Afrique-Moyen-Orient : une nouvelle alliance mutuellement stratégique
Depuis quelques mois, le Moyen-Orient est devenu le principal bailleur de fonds en Afrique, transformant les relations économiques et diplomatiques entre ces deux régions. Cette influence s'étend également à la diplomatie, comme en témoigne le rôle clé du Qatar dans la médiation de la crise entre le Rwanda et la RDC. Ce partenariat offre à l’Afrique des opportunités de développement, de création d’emplois et de transfert de technologies. Pour le Moyen-Orient, ces investissements renforcent leur influence et leur présence sur le continent, tandis que la compétition entre ces puissances peut profiter aux nations africaines, si elles savent en tirer parti…

Entre 2019 et 2023, les Émirats arabes unis (EAU) ont investi 110 milliards de dollars en Afrique, dont 72 milliards dédiés aux énergies renouvelables, surpassant ainsi des acteurs traditionnels comme la Chine, la France ou encore le Royaume-Uni. Parallèlement, en octobre 2024, l’Arabie saoudite a annoncé un engagement de 41 milliards de dollars sur dix ans en Afrique subsaharienne, comprenant 25 milliards d’investissements directs privés, 10 milliards via la Banque saoudienne d’import-export et 5 milliards pour soutenir les start-ups africaines.
Les investissements du Moyen-Orient en Afrique se concentrent principalement sur les énergies renouvelables, avec 72 milliards de dollars alloués par les Émirats Arabes Unis pour soutenir la transition énergétique du continent. Dans le secteur des infrastructures, des entreprises comme DP World de Dubaï gèrent plusieurs ports africains, facilitant le commerce et renforçant les liens commerciaux. En Zambie, un investissement de 1,1 milliard de dollars par International Resource Holdings dans Mopani Copper Mines vise à développer le secteur minier, tandis que des projets agricoles et de télécommunications sont également soutenus pour moderniser l’agriculture et améliorer la connectivité numérique. Les pays prioritaires pour ces investissements incluent la Zambie, la Guinée, l’Égypte, l’Angola et plusieurs nations d’Afrique subsaharienne, choisies pour leurs ressources naturelles et leur potentiel économique. Parmi les projets illustrant cette coopération, on trouve des initiatives solaires en Zambie, le renforcement des infrastructures portuaires en Guinée par Abu Dhabi Ports, l’acquisition de Mopani Copper Mines pour stimuler la production de cuivre, et des investissements agricoles et télécoms en Afrique de l’Est et de l’Ouest.
Des investissements conduits par des intérêts majeurs pour les pays du Moyen-Orient.
Des enjeux économiques : réduire leur dépendance aux hydrocarbures en investissant dans des secteurs porteurs

Ces investissements massifs répondent à plusieurs objectifs stratégiques pour les pays du Moyen-Orient. Des enjeux économiques d’abord. Il s’agit en premier lieu pour les pays du Golfe de réduire leur dépendance aux hydrocarbures en investissant dans des secteurs porteurs à l’international. Cette volonté se traduit par des projets d’envergure qui redéfinissent les échanges entre les deux régions. En Égypte, l’Arabie saoudite, via son Fonds d’investissement public (PIF), finance la construction de Neom Green Hydrogen Company, la plus grande usine d’hydrogène vert au monde, un projet à 8,4 milliards de dollars visant à faire du pays un hub énergétique majeur. Au Sénégal, le groupe émirati AMEA Power a récemment lancé la centrale solaire de Kahone, qui injectera 60 mégawatts d’électricité dans le réseau national, soutenant ainsi l’ambition du pays d’atteindre 30 % d’énergies renouvelables d’ici 2030. En Tanzanie, la société saoudienne ACWA Power investit dans le projet de la centrale hydroélectrique de Julius Nyerere, d’une capacité de 2 115 mégawatts, essentielle pour garantir l’accès à l’électricité pour des millions de foyers. Enfin, dans le domaine des infrastructures, l’Éthiopie a signé un accord stratégique avec DP World pour le développement de la logistique et du transport, renforçant ainsi l’intégration du pays aux circuits du commerce mondial. Ces initiatives illustrent la volonté des pays du Golfe de s’imposer comme des partenaires incontournables du développement africain.
Saisir des opportunités économiques en misant sur des marchés en croissance rapide et des ressources naturelles abondantes en Afrique

De même, cet intérêt vise également à saisir des opportunités économiques en profitant des marchés en croissance rapide et des ressources naturelles abondantes en Afrique. L’Afrique offre en effet un potentiel énorme pour les pays du Moyen-Orient, notamment dans les secteurs miniers et agricoles. Par exemple, en République Démocratique du Congo, la société émiratie Emirates Global Aluminium a investi près de 1,5 milliard de dollars dans la construction d’une usine de transformation de bauxite, renforçant ainsi l’approvisionnement mondial en métaux stratégiques. Cette initiative permet également à la RDC de diversifier son économie, jusqu’ici très dépendante des mines de cuivre et de cobalt. En Côte d’Ivoire, l’investisseur saoudien Al Habtoor Group a injecté 500 millions de dollars dans la construction d’une raffinerie de cacao, un secteur clé pour le pays, le premier producteur mondial de fèves de cacao. Ce projet devrait permettre de transformer sur place 100 000 tonnes de fèves chaque année, réduisant ainsi la dépendance aux marchés mondiaux et augmentant la valeur ajoutée du cacao ivoirien.
Dans le secteur agricole, le groupe Qatari Hassad Food a investi 200 millions de dollars en Éthiopie pour développer des projets de cultures céréalières et d’élevage, visant à répondre à la demande croissante de produits alimentaires dans la région. En parallèle, le fonds d’investissement Mubadala des Émirats a signé un partenariat de 800 millions de dollars avec le gouvernement du Mozambique pour l’exploitation et le traitement de ressources naturelles telles que le gaz naturel et le charbon, avec pour objectif de stimuler les exportations et l’industrialisation locale. Ces projets illustrent bien la stratégie du Moyen-Orient : tirer parti des ressources naturelles abondantes en Afrique pour nourrir son propre développement économique tout en soutenant les économies africaines.
Renforcer leur influence géopolitique

