Aide publique au développement : vers un new deal ?
Alors que 2 500 milliards de dollars par an doivent être mobilisés pour atteindre les Objectifs de développement durable, l’aide publique au développement est plus que jamais indispensable. Reste à en revoir les modalités afin d’initier un « new deal » entre pays donateurs et bénéficiaires. Analyse.
Par Dounia Ben Mohamed
Il faut « repenser nos façons de faire », a récemment exhorté Rémy Rioux, le directeur général de l’Agence française de développement (AFD), à l’occasion de la célébration des 80 ans de l’institution financière publique. Une invitation à repenser l’aide au développement (APD) qui est loin de ne s’adresser qu’à la France. Mise en place au moment des indépendances africaines, l’APD doit aujourd’hui être repensée en profondeur. Plus encore dans ce contexte de pandémie, qui a conduit l’Afrique à connaître en 2020 sa première récession depuis un quart de siècle.
D’autant que, si l’effort des bailleurs de fonds a atteint un niveau historique avec la crise sanitaire – 161,2 milliards de dollars d’aides comptabilisées dans le monde en 2020, en hausse de 3,5 % en termes réels sur un an- celui-ci n’a pas vraiment profité au continent : l’Afrique subsaharienne a vu le volume des subsides octroyés par les donateurs bilatéraux baisser de 1 % sur la même période, à 31 milliards de dollars (environ 26 milliards d’euros) selon l’OCDE.
À la recherche d’une nouvelle donne
Alors que les besoins en infrastructures sont immenses- équivalant à 20 % du PIB en moyenne annuelle d’ici la fin de la décennie-, il s’agit de trouver des réponses à long terme pour atténuer l’impact de la crise sanitaire, tout en accompagnant le développement du continent. En l’inscrivant davantage dans une politique de « co-développement ». C’est l’orientation prise par la France, du moins affichée, déjà adoptée par les Japonais, ou encore par l’Union Européenne, principal « donateur » de l’Afrique. « Un new deal » au cœur du prochain Sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine, prévu en février prochain, à Bruxelles (Lire Focus : les enjeux du Sommet UE-UA). Reste que, si tous, des deux rives de la Méditerranée, s’accordent sur la nécessité de donner une nouvelle orientation à l’aide publique au développement, tout le monde s’oriente-t-il vers la même direction ?
Le soutien au secteur privé, un changement de paradigme
Aussi, de plus en plus d’acteurs préconisent d’orienter une part croissante de cette aide vers le secteur privé, réduisant de facto la part dévolue aux traditionnels récipiendaires publics. C’est notamment l’avis de Florian Léon, chargé de recherche à la Fondation pour les Études et Recherches sur le Développement International (FERDI), qui, dans une note publiée par le média en ligne The Conversation (Lire Pourquoi l’aide publique au développement doit (aussi) servir à soutenir les entreprises privées en Afrique), relève « un changement paradigmatique notoire autour de l’aide publique au développement ». À l’appui de cette assertion, l’analyste cite notamment le communiqué final du dernier Sommet sur le financement des économies africaines, tenu à Paris en mai dernier, qui souligne en particulier l’importance de soutenir le secteur privé, et en particulier les micros, petites et moyennes entreprises (MPME) pour assurer une croissance à long terme du continent.
Encore faut-il que cette aide ne soit pas elle-même conditionnée à la conclusion de contrats avec des entreprises originaires des pays bailleurs. Ainsi, selon les données de l’OCDE, plus de la moitié de l’aide distribuée sous forme de contrats de biens et de services serait accordée aux entreprises des pays donateurs. Autrement dit, ces derniers, en favorisant leurs propres entreprises, reprennent d’une main ce qu’ils ont donné de l’autre…
Réorientation de l’APD française: les jeunes et les entreprises d’abord !
