Afrique-Middle East : de l’aide au développement à l’investissement
Jadis perçu comme un continent où règne famine et misère, l’Afrique ne suscitait l’intérêt des pays du Moyen-Orient que sur le plan caritatif. Aujourd’hui, l’Afrique à l’aune de devenir le plus grand marché du monde avec la mise en place de la ZLECAf, suscite toutes les convoitises. Y compris celles des pays du Moyen-Orient entre lesquels, à l’image des autres puissances mondiales, une guerre d’influence se joue sur le continent. En attendant, à l’image de la BADEA, de plus en plus d’institutions de la région s’engagent, et financent, des projets à fort impact socio-économique en Afrique. Alors que la géopolitique mondiale est confrontée à de nombreux bouleversements, les relations Afrique-Middle East s’accélèrent et pourraient changer la donne…
Par Dounia Ben Mohamed
Le 27 décembre dernier, pour marquer un demi-siècle de relations « fraternelles » avec les pays d’Afrique subsaharienne, les Emirats Arabes Unis ont pris une initiative plus que symbolique. « Pour marquer le passage de plus d’un demi-siècle de relations exceptionnelles entre les Émirats arabes unis et l’Afrique, les Émirats arabes unis ont fait don de 51 Ghaf (un arbre symbole de résilience, de prospérité et d’adaptation malgré son environnement difficile, NDLR) à leurs partenaires sur le continent africain », a alors indiqué le ministre d’État Cheikh Shakhbout bin Nahyan Al Nahyan. Il a ensuite enchaîné avec une confirmation : « Cela reflète des relations solides et prospères avec les pays africains fondées sur la coopération, l’amitié et le bénéfice mutuel ». La plantation de ces arbres représente un investissement pour les Émirats arabes unis et ses partenaires dans les générations futures, reflétant l’engagement ferme de l’État envers le continent africain.
Et de rappeler au passage que durant les cinquante et une années de partenariat avec les pays africains, les Émirats arabes unis ont continué à soutenir la prospérité et à contribuer aux efforts conjoints pour aider le continent africain et ses nations à relever les défis futurs et à développer des solutions innovantes. Des relations qui continuent de se développer dans différents domaines, sur la base de liens sociaux, culturels, économiques et en faveur du développement du pays. Une initiative, symbolique, certes, mais qui reflète la volonté des Émirats arabes unis de renforcer leur partenariat avec les pays d’Afrique.
« L’Afrique…une terre à défricher pour une région qui entend se diversifier »
Les Émirats arabes unis figurent aujourd’hui parmi les plus grands pays investisseurs en Afrique, versant des milliards de dollars dans des projets de développement qui soutiennent l’infrastructure du continent. Et ils sont loin d’être les seuls à miser dans l’avenir du continent. A l’image des Émirats arabes unis, l’Afrique longtemps perçue par les pays du Moyen-Orient comme un continent de misère auquel on octroie des dons, apparaît désormais comme une terre à défricher pour une région qui entend se diversifier. Le Conseil de coopération du Golf (CCG), entre autres, a forgé des liens solides avec des pays d’Afrique et dans des secteurs cruciaux tels que l’agriculture, la santé et l’énergie. Selon un récent rapport de la Chambre de commerce de Dubaï a montré que la nation du Golfe représentait 88 % des investissements du CCG en Afrique subsaharienne.
L’Arabie saoudite est également un gros investisseur dans l’agro-industrie africaine, exploitant en particulier l’énorme potentiel des terres agricoles d’Afrique de l’Est pour résoudre des problèmes critiques tels que la sécurité alimentaire. Le fonds souverain du Royaume a investi environ 4 milliards de dollars dans divers secteurs à travers l’Afrique, notamment les mines, les télécommunications et l’énergie. Ce fort intérêt d’investissement du CCG devrait se poursuivre étant donné les perspectives de croissance de l’Afrique.
« Depuis sa création en 1975, le Fonds a apporté son soutien à 46 pays africains en finançant plus de 408 projets dans le continent, avec une valeur de 10,47 milliards de dollars USD »
Une orientation confirmée le 20 janvier lors de la deuxième édition du « Forum et de l’Exposition africaine de coopération Sud-Sud pour le développement durable », qui se tenait à Kampala, et auquel participait une délégation du Fonds Saoudien pour le Développement (SFD). L’occasion pour sa dernière de rappeler que, depuis sa création en 1975, le Fonds a apporté son soutien à 46 pays africains en finançant plus de 408 projets dans le continent, avec une valeur de 10,47 milliards de dollars américains, représentant environ 60% du total des projets financés par le Fonds, et couvrant divers secteurs tels que l’éducation, la santé, les transports et les communications, l’agriculture, l’énergie et autres.
L’Arabie saoudite a par ailleurs annoncé plus de 6,4 milliards de dollars d’investissements dans les technologies futures et l’entrepreneuriat en février 2022 pour accélérer la transformation numérique du royaume et développer son économie numérique. Un autre impact significatif des investissements du CCG en Afrique subsaharienne sera le développement des compétences et la création d’emplois alors que nous comblons les lacunes en matière d’infrastructure et d’énergie.
Avec la mise en place de la Zone économique de libre-échange africaine (ZLECAf), le continent, en passe de devenir le plus grand marché mondial, se confirme comme une destination d’investissement, et ce dans un large éventail de secteurs en Afrique pour les investisseurs de la région.
« A la fois symbole et acteur de cette tendance, la BADEA multiplie les initiatives dédiées au financement du commerce intra-africain et afro-arabe »
A la fois symbole et acteur de cette tendance, la Banque Arabe pour le Développement Economique (BADEA), menée par Sidi Ould Tah, multiplie les initiatives dédiées au financement du commerce intra-africain et afro-arabe. Entre 2020 et 2024, l’institution – avec un capital augmenté de 376%, à $20 milliards, elle devient en 2002 la deuxième banque de développement la mieux notée du continent avec un rating AA2, émis par Moody’s en avril 2022 et confirmé par Standard and Poor’s en novembre 2022 – consacrera une enveloppe annuelle de $1 milliard de dollars de financement, dont les trois-quarts au secteur privé et au financement des échanges commerciaux intra-africains et afro-arabe. L’effet levier multiplicateur de 4, traduit que $1 dollar de la BADEA mobilisera quatre ($4) dollars de ses partenaires du groupe des institutions arabes.
Mieux, lors du Sommet de l’Union Africaine pour l’Industrialisation, en novembre 2021, au Caire, la BADEA – dont les pays membres, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït et le Qatar entre autres, contrôlent ensemble 61% de la banque – avec quatre fonds de garantie le FSA, FAGACE, AGF, ATI-ACA, en décembre 2021, ont lancé une initiative de $1 milliard sur l’accompagnement des Micro, Petites et Moyennes Entreprises.
« Une carte supplémentaire à jouer dans le jeu des puissances internationales… »
De quoi favoriser le renforcement de la relation entre les deux régions avec le soutien des institutions financières islamiques. D’autant que la conjoncture régionale y est des plus favorables. L’économie des pays du Moyen-Orient a atteint une croissance régulière en 2021-22, qui est soutenue par la reprise économique mondiale et la hausse des prix du pétrole, selon les experts. Même s’ils sont encore confrontés à des défis majeurs au cours des années à venir, le rapprochement avec les pays africains devrait leur être profitable. Pour l’Afrique, ces fructueux nouveaux partenariats pourraient, s’ils sont bien menés, lui donner une carte supplémentaire à jouer dans le jeu des puissances internationales…