Enfin, alors qu’une guerre d’influence entre les puissances se joue à nouveau sur le continent, les pays du Moyen-Orient, qui multiplient les actions dans ce sens, cherchent à renforcer leur influence géopolitique. Autrement dit, ils visent à renforcer leur présence et leur influence sur le continent africain face à d’autres puissances mondiales, telles que la Chine, les États-Unis ou l’Europe. Cette dynamique s’illustre par des investissements stratégiques dans des secteurs clés, mais aussi par des initiatives diplomatiques. Par exemple, le Qatar a joué un rôle majeur dans la médiation des conflits, comme celui entre le Rwanda et la République Démocratique du Congo, facilitant un dialogue de paix en 2025, après l’échec des médiations précédentes. Cette action a renforcé la position de Doha en tant qu’acteur diplomatique central dans la résolution de crises africaines.
L’Arabie Saoudite, de son côté, a consolidé ses liens avec l’Éthiopie, en particulier dans le domaine des infrastructures et de la sécurité, s’imposant comme un partenaire clé dans la région de la Corne de l’Afrique, un point stratégique pour les échanges commerciaux entre l’Asie et l’Afrique. De plus, les Émirats arabes unis, en renforçant leur présence dans des pays comme la Somalie et le Soudan, ont tissé des liens diplomatiques solides, en soutenant notamment des projets de développement et en offrant des financements pour des infrastructures critiques. Ces actions, en complément des investissements économiques, permettent aux pays du Moyen-Orient d’augmenter leur influence géopolitique, d’affirmer leur poids sur les décisions politiques et économiques du continent et de se positionner en tant que puissances incontournables dans le paysage africain, face à des acteurs historiques.
Des avantages considérables pour le continent, tant sur le plan économique, social que géopolitique
Ce nouveau partenariat entre l’Afrique et le Moyen-Orient présente des avantages considérables pour le continent, tant sur le plan économique, social que géopolitique. D’un point de vue économique, l’Afrique bénéficie d’importants investissements dans des secteurs clés comme l’énergie, les infrastructures, l’agriculture et la technologie. Par exemple, le financement des énergies renouvelables en Afrique par les pays du Golfe, notamment les projets solaires en Égypte ou en Afrique du Sud, aide à répondre aux besoins croissants en électricité, tout en réduisant la dépendance aux énergies fossiles. Ce soutien à la modernisation des infrastructures permet à l’Afrique de se positionner comme un pôle d’attractivité pour les investisseurs internationaux, stimulant ainsi sa croissance économique.
Sur le plan social, ces investissements génèrent des emplois, améliorent l’accès à l’électricité, à l’eau potable et à des infrastructures sanitaires. Par exemple, le projet d’usine d’hydrogène vert en Égypte, financé par l’Arabie saoudite, va créer des milliers d’emplois directs et indirects, tout en contribuant à la transition énergétique du pays. En outre, la collaboration dans le secteur éducatif, avec des bourses d’études et des partenariats universitaires, favorise la montée en compétence des jeunes africains et renforce la coopération en matière de formation.
Ces puissances sont en compétition directe pour s’imposer comme les principaux partenaires économiques du continent. Cette rivalité crée des opportunités pour les pays africains…
Les pays du Moyen-Orient, tels que les Émirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite, le Qatar et le Koweït, sont aujourd’hui les principaux acteurs de cette nouvelle dynamique en Afrique, avec des investissements massifs qui reflètent leurs ambitions géopolitiques.
Parmi les pays du Moyen-Orient, les Émirats arabes unis (EAU) se distinguent comme principaux investisseurs en Afrique. Entre 2019 et 2023, les EAU ont engagé 110 milliards de dollars dans divers projets à travers le continent, dont 72 milliards spécifiquement dédiés aux énergies renouvelables. Ces investissements couvrent également des secteurs tels que les infrastructures portuaires, avec des entreprises comme DP World exploitant six ports africains, et le secteur minier, comme en témoigne l’investissement de 1,1 milliard de dollars en Zambie pour Mopani Copper Mines. En revanche, les investissements directs de l’Arabie saoudite et du Qatar en Afrique, bien que significatifs, sont inférieurs à ceux des EAU. Les Émirats Arabes Unis, par exemple, ont investi près de 72 milliards de dollars dans les énergies renouvelables et d’autres secteurs, tandis que l’Arabie Saoudite a engagé des fonds dans de grands projets d’infrastructures et d’énergie. Ceci dit, le Qatar, avec sa diplomatie active, a également injecté des milliards dans des projets stratégiques en Afrique, particulièrement dans les domaines de la logistique et des infrastructures.
Toutefois, ces puissances sont en compétition directe pour s’imposer comme les principaux partenaires économiques du continent. Cette rivalité crée des opportunités pour les pays africains, qui peuvent tirer parti de cette compétition en négociant de meilleurs accords et en multipliant les partenariats avec différents acteurs du Moyen-Orient. En jouant habilement sur ces alliances, l’Afrique pourrait non seulement renforcer son développement économique mais aussi accroître son influence géopolitique à l’échelle mondiale.