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AfroChampions Une initiative pour « fabriquer davantage d’AfroChampions, de manière à transformer positivement le continent »

Lancée fin 2016, l’Initiative AfroChampions réunit des institutions et des groupes privés panafricains muent par le désir d’ accélérer l’intégration économique. Explications avec Anne-Elvire Esmel, Directrice des Programmes au sein du Comité Exécutif d’AfroChampions.

 

 

Quel est le concept de l’Initiative AfroChampions ?

 

Nous avons lancé́ ce projet fin 2016. A l’origine de l’Initiative AfroChampions, il y a la montée en puissance des multinationales panafricaines et leur capacité́ à accélérer l’intégration économique, qui selon nous est le seul moyen d’accélérer le développement du continent. Au sein du comité́ exécutif AfroChampions, nous partageons tous cette conviction. Plus ces entreprises africaines commercent ensemble, plus elles favorisent l’émergence d’écosystèmes dynamiques autour de leurs activités – si l’on songe à̀ tous les sous-traitants, PME, operateurs de transport ou de logistique qui tirent parti de ces échanges économiques pour leur propre développement. Nous avons besoin de davantage de multinationales africaines pour faire évoluer l’Afrique. Et c’est bien ce que nous cherchons à̀ faire avec ce projet : mobiliser les secteurs public et privé pour atteindre cet objectif commun, qui est d’aider le secteur privé panafricain à croître, à fabriquer davantage d’AfroChampions, de manière à transformer positivement le continent. C’est ce besoin de dialogue public-privé qu’a mis en avant lors du lancement du Club AfroChampions en octobre 2017 S.E. Monsieur Albert Muchanga, Commissaire en charge du Commerce et de l’Industrie de l’Union africaine. Il a déclaré́ être venu écouter les idées du secteur privé, car les dirigeants d’entreprise africains apportent souvent des solutions pratiques et efficaces aux problèmes que pose l’intégration régionale.

 

Concrètement, comment fonctionnez-vous, quelles sont vos actions, missions, ambitions ?

 

Au quotidien, le secrétariat d’AfroChampions est assuré Konfidants, cabinet de conseil, d’études et de recherche en économie à l’origine du projet, et le cabinet de communication stratégique Impulse Africa. Basée à Accra, au Ghana, l’Initiative AfroChampions finance ses activités par des contributions privées et la publication de travaux de recherche, et notamment des benchmarks économiques. Elle collabore avec des entreprises et des institutions en Afrique et à l’étranger ; elle est un partenaire de l’Union africaine et de son département en charge du commerce et de l’industrie depuis mars 2018, et de grandes banques d’investissements telles que l’Afreximbank ou la BADEA (Banque arabe pour le développement économique en Afrique). Dans le but d’avoir un impact tangible et positif, l’initiative AfroChampions a défini quatre chantiers prioritaires, visant tous à accompagner l’intégration économique de l’Afrique. Le premier, le renforcement des capacités de la prochaine génération de cadres et d’entrepreneurs africains ; après avoir proposé́ des formations spécifiques dans le cadre de la bourse Djondo, nous travaillons à̀ présent sur un projet plus vaste, CARAVAN, visant, entre autres, à mettre en place des incubateurs d’entreprises régionaux et à déployer à large échelle les compétences entrepreneuriales et STIM (Sciences, Techniques, Ingénierie et Mathématiques). Le deuxième, l’élaboration de réflexions et de propositions pour une mise en œuvre réussie de la zone de libre-échange continentale africaine, au travers d’actions de sensibilisation auprès des communautés d’affaires africaines dans toute leur diversité́ ; la création d’un groupe puissant d’entreprises ‘AfroChampions’ engagées autour d’une charte pour promouvoir l’intégration africaine. Enfin, la facilitation des investissements dans des projets africains stratégiques. C’est ce dernier chantier qui nous mobilise aujourd’hui tout particulièrement. Nos équipes ont conçu un Cadre d’Investissement de 1000 milliards de dollars au soutien de la ZLECA, qui comprend un fonds d’investissement, un ensemble de critères permettant de rendre éligible au financement les projets avec un impact positif sur la ZLECA – notamment dans le domaine des infrastructures énergétiques, de transport et de connectivité – et un mécanisme de suivi des efforts des états pour mettre en œuvre le traité ZLECA et approfondir l’intégration économique. Ce projet, élaboré́ en partenariat avec le département du Commerce et de l’Industrie de l’Union africaine, a été présenté́ formellement à Kigali en octobre dernier lors de notre Boma dédié́ à l’industrialisation verte, et est actuellement soumis à̀ revue et consultation par les organes de l’Union africaines et les associations professionnelles du continent.

 

C’est dans ce cadre que vous avez récemment participez à Crystal Ball Africa 2020 qui se tenait à Accra….