En attendant, c’est l’orientation prise par la France. Du moins l’ambition affichée, si l’on s’en réfère aux déclarations du président Emmanuel Macron, lors du dernier Sommet Afrique-France, justement orienté entreprises et jeunes. De fait, l’Hexagone, qui destine déjà un tiers de son aide publique bilatérale à l’Afrique ((2,9 milliards d’euros en 2020), via son bras armé l’AFD (lire Interview Rémy Rioux : « Une approche tout-Afrique ») et sa filiale Proparco (Lire Interview Gregory Clement « 50% de notre portefeuille est consacré au continent »), a d’ores et déjà acté, à travers une loi adoptée le 4 août 2021 notamment, une « nouvelle doctrine » en matière d’APD. Elle entend ainsi tenir la promesse prise, en 1970, quand les pays de l’ONU s’engageaient à consacrer 0,7 % de leur revenu national brut à l’aide au développement (APD) en passant à 0,55 % du revenu national brut à la fin du quinquennat en 2022, 0,7% d’ici 2025.
Désormais, la France qui a restructurée son bras armé en matière d’APD_l’AFD, avec une dernière pièce maîtresse ajoutée à l’édifice, Expertise France, l’agence de coopération technique, dont 60 % de l’activité se concentre en Afrique, qui rejoint l’AFD (Lire Interview Rima Le Coguic « La priorité d’Expertise France reste l’Afrique »), un format qui permet de concilier moyens humains et financiers_ prône une aide qui se veut plus généreuse financièrement (moins de prêts et plus de dons), en phase avec les attentes des pays bénéficiaires, et qui conforte la priorité accordée à l’Afrique. Paris, qui a par ailleurs pris l’initiative de réunir les créanciers du continent lors du Sommet sur le financement des économies africaines assure désormais privilégier les dons aux prêts et ainsi alléger le poids de la dette africaine. Alors que selon Oxfam 50% de l’aide française brute bilatérale s’est effectuée sous forme de prêts en 2018, la France prévoit désormais des privilégier les dons, se distinguant ainsi de la Chine, régulièrement accusée par les Occidentaux de financer de grands projets d’infrastructures par des prêts qui fragilisent des pays déjà lourdement endettés.
Allemagne : priorité aux entreprises
Chez le voisin allemand, c’est dès 2020 que le virage a été pris avec l’annonce de la restructuration de l’aide au développement (10,8 milliards d’euros de budget annuel, répartis entre l’Agence de coopération internationale GIZ et la banque de développement KfW), qui passera notamment par le plan « BMZ 2030 ». Avec, là aussi, une priorité donnée aux entreprises.
En 2018 déjà, la chancelière Angela Merkel, qui indiquait vouloir faire du développement de l’Afrique une des grandes priorités de son mandat, annonçait la création d’un fonds d’un milliard d’euros censé favoriser les investissements de petites et moyennes entreprises (PME) européennes en Afrique. Objectif affiché, réduire le flux de migrants, et répondre ainsi à une préoccupation de l’électorat allemand, promouvoir les échanges commerciaux par la même occasion. Résultat, dans le cadre du programme Compact for Africa, le Ghana, la Tunisie et la Côte d’Ivoire ont déjà reçu 365 millions d’euros de soutien financier sous forme principalement de prêts bonifiés. Un programme qui au final, selon les ONG, privilégie les pays les plus développés sur le plan économique et par conséquent les plus intéressants en termes de business…
Japon : « Le développement de l’Afrique par l’Afrique »
Autre continent, autre approche. À l’instar du Japon, qui en dépit de sa discrétion s’affirme comme un acteur de développement apprécié en Afrique, notamment pour la nature non-intrusive de sa coopération prônant « le développement de l’Afrique par l’Afrique ».
C’est ainsi qu’en février 2021, à Abidjan, l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA) a signé un accord de prêt de 73,601 milliards de yens (650 millions de dollars) avec le Fonds africain de développement (FAD) pour permettre à celui-ci de mobiliser les ressources nécessaires à la réalisation de ses propres projets, condition sine qua none du « développement de l’Afrique par l’Afrique ».
Les Japonais, qui ont été pionniers dans l’organisation de grands forums avec l’Afrique, dès 1993 avec le TICAD, s’affichent comme un partenaire de « qualité » sur le continent. Depuis le retrait du Royaume-Uni notamment. Mettant à contribution le fleuron de son industrie pour « partager » son savoir-faire dans un secteur prioritaire, pour une Afrique en voie d’industrialisation.
