Afrique de l’Ouest : vers une sécurité gazière régionale
Réunis à Abidjan le 7 décembre 2025, les ministres de l’Énergie du Togo, du Bénin et de la Côte d’Ivoire ont annoncé la création d’un cadre tripartite pour sécuriser l’approvisionnement en gaz naturel en Afrique de l’Ouest. Cette initiative, soutenue par la Banque mondiale, vise à réduire les coûts, diversifier les sources et renforcer la stabilité énergétique régionale. Analyse.

Face à une demande énergétique croissante, le Togo, le Bénin et la Côte d’Ivoire ont décidé de renforcer leur coopération gazière. Le 7 décembre 2025 à Abidjan, les ministres en charge de l’Énergie de ces trois pays ont validé la mise en place d’un cadre tripartite destiné à sécuriser l’approvisionnement en gaz naturel, ressource clé pour la production électrique et le développement industriel. La rencontre a bénéficié de l’appui technique et financier de la Banque mondiale, qui se dit prête à accompagner le projet via l’IFC et la MIGA.
Un déficit énergétique réel qui freine la croissance
Plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest font face à un déficit significatif d’approvisionnement en gaz, ce qui contraint fortement leurs capacités électriques. Au Togo, par exemple, la demande quotidienne de gaz naturel est estimée à environ 35 000 MMBTU par jour, mais les approvisionnements ne couvrent que 5 000 à 15 000 MMBTU, voire parfois rien, selon les données récentes du gouvernement togolais. Cette insuffisance alimente les coûts élevés de production électrique et les coupures fréquentes, poussant les États à recourir à des combustibles liquides coûteux pour compenser le manque de gaz.
À l’échelle de l’Afrique, la demande de gaz naturel devrait continuer de croître fortement dans les années à venir : selon le Gas Exporting Countries Forum (GECF), elle pourrait augmenter de 3 % par an en moyenne d’ici 2050, passant de 170 milliards de m³ en 2023 à 385 milliards de m³ en 2050. Ce carburant naturel, moins polluant que d’autres fossiles, équipera une part grandissante du mix énergétique continental, notamment pour la production d’électricité et l’industrialisation.
Une coopération pour mutualiser et sécuriser
Le Togo, confronté à une pression croissante sur son approvisionnement énergétique, souffre de coûts de production élevés liés à l’usage de combustibles liquides. Le ministre Robert Koffi Eklo a insisté sur la nécessité d’une coordination régionale et a évoqué, à terme, la création d’une institution gazière régionale sur le modèle du WAPP (West African Power Pool) pour l’électricité. « Ce n’est pas parce que l’un des pays avance que cela fait reculer l’autre. Nous sommes ouverts à une coopération énergétique régionale forte pour répondre aux besoins de nos populations » a déclaré le ministre Robert Koffi Eklo.
Cette approche devrait permettre de mutualiser les achats de gaz, renforcer la crédibilité de la demande et améliorer les conditions de négociation avec les fournisseurs internationaux.
Objectif : réduire les coûts pour les États et les consommateurs tout en consolidant la sécurité énergétique et en favorisant la transition vers des sources moins polluantes

La déclaration finale adoptée par les trois pays prévoit trois mesures prioritaires : la mutualisation de l’importation de gaz naturel liquéfié (GNL), la création d’un groupe de travail technique dans un mois pour étudier le modèle opérationnel, et la structuration d’un projet bancable avec l’appui de la Banque mondiale. L’objectif est double : réduire les coûts pour les États et les consommateurs tout en consolidant la sécurité énergétique et en favorisant la transition vers des sources moins polluantes.
La Côte d’Ivoire, un pôle gazier émergent
La Côte d’Ivoire se positionne comme un actif stratégique dans cette dynamique régionale. Le pays dispose d’importantes ressources gazières, en particulier le gisement Baleine, qui recèle environ 3,3 trillions de pieds cubes de gaz et alimente déjà plusieurs centrales électriques nationales depuis 2023. La phase d’exploration actuelle, menée avec le navire Deepwater Skyros, prévoit le forage de trois nouveaux puits dans les zones Civette, Calao et Caracal, renforçant le potentiel gazier national.
Dans le même temps, un projet de gazoduc bidirectionnel reliant la Côte d’Ivoire au Ghana est en cours d’étude. Ce projet, qui pourrait alimenter la production électrique, l’industrie des engrais et d’autres secteurs industriels, s’inscrit dans une logique d’intégration énergétique régionale : il pourrait compléter le West African Gas Pipeline (WAGP), actuellement le principal corridor gazière reliant le Nigeria au Ghana, au Togo et au Bénin, dont la capacité est souvent limitée par les approvisionnements irréguliers en provenance du Nigeria.
La création d’un second pôle gazier en Afrique de l’Ouest pourrait réduire cette dépendance structurelle au gaz nigérian et diversifier les sources pour le Togo et le Bénin, améliorant ainsi la résilience énergétique de la sous-région.
Un modèle pour d’autres initiatives intégrées dans l’énergie, l’eau ou les infrastructures dans la région
À une époque où la sous-région cherche à combler un déficit énergétique qui coûte jusqu’à 4 % de son PIB annuel, selon la Banque mondiale et la CEDEAO, chaque avancée vers une sécurité gazière accrue contribue à améliorer l’accès des populations aux services essentiels et à renforcer la croissance économique.
L’analyse des enjeux montre que cette coopération tripartite pourrait avoir un impact majeur sur la stabilité énergétique et la compétitivité industrielle. Une sécurisation du gaz naturel permettrait de réduire la volatilité des coûts de production électrique, de favoriser le développement d’industries consommatrices d’énergie et de soutenir la transition vers des sources plus propres.
Sur le plan régional, ce cadre tripartite pourrait également servir de modèle pour d’autres initiatives intégrées dans l’énergie, l’eau ou les infrastructures, renforçant l’autonomie stratégique de l’Afrique de l’Ouest.



