« Les réservations des touristes internationaux rapportent plus d’argent, mais le marché intérieur est plus résilient », observe Muthuri Kinyamu, cofondateur du tour-opérateur kényan Turnup.Travel. « Les clients font plusieurs voyages et ils reviennent. »

L’organisateur de voyages a bien résisté à la pandémie et a même embauché du personnel. L’entreprise a bénéficié d’une forte présence numérique, a développé de nouvelles offres et s’est associée à la compagnie aérienne à bas coût Jambojet, filiale de Kenya Airways, pour créer du contenu afin de rassurer les voyageurs et stimuler la demande intérieure.

« Bien sûr, notre trajectoire de croissance a souffert de la pandémie de COVID-19 mais si on regarde nos chiffres de 2020, notre chiffre d’affaires est resté stable », poursuit Muthuri Kinyamu. « Avec les restrictions, nous avons dû nous adapter, mais nous n’avons licencié personne car nous avons des sources de revenu diversifiées. »

De l’autre côté du continent, au Ghana, l’hôtel de luxe Zaina Lodge a connu son deuxième meilleur mois d’activité en décembre 2020, grâce au dynamisme du tourisme intérieur.

« Dès le début, nous nous sommes positionnés comme une marque locale », explique son cofondateur Andy Murphy. « La croissance à long terme du tourisme sur le continent africain devra venir du tourisme intérieur. Si vous travaillez dans le tourisme en Afrique, vous devez réfléchir sérieusement à la manière de constituer une base de clients domestiques pour égaler, voire dépasser, votre clientèle internationale », poursuit-il.

Réinventer le secteur

Même si le tourisme intérieur en Afrique est en croissance—d’ici 2050, le Nigéria sera le troisième pays le plus peuplé du monde—ce secteur reste largement inexploité et son développement freiné par un certain nombre d’obstacles.

Voyager à travers le continent peut d’abord se révéler compliqué et coûteux, en partie parce que les pays restreignent l’accès à leurs marchés pour protéger les compagnies aériennes publiques. Malgré l’adoption en 1999 par 44 pays d’Afrique de la décision de Yamoussoukro visant à libéraliser le secteur de l’aviation, les choses ont peu évolué.

Il est aussi nécessaire de développer et améliorer les infrastructures en dehors des capitales des pays, qui sont désormais bien dotées en hôtels et autres équipements, explique Olivier Baric, directeur Aviation Afrique chez Egis, une multinationale française opérant dans les infrastructures et le transport.

Selon des experts du secteur, pour attirer les touristes locaux, les opérateurs devraient investir dans les marchés d’entrée et de moyenne gamme, développer des lieux de séjour moins grands, plus authentiques et plus verts et proposer davantage d’offres destinées aux familles africaines de la classe moyenne et aux milléniaux, tout en ciblant plus directement ces groupes par des campagnes de marketing.

Enfin, la solidité et la viabilité de l’industrie touristique en Afrique seront en partie tributaires de la capacité des acteurs africains à créer de nouvelles entreprises et à inciter ou accompagner d’autres sur le continent à en faire de même.

Malgré toutes les difficultés en vue, le PDG du groupe Azalaï veut voir dans cette crise une source d’opportunités. À condition de travailler dur et de sortir des sentiers battus : « Je ne suis pas inquiet, mais j’ai parfaitement conscience que nous devons nous réinventer pour faire face à la nouvelle donne », conclut Mossadeck Bally. « Ceux qui vont réussir à se réinventer vont survivre. »

*Source : https://www.ifc.org/wps/wcm/connect/news_ext_content/ifc_external_corporate_site/news+and+events/news/reinventing-africa-tourism-fr

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