A l’instar de la Turquie. De ce point de vue, l’arrivée au pouvoir du parti AKP, en 2002, aura marqué un tournant dans la politique étrangère turque, qui s’oriente depuis résolument vers l’Afrique (forte progression des échanges commerciaux et hausse sensible de l’aide au développement). La dernière rencontre Turquie-Afrique, qui s’est tenue en décembre dernier à Istanbul, aura de fait confirmé la stratégie … et la nouvelle offensive du pays d’Asie Mineure, qui souhaite doubler le montant de ses échanges commerciaux avec le continent pour atteindre au moins 50 milliards de dollars par an. De quoi sans conteste renforcer sa position de partenaire stratégique, celui de l’allié capable d’opérer là où les autres puissances ne s’aventurent pas, telle que la prise en main du port « imprenable » de Mogadiscio (lire Interview Onur Özçeri : « La Turquie, « un partenaire plus pragmatique, plus rapide »).
Retour d’Israël
Un statut à part, fondé en partie sur l’aspect sécuritaire, et qui aura longtemps été aussi l’atout majeur d’Israël. L’État hébreu, qui entend faire son retour au sein de l’Union Africaine, en tant que pays observateur, entretient aujourd’hui des relations diplomatiques avec plus de 40 États du continent. Et plus uniquement sur le volet « sécurité ». Son agence de coopération internationale, le Mashav, qui intervient sur le volet de la formation notamment, consacre ainsi 40% de son budget à l’Afrique.Un changement radical de stratégie illustré par la visite officielle de Netanyahou au Tchad( lire « Israël un partenaire qui vous veut du bien ») lorsqu’il était aux affaires pour nouer de nouvelles alliances et partenariats.
Chine, une aide « sans conditions » ?
En attendant, pour l’Union Européenne, qui entend se positionner comme le principal partenaire, et donateur, de l’Afrique dans cette période de reprise post-Covid (Lire les enjeux du Sommet UE-UA), c’est par opposition à la « méthode chinoise » qu’elle entend se démarquer.
Absent du sommet sur la dette africaine, l’empire du Milieu qui reste le premier partenaire bilatéral de l’Afrique, promettait 60 milliards de dollars à l’Afrique, « sans conditions », en 2018 lors du 7e Forum sino-africain (FOCAC). Si la pandémie a depuis changé la donne, poussant Pékin a annoncé une réduction d’un tiers du montant des fonds alloués à l’Afrique sur les trois prochaines années, lors du dernier FOCAC de novembre, à Dakar, elle reste un « précieux donateur » pour nombre de pays du continent, dont la dette est concentrée entre les banques chinoises _ la China Development Bank (CDB) (Banque de développement de Chine), la Export-Import Bank of China (Exim) (Banque chinoise pour l’exportation et l’importation), la Bank of China (Banque de Chine) et la Industrial and Commercial Bank of China (ICBC) (Banque industrielle et commerciale de Chine)_(Kenya, Djibouti, etc.) _ et qui aura néanmoins été très présent pendant la pandémie à travers la livraison de masques, tests puis de vaccins. Avec une Afrique au cœur de la stratégie chinoise de la nouvelle route de la soie, la Chine, déjà premier partenaire commercial du continent avec plus de 200 milliards de dollars d’échanges commerciaux annuels, semble difficile à concurrencer. Moins regardante sur le respect des droits de l’homme et jouant à fond la carte du transfert de technologie, et de haute technologie…
« Encourager l’aide qui aide à se passer d’aide »
En définitive, c’est bel et bien une guerre d’influence entre puissances étrangères qui se joue sur le continent, sous couvert d’aide publique au développement. Entre business, logique de puissance géopolitique et solidarité, il vient inévitablement un temps où il faut choisir, rappelle l’universitaire Philippe Marchesin (lire Interview Philippe Marchesin « Une schizophrénie française »). Nul doute cependant qu’avec l’entrée en vigueur récente de la ZLECAf, le plus vaste marché unique de la planète, l’Afrique aura plus les moyens d’orienter l’aide publique dans son intérêt, c’est-à-dire en encourageant « une aide qui l’aide à se passer d’aide », selon la formule restée célèbre de feu le président burkinabé Thomas Sankara (lire Interview de Carlos Lopes L’Afrique est l’avenir du monde mais… »).