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Aïssata Diakité : « Développer le secteur de l’agro-alimentaire en transformant les produits »

Aïssata Diakité est une jeune femme d’origine malienne. A seulement 27 ans, elle possède un long cursus scolaire et des expériences professionnelles à foison. Résidant entre la France et le Mali, elle est très engagée dans le secteur de l’agriculture mais aussi celui de l’agro-alimentaire. Elle est convaincue que l’émergence de l’Afrique passera par le développement du secteur agricole. ANA est allée à sa rencontre.

Entretien

Parlez-nous de votre passion pour l’agriculture

« Je suis issue d’une ville très agricole au Mali, Mopti. Je me suis intéressée au secteur agricole depuis l’âge de dix ans. A l’époque, je fabriquais même mes propres yaourts. Je suis diplômée de TECOMAH, l’Ecole de la chambre de commerce et industrie de Paris, campus d’HEC. J’ai obtenu un master spécialisé « MD2A » Manager du Développement d’Affaires en Agrobusiness en apprentissage, en 2013. Durant mes études, de 2009 à 2014, j’ai effectué de nombreuses missions pour plusieurs entreprises de l’Agroalimentaire, telle que Boucharechas, Meffre, Duval… J’ai même été chargée d’Affaires chez Afnor Certification, en France, au département des grands comptes avec un portefeuille de clients agro-alimentaires, agro-fourniture et cosmétiques. En parallèle de mes activités professionnelles, j’ai toujours été très engagée dans le domaine associatif. J’ai commencé par intégrer l’association de jeunes étudiants et diplômés maliens en France, (ADEM). J’ai été responsable de gestion de projets et nommée secrétaire générale par la suite. Le but même de cette association est de favoriser l’insertion, l’éducation des jeunes qui quittent l’Afrique pour réaliser des études supérieures. Je suis devenue membre de l’association Initiative Agricole pour le Mali, (INAGRIM), en 2013. Après avoir réalisé de nombreuses activités en lien avec l’agriculture, en 2015, j’ai créé et je préside l’APVAE-AO, « Association pour la Promotion de la Valorisation et de l’Agrobusiness Equitable en Afrique de l’Ouest ». Cette année, j’ai lancé ma société d’Economie Sociale et Solidaire dans l’agro-alimentaire en Afrique de l’ouest, Zabbaan Holding, début 2016. Elle est née à la suite de la validation des étapes d’accompagnement du programme international «Entrepreneurs en Afrique ». Ce concept positionné sur toute la chaîne de valeur, valorise les produits agricoles locaux par la transformation, la normalisation et la commercialisation des produits finis, naturels et nutritionnels. La seconde activité de ma société c’est le conseil, l’accompagnement, le développement des filières agricoles. Nous tentons de faciliter la mise en place des partenariats entre les acteurs nationaux et internationaux et faisons la promotion de l’entrepreneuriat agricole des jeunes.

 

Quelles actions avez-vous menées pour sensibiliser les gens aux enjeux de l’agriculture en Afrique ?

Le 1er juin dernier, j’ai organisé un forum, « Jeune et Sécurité Alimentaire ». Il mettait la lumière sur la faim et la malnutrition qui persistent sur le continent, malgré l’abondance. Ce continent offre, en effet, assez de nourriture de qualité pour que tout le monde puisse manger à sa faim. Il est inadmissible de constater que malgré ces progrès économiques et technologiques, certains soient privés de nourriture. J’ai initié ce forum portant sur le thème de l’entrepreneuriat agricole des jeunes face aux enjeux de la sécurité alimentaire en Afrique. J’y invite, tous les ans, l’ensemble des parties prenantes de la société civile à débattre, échanger, pour renforcer les capacités des jeunes à combattre la faim et la malnutrition par l’entrepreneuriat responsable et durable, avec des visions d’avenir.

Je suis également membre de ASCPE « Les Entretiens Européens et Eurafricains » et j’interviens sur des problématiques d’insertion et d’entrepreneuriat des jeunes en Afrique de l’ouest. Je pilote ainsi différents projets. Je suis d’ailleurs régulièrement appelée à intervenir lors des colloques, conférences et foires internationales sur les thèmes liés à l’agro-alimentaire, l’agriculture, l’emploi des jeunes dans le secteur agricole et l’entrepreneuriat féminin.

 

En quoi consiste votre activité au sein de Zabban Holding ?

Le secteur de l’agroalimentaire répond à des difficultés propres au continent.

