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Afrique en mouvement : entre digitalisation des transports et électrification des mobilités

Face aux défis environnementaux et à la dépendance énergétique, l’Afrique opère une transition ambitieuse vers les véhicules électriques. Soutenu par les États, des start-up dynamiques et les bailleurs internationaux, le marché de la mobilité verte séduit un nombre croissant de villes et d’usagers à travers le continent.

À Lagos, Kigali, Nairobi ou encore Le Caire, les véhicules électriques commencent à remplacer les moteurs thermiques dans le paysage urbain africain. Ce tournant, encore embryonnaire il y a quelques années, s’accélère aujourd’hui, porté par l’urgence climatique, l’envolée des prix du carburant, et les progrès technologiques. L’Afrique, continent encore marginal sur le marché mondial de l’électromobilité, entre dans la course.

L’Afrique repense ses routes avec le numérique vert

Dans les métropoles africaines, la circulation est souvent chaotique, les transports publics sous-développés et les émissions de CO₂ en hausse. Pourtant, des solutions innovantes émergent. Grâce à la convergence du numérique et de l’électrification, le continent engage une transformation majeure de ses systèmes de transport. Un mouvement porté à la fois par des start-up agiles, des politiques publiques volontaristes et un écosystème de plus en plus favorable à la mobilité durable.

Selon la Banque mondiale, plus de 60 % des Africains vivront en zone urbaine d’ici 2050. Cette croissance urbaine appelle des réponses urgentes pour éviter l’asphyxie des villes. D’un côté, la digitalisation des services permet une meilleure gestion des flux, une réduction de la fraude et un gain de transparence. De l’autre, la mobilité électrique réduit la pollution atmosphérique et la dépendance aux carburants fossiles importés, qui pèsent lourdement sur les balances commerciales nationales.

Selon un rapport publié en 2024 par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), moins de 0,5 % des véhicules en circulation en Afrique sont électriques. Mais le potentiel est immense : le continent comptera plus de 170 millions d’habitants urbains supplémentaires d’ici 2030, générant une forte demande en solutions de transport durable. D’ici à 2040, plus de 25 millions de véhicules devraient être mis en circulation en Afrique, selon l’Agence africaine de l’électrification durable (AAED), dont une part croissante sera électrique si les politiques suivent.

Des pionniers africains en action

Plusieurs acteurs africains se sont lancés dans la bataille. Au Kenya, BasiGo a déployé plus de 100 bus électriques à Nairobi, avec pour ambition d’en introduire 1 000 d’ici 2026. Au Rwanda, l’entreprise Spiro (anciennement M Auto) a déjà mis sur les routes plus de 1 500 motos électriques à Kigali et à Kampala, avec une flotte prévue de 10 000 unités dans les deux ans. Le Nigeria mise sur la production locale, avec Siltech et Jet Motors, qui développent des bus électriques assemblés à Lagos.

« Le passage aux véhicules électriques n’est pas seulement une question d’environnement ; c’est une opportunité économique pour des millions d’Africains », affirme Adetayo Bamiduro, co-fondateur de Max.ng, une start-up nigériane de transport électrique.

Les ambitions sont également industrielles. En Afrique du Sud, la firme Optimal Energy planche sur le développement de la Joule, la première voiture électrique conçue localement. Même si le projet a connu des difficultés, il a ouvert la voie à une dynamique de production régionale.

La transition verte est un levier pour créer de l’emploi, améliorer la qualité de l’air, et réduire la facture énergétique de nos villes

De nombreux gouvernements intègrent désormais les véhicules verts dans leurs plans nationaux. Le Rwanda interdit l’enregistrement de nouvelles motos à essence à partir de janvier 2025. Le Kenya, de son côté, a supprimé les droits d’importation sur les motos et véhicules électriques et prévoit une électrification de 5 % du parc automobile d’ici 2030.

La Banque africaine de développement (BAD) soutient cette transition. Elle a alloué en 2024 plus de 150 millions de dollars à des projets de mobilité durable, notamment à Kigali, Accra et Abidjan. « La transition verte est un levier pour créer de l’emploi, améliorer la qualité de l’air, et réduire la facture énergétique de nos villes », souligne Akinwumi Adesina, président de la BAD.

De nombreux freins subsistent : coût élevé des véhicules, faible disponibilité des infrastructures de recharge, réseaux électriques instables, et manque de financement

Malgré cette dynamique, de nombreux freins subsistent : coût élevé des véhicules, faible disponibilité des infrastructures de recharge, réseaux électriques instables, et manque de financement pour les petits opérateurs. Une moto électrique coûte en moyenne 1 500 dollars, soit deux à trois fois plus qu’une moto thermique d’occasion.

L’accès au financement reste crucial. En 2023, seulement 0,2 % des financements mondiaux pour la mobilité électrique ont été dirigés vers l’Afrique, selon BloombergNEF. Les experts plaident pour la création de mécanismes régionaux de financement innovants, incluant le leasing, les subventions ciblées, et les partenariats public-privé.

Des synergies possibles pour une mobilité durable

En attendant, le croisement entre digitalisation et électrification ouvre la voie à des solutions hybrides : gestion numérique des flottes électriques, géolocalisation, maintenance prédictive, gestion énergétique connectée… Sans la mise en place de réseaux intelligents capables de gérer efficacement la recharge des véhicules, l’essor de la mobilité électrique pourrait se heurter aux limites actuelles des infrastructures électriques.

La question des smart grids, ou réseaux intelligents, devient donc centrale. Elle permet non seulement de stabiliser la demande énergétique liée aux transports, mais aussi de piloter des politiques de mobilité basées sur les données. À Kigali, la mairie a déjà entamé cette transition en reliant les bus électriques à des outils de gestion urbaine intelligents.

Le développement de la mobilité électrique ne représente pas seulement un enjeu écologique : c’est aussi une opportunité industrielle et stratégique. L’Afrique possède plus de 70 % des réserves mondiales de cobalt, essentielles à la fabrication des batteries, et des gisements importants de lithium et de manganèse.

« La croissance du marché des batteries et des véhicules électriques est estimée à 8,8 trillions de dollars d’ici 2025 et à 46 trillions d’ici 2050… nous ne pouvons pas manquer cette opportunité ; nous devons agir rapidement pour capter ce marché,» a déclaré, Claver Gatete, Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies, lors d’une conférence sur le développement de la chaîne de valeur des batteries en Afrique.

L’Afrique est encore loin des niveaux d’électrification de l’Asie ou de l’Europe. Mais le continent a l’avantage d’arriver plus tard, avec la possibilité de sauter des étapes et d’adopter des solutions adaptées à ses réalités. De Lagos à Kigali, une nouvelle génération de leaders, d’entrepreneurs et de citoyens s’engage dans cette transition. L’avenir de la mobilité africaine est peut-être électrique — et il est déjà engagé sur les routes africaines…

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