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À New Delhi, l’IATA ausculte les défis de l’aviation africaine

Réunis à New Delhi pour la 81e Assemblée générale annuelle de l’IATA (International Air Transport Association), les dirigeants de l’aviation mondiale dressent un état des lieux du secteur. Si l’Afrique affiche une demande dynamique des passagers, elle reste freinée par des coûts élevés, des fonds bloqués et une connectivité régionale encore trop faible.

Par Yousra Gouja, à New Delhi

C’est dans la capitale indienne que s’ouvre la 81e Assemblée générale annuelle de l’Association internationale du transport aérien (IATA), accueillie par la compagnie IndiGo et en présence de 1 700 acteurs du secteur. Plus de quatre décennies après la dernière édition indienne, l’événement marque un retour symbolique dans un pays devenu un géant aérien. C’est dans ce contexte mondial de transformation que les regards se tournent vers l’Afrique, à la fois promesse de croissance et miroir de ses propres blocages.

Alors que la demande des passagers mondiale grimpe de 6 % en 2025, celle de l’Afrique fait mieux avec +9 %. Pourtant, le continent ne pèse encore que 2 à 3 % du trafic global

Entre croissance de la demande, investissements émergents et obstacles persistants, le continent africain avance… à contre-courant.

Alors que la demande des passagers mondiale grimpe de 6 % en 2025, celle de l’Afrique fait mieux avec +9 %. Pourtant, le continent ne pèse encore que 2 à 3 % du trafic global. Le paradoxe est évident : démographie jeune, urbanisation rapide, intégration continentale en marche… mais une aviation qui peine à décoller. Kamil Al-Awadhi, vice-président régional pour l’Afrique et le Moyen-Orient chez l’IATA, n’élude pas : « Si je devais ouvrir une compagnie aujourd’hui, ce ne serait certainement pas en Afrique. Le coût y est trop élevé. » Le diagnostic est chiffré : +17 % sur le carburant, +12 à 15 % sur les taxes, +10 % sur les frais de navigation, et jusqu’à +10 % sur la maintenance et l’assurance. Le coût du capital y est aussi plus lourd. Cette accumulation renchérit fortement le prix des billets, réduisant l’accessibilité pour la majorité de la population.

Connecter l’Afrique à elle-même

À peine 20 % des routes aériennes africaines sont intra-continentales. Ce chiffre symbolise une faiblesse structurelle : un ciel fragmenté, dominé par des hubs extérieurs au continent, qui freine la mobilité régionale. « Ce n’est pas un problème d’accords de ciel ouvert. Le vrai frein, c’est le manque de volonté politique et de coordination », affirme Kamil Al-Awadhi. La question des visas, elle aussi, reste un obstacle. À ce jour, seuls quatre pays – Bénin, Rwanda, Gambie et Seychelles – accueillent tous les Africains sans visa. Ailleurs, les formalités restent dissuasives. « L’Algérie souffre énormément des restrictions actuelles », déplore-t-il. Pourtant, quelques signaux positifs émergent.

Si je devais ouvrir une compagnie aujourd’hui, ce ne serait certainement pas en Afrique. Le coût y est trop élevé

L’Éthiopie, appuyée par la Banque africaine de développement (BAD), projette la construction d’un nouvel aéroport international. Ce mégaprojet témoigne des ambitions du pays, déjà fer de lance du ciel africain avec Ethiopian Airlines. Cette même compagnie codirige aussi la nouvelle Air Congo avec la République démocratique du Congo : une alliance où la RDC garde 51 % du capital, tandis que le transporteur éthiopien assure l’expertise opérationnelle. Ce modèle hybride montre qu’une aviation africaine forte peut émerger sans renier la souveraineté nationale.

Des fonds bloqués qui étranglent les compagnies

Mais cette dynamique se heurte à un autre problème structurel : la non-restitution des revenus. Fin avril 2025, 1,3 milliard de dollars de fonds appartenant aux compagnies aériennes sont bloqués par des gouvernements, dont 1,1 milliard en Afrique et au Moyen-Orient. Dix pays concentrent 80 % du total. L’Afrique figure en bonne place : Mozambique (205 M$), Algérie (178 M$), zone XAF (191 M$), Éthiopie (44 M$). « Cela viole les accords bilatéraux. Ces pratiques découragent l’investissement et fragilisent la connectivité », alerte Willie Walsh, directeur général de l’IATA. Sans accès à leurs revenus, les compagnies ne peuvent assurer leurs charges en devises, ni développer leur réseau.

Des efforts à poursuivre sur la sécurité…et l’écologie

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En matière de sécurité, les données récentes offrent un rare motif de satisfaction. Le taux d’accidents mortels en Afrique est passé de 10,88 en 2022 à 6,38 en 2023, mieux que la moyenne des cinq dernières années (7,11). Mais l’IATA veut aller plus loin avec CASIP, une initiative conjointe avec l’OACI, l’AFCAC, la FAA, Boeing et d’autres, pour identifier les lacunes critiques et améliorer les standards sur tout le continent. « Promouvoir la sécurité, c’est fondamental. Avoir un accident est malheureux. Mais ne pas enquêter, c’est impardonnable », martèle Kamil Al-Awadhi. Pour lui, le problème n’est pas seulement réglementaire, il est aussi éducatif : « il faut renforcer les compétences. Le déficit de formation freine la montée en qualité. »

Le transport aérien fait face à un défi écologique majeur : atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 tout en continuant à croître. À l’échelle mondiale, l’IATA estime que sans mesures de décarbonation, les émissions du secteur pourraient atteindre 1 900 Mt de CO₂ en 2050. La solution clé réside dans le déploiement de carburants d’aviation durables (SAF), mais ceux-ci ne représentent encore qu’environ 0,7 % de la consommation mondiale en 2025.

En Afrique, où le secteur aérien est en plein essor, les défis sont encore plus aigus : faible accessibilité au SAF, infrastructures limitées et dépendance aux fournisseurs internationaux. L’entrée en vigueur de la législation ReFuelEU en janvier 2025 — imposant 2 % de SAF dans les carburants aux aéroports européens — a conduit certains fournisseurs à répercuter les coûts sur les compagnies, freinant l’émergence d’un marché mondial transparent du SAF. Pour l’Afrique, cela complique l’accès à des solutions durables, malgré un fort potentiel en biomasse et énergies renouvelables.

345 millions de passagers à l’horizon 2043

À l’horizon 2043, l’Afrique devrait transporter 345 millions de passagers, soit plus du double des niveaux de 2023. Ce potentiel est considérable. Mais les blocages politiques, les conflits, les sanctions internationales et les tensions économiques ralentissent l’émergence d’un écosystème aérien robuste. « L’IATA peut être un catalyseur. Mais les gouvernements doivent comprendre que l’aviation n’est pas un luxe. C’est un levier de développement. C’est maintenant que ça se joue », conclut Kamil Al-Awadhi.

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