Nous sommes une PME. Zabban Holding a une activité de transformation de matières premières issues de l’agriculture. Je lance en ce moment des smoothies et des cocktails faits à partir de fruits, de fleurs, d’arachide… Au moment de réaliser des études de faisabilité, j’ai pu bénéficier d’un partenariat avec une grande école française, ONIRIS de Nantes. Nous avons alors effectué plus de neuf mois de recherches et de développement sur nos matières premières afin de les maîtriser et pour pouvoir en faire des produits nutritionnels adaptés au marché local. La seconde activité de Zabban Holding est le conseil et l’accompagnement. Je suis aussi consultante car j’ai accompagné plusieurs coopératives agricoles locales sans oublier les petites unités de transformation. La troisième activité dans laquelle nous sommes engagés c’est le fusionnement des compétences et le fusionnement avec d’autres jeunes porteurs de projets dans le domaine des énergies renouvelables, dans le secteur de la formation technique afin de partager nos expériences. Lancer une PME en Afrique subsaharienne est très difficile. Le marché est porteur et les produits sont beaucoup issus de l’import. Cependant, il est difficile pour un entrepreneur d’obtenir des fonds d’investissements. J’ai pu constater que les personnes qui souhaitent entreprendre en Afrique francophone ont bien plus de difficultés qu’en Afrique anglophone. Pour ma part, il a été difficile de lancer ma société. Je collabore davantage avec des structures financières anglophones qui m’accompagnent dans la mise en place de mon projet. Les mêmes structures, quand elles sont françaises, confondent nos marchés avec leurs marchés qui sont saturés et non émergents. Le business-modèle des fonds d’investissements n’est pas trop au point pour le moment. Nous souhaitons valoriser les produits locaux.

 

Quelle est votre définition de l’agro-business ?

Je me positionne comme une entrepreneure, mais j’entreprends autrement. Donc, je prends en compte les facteurs-clés du développement socio-économique dans l’entreprise. Sur le pilier social j’ai mis pas mal d’actions concrètes en place liées à l’entreprise, à l’énergie renouvelable mais aussi à l’économie. Je considère que l’agro-business en Afrique ne doit pas copier les modèles européens, car nous n’avons pas les mêmes enjeux, les mêmes contraintes… Pour moi, il est nécessaire que nous trouvions des solutions afin de mieux nous organiser et structurer nos chaînes de valeur en termes de produits. Effectivement, en Afrique, 70% de la population vit de l’agriculture, ce qui est énorme. Au Mali, chaque ethnie est associée à un produit ou une activité agricole. Cela explique l’importance de l’ancrage de ces métiers mais qui ne sont pas valorisés. En Afrique, il serait nécessaire d’inclure la norme Iso 26 000  à nos entreprises afin d’éviter le modèle européen. Dans toutes les entreprises africaines, même si cela représente des investissements lourds, cette norme répond aux trois piliers du développement durable, à savoir le pilier sociétal, environnemental, économique. Ainsi, l’entreprise peut mettre en place des actions concrètes pour participer au développement de l’activité agricole et celui-ci diffère d’un pays à l’autre.

 

Quelles sont, selon vous, les actions à mener afin de développer le secteur agricole en Afrique ?

L’agriculture en Afrique est familiale. En milieu rural, la majeure partie de la population a peu ou n’a pas suivi d’étude. Il faudrait renforcer la capacité de cette population à avoir des formations professionnelles adaptées à leur situation. Nos gouvernements et les entrepreneurs du secteur privé doivent être acteurs et aider à équiper et à améliorer le niveau et remettre à jour le programme des écoles agricoles locales. Le marché est dépendant des engrais chimiques qui viennent de l’extérieur et engendrent beaucoup de maladies graves au sein de la population rurale qui n’est pas formée sur le plan de l’agro-business. Les agriculteurs utilisent les engrais chimiques sans protection. Ce sont d’ailleurs des produits qui peuvent se retrouver dans la nature et causer des maladies auprès des personnes non-agricultrices. Malheureusement, nos pays font beaucoup de copie-collé des modèles européens, sans pour autant faire d’études de terrain. Nous avons des politiques agricoles sans perspectives précise. Au Mali, par exemple, l’État a subventionné la production du maïs, et en 2015, en participant à la bourse de céréales au Mali, les producteurs se retrouvaient avec des stocks de maïs, alors qu’ils pouvaient servir à réaliser des produits finis, pour le petit-déjeuner, par exemple. Les enjeux principaux sont aussi liés aux récoltes et de diminuer les pertes. En Afrique subsaharienne, nous enregistrons plus de 65% de perte, d’ailleurs. Nous sommes dépendants des saisons, durant six mois, les agriculteurs vont avoir beaucoup de fruits, par exemple, les mangues, les goyaves, certaines céréales… à ce moment-là les prix baissent et durant six autres mois, les agriculteurs n’ont pas de grandes récoltes. Si nous développons le secteur agro-alimentaire, nous pourrons non seulement créer de l’emploi, mais aussi répondre à une demande réelle. Un des objectifs est de viser la sécurité alimentaire, voire même l’autosuffisance de ces pays. Selon moi, nous n’avons pas besoin de doubler ou tripler la production. Nous devons penser à développer le secteur de l’agro-alimentaire en transformant les produits. Nul besoin de réaliser de lourds investissements, mais seulement les adapter aux besoins africains. Si nous voulons aller encore plus loin, nous devons revoir les partenariats entre acteurs européens et les autres acteurs étrangers, tels que l’Asie, l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud. Par ailleurs, dans les années à venir nous allons recevoir des réfugiés climatiques. Et si nous ne parvenons pas à nourrir les populations, je ne sais pas comment nous pourrons faire face à ce phénomène. Il y’a urgence !


 

Par Darine Habchi

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