 

Nous avons l’honneur et le plaisir d’accueillir au sein de notre comité́ exécutif David Ofosu-Dorte, Président d’AB and David Law qui organise le Crystal Ball Africa depuis sept ans, avec un succès certain. Nous aimons particulièrement le concept de cet évènement qui culmine avec une série de prédictions économiques; cet exercice de scenario-planning est une manière originale de sensibiliser la communauté́ d’affaires, parce qu’en montrant ce qui peut arriver, selon les hypothèses de travail à l’instant T, on force à la prise de conscience et on peut faire réagir et orienter les actions des uns et des autres. Plus généralement, le thème de CBA 2020 était ‘le rôle transformateur de la ZLECA’, sujet qui structure l’essentiel de nos activités au sein d’AfroChampions. La réussite du marché́ commun africain dépend de la capacité́ des entreprises africaines – de toutes tailles – de relever le défi du libre-échange, tout en développant leur activité́. Nous avons commencé́ à nous faire connaitre en 2018 à travers des roadshows destinés à rencontrer associations professionnelles et chambres de commerce pour échanger avec les entrepreneurs, comprendre leurs interrogations et leurs inquiétudes sur la ZLECA mais aussi les encourager et leur expliquer que, s’ils allaient bientôt être confrontés à une plus grande concurrence dans leurs pays respectifs, ils auraient également la capacité́ de penser plus grand et plus loin en pénétrant d’autres marchés, dans les pays voisins voire dans d’autres régions du continent. Les conversations de la semaine dernière à Accra au sein de CBA s’inscrivent complètement dans cette démarche de sensibilisation au plus près du terrain – et c’était notre principal objectif en participant à l’évènement.

 

Selon vous, quel peut être le rôle des acteurs économiques et de la société́ civile pour faire avancer l’intégration régionale ?

 

L’intégration régionale était une réalité́ au temps des caravanes africaines et à la vérité́, les grands entrepreneurs qui ont inspiré́ la vision d’AfroChampions ont beaucoup fait dans les dernières décennies pour la faire avancer. Lorsque des groupes comme ECOBANK, l’OCP, MTN ou Dangote sont actifs sur plusieurs pays, suscitent des réflexions de fonds sur l’harmonisation des législations économiques, constituent des équipes multinationales et multiculturelles, poussent au déploiement d’infrastructures parce qu’ils en besoin au quotidien pour servir leur projet d’expansion, ils ont un rôle intégrateur.

Le Traité ZLECA est l’occasion d’accélérer cette dynamique – et une opportunité́ pour les grands groupes régionaux comme les plus petits entrepreneurs de penser et d’agir à l’échelon du continent. Mais le Traité ZLECA n’est qu’un cadre, auquel il faut donner de la substance, et c’est là que les acteurs économiques et la société́ civile ont un rôle clé́. Donner de la substance cela signifie,  en premier lieu, pousser à la mise en place des ‘hard’ et ‘soft’ infrastructures qui permettront de produire, à l’échelle industrielle, les marchandises africaines et de les transporter en Afrique. Energie, transport, systèmes de traçabilité́, connectivité : on parle des équipements stratégiques sans lesquelles rien n’est possible. Avec le Cadre d’investissement AfroChampions de 1000 milliards de dollars, qui comprend un fonds d’investissement et des critères pour donner la priorité́ aux projets à impact positif pour la ZLECA, c’est bien ce type de projets que nous voulons aider à voir le jour.

Ensuite, comprendre que la libre circulation des marchandises – le cœur du Traité ZLECA – ne peut être effective sans libre circulation des personnes et liberté́ d’établissement, et à terme sans libre circulation des capitaux. Si on produit des cosmétiques et que l’on veut optimiser ses coûts de production, avec des intrants locaux moins chers, ou ses coûts de transport, cela fait sens d’installer plusieurs ateliers ou centres de fabrication et la liberté́ d’établissement est essentielle à cet égard ; mais le protocole sur ce sujet ne fait pas encore consensus au sein de tous les états africains et la société́ civile peut peser sur ce débat.

De même, comprendre aussi que certaines des règles doivent être interprétées et adaptées – parce qu’elles ont parfois été inspirées par traités de libre-échange conçus pour des ensembles économiques, comme l’Europe par exemple, plus intégrés et avec un niveau d’échanges internes plus élevé́ que celui du continent africain – lui dont la capacité́ de production industrielle et de transport reste à construire. Lors de la session sur les règles d’origine du CBA 2020, nous avons eu une discussion très concrète sur la situation des usines africaines dédiées à l’assemblage. Si un produit est africain à la condition que 65 % des composants le soient, alors que deviennent ces unités… qui sont pourtant souvent à̀ l’origine du processus d’industrialisation et qui parfois ont besoin de temps pour monter en gamme et rapatrier tout le savoir-faire technique ? La règle des 65% pousse à̀ produire davantage d’un produit donné sur le continent mais ne mérite-t- elle pas d’être compensée ou accompagnée par des mesures pour aider les entrepreneurs à financer leurs unités ou à̀ sourcer localement les matériaux dont ils ont besoin ?

On pourrait encore s’étendre sur ce sujet, mais ces quelques exemples peuvent donner une idée des questions extrêmement concrètes que la société́ civile doit poser aux décideurs publics pour réussir l’intégration régionale – au sens où elle doit d’abord et avant tout profiter aux africains.

 

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