Moussa Faki Mahamat : « Les défis de l’Afrique restent immenses, mais tout comme son potentiel et sa résilience »
Dernier discours, dernier message. Le 15 février 2025, Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine depuis 2017, a prononcé son ultime allocution à ce poste, marquant ainsi la fin de son mandat. À la tête de l’institution durant des années charnières pour le continent, il laisse derrière lui un bilan contrasté, entre avancées diplomatiques et défis persistants*.
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Excellences, Distingués Invités, Mesdames et Messieurs,
Au nom de l’Union africaine, je présente mes meilleurs vœux de santé, de prospérité et de succès à vos familles et à vos peuples.
Je tiens également à exprimer ma sincère gratitude aux présidents avec lesquels j’ai successivement travaillé au cours des huit dernières années. Je fais ici référence, dans l’ordre de leur présidence, à Alpha Kondé, Paul Kagame, Fattah El-Sisi, Cyril Ramaphosa, Félix Tshisekedi, Macky Sall, Azali Assoumani, Mohamed Ould Ghazouani.
En ce moment de souvenir, je ne peux oublier le Président Idriss Déby Itno—que son âme repose en paix—qui, en tant que panafricaniste convaincu, a eu l’initiative de présenter ma candidature à la tête de la Commission et qui s’est investi sans compter pour ce destin qui fut le mien. Sa disparition tragique fut ma douleur la plus atroce de ces deux mandats.
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Huit années se sont écoulées depuis mon élection à la fin du mois de janvier 2017 en tant que Président de la Commission de l’Union africaine. En ce moment chargé de sens et de symbolisme historique, il me semble être de mon devoir moral de vous présenter les grandes lignes du bilan de ces deux mandats.
Grâce à ce parcours, j’ai profondément assimilé ce qui fait la grandeur et le rayonnement de notre continent et de notre organisation continentale, ainsi que les différentes contraintes et limites qui ont freiné notre avancée.
Je ressens une profonde fierté d’avoir visité au moins une fois chacun des 55 États membres de notre Union
J’ai sillonné ce magnifique et fantastique continent. Je ressens une profonde fierté d’avoir visité au moins une fois chacun des 55 États membres de notre Union.
L’occasion que me procure ce moment est historique et unique. Je tenterai donc de répondre à la double exigence de rendre compte et de soulever certaines interrogations sur des enjeux majeurs, tout en étant conscient de la valeur de votre précieux temps.
Un rapport consolidé de nos réalisations ainsi qu’un rapport annuel vous ont été distribués conformément à notre réglementation.
Les bouleversements géopolitiques rapides et intenses qui ont marqué le contexte international au cours de mes deux mandats ont eu des manifestations à la fois violentes et stabilisatrices
Les bouleversements géopolitiques rapides et intenses qui ont marqué le contexte international au cours de mes deux mandats ont eu des manifestations à la fois violentes et stabilisatrices.
La détérioration soudaine de la situation sanitaire due à la pandémie de COVID-19 s’est malheureusement accompagnée de chocs majeurs et de turbulences économiques et diplomatiques profondes.
Pour l’Afrique, cela s’est traduit par :
- Une augmentation du fardeau de la dette
- Une baisse des flux d’investissements publics et privés
- L’effondrement du panafricanisme et de la solidarité africaine
- Des insuffisances manifestes en matière de gouvernance et de leadership
- Une crise du multilatéralisme
La guerre entre la Russie et l’Ukraine, débutée en février 2022, est venue assombrir encore ce tableau, annonçant une reconfiguration géopolitique mondiale, une fracture ressuscitant une forme de bipolarité qui rappelle la réalité, en théorie dépassée, de la Guerre froide.
De profondes incertitudes sur la durabilité de la paix et de la coopération internationale ont empoisonné les esprits, obscurci les consciences et renforcé le pessimisme, l’égoïsme et un pragmatisme purement mercantile.
L’Afrique, qui importait une grande partie de sa consommation céréalière et de ses intrants agricoles de Russie et d’Ukraine, s’est retrouvée confrontée au spectre de l’insécurité alimentaire et sanitaire, menaçant nombre de nos pays qui souffrent encore de fragilités structurelles.
La guerre horrible et injuste a entièrement détruit Gaza et la Palestine, privant ce peuple de ses droits fondamentaux à l’indépendance, à la paix, à l’existence et à la vie…Elle interroge profondément notre humanité
Au Moyen-Orient, le peuple frère de Palestine a subi—et continue de subir—l’une des pires injustices de l’histoire de l’humanité.
L’horrible et injuste guerre a tout détruit à Gaza et en Palestine, privant ce peuple de ses droits fondamentaux à l’indépendance, à la paix, à l’existence et à la vie.
Malgré tout cela, le vaillant peuple palestinien est resté stoïque, et l’Union africaine demeure fermement à ses côtés.
Je tiens à exprimer notre solidarité avec notre frère Abu Mazen.
Le paysage apocalyptique que connaissent la Palestine, la bande de Gaza et sa population—après plus d’un an de guerre—se déroule dans un silence quasi total des puissances mondiales.
Si ce n’est l’appel de certains à la déportation systématique des Palestiniens de leurs terres, la réponse est le silence. C’est véritablement ajouter l’insulte à l’injustice.
Cette tragédie inédite pèse lourdement, malgré le cessez-le-feu et la libération d’otages et de prisonniers, facilités par le Qatar, l’Égypte et les États-Unis.
Elle interroge profondément notre humanité.
L’hégémonie de la mondialisation ne laisse pas l’Afrique en dehors des luttes d’influence des puissances extérieures
L’hégémonie de la mondialisation ne laisse pas l’Afrique en dehors des luttes d’influence des puissances extérieures.
Bien au contraire, notre continent souffre de :
- Conflits prolongés alimentés par des acteurs extérieurs
- Expansion du terrorisme et de l’extrémisme violent
- Guerre dévastatrice au Soudan et à l’Est de la RDC
- Instabilité politique en Libye, malgré la signature de la charte de réconciliation
Des tensions persistent dans :
- Le Sahel
- Le bassin du lac Tchad
- Le golfe de Guinée
- Le Mozambique
- La Corne de l’Afrique
- La région des Grands Lacs
Les flux de réfugiés et de déplacés internes aggravent les situations déjà fragiles en matière de sécurité, d’alimentation et de santé dans de nombreux États membres.
Réforme institutionnelle et Agenda 2063
La réforme institutionnelle de notre Union, engagée en 2017, visait à créer les conditions optimales pour garantir la mise en œuvre efficace de l’Agenda 2063, notre feuille de route stratégique.
Elle s’est concentrée sur :
- La reconfiguration du leadership
- L’évaluation des performances du personnel
- Le renforcement de la coopération entre l’UA et les communautés économiques régionales
- L’institutionnalisation du Sommet de Coordination
- La garantie de la transparence financière et du respect des règles budgétaires
À cet égard, je tiens à exprimer ma gratitude au Président Paul Kagame et au Président William Ruto pour leurs efforts remarquables dans l’avancement de cette réforme.
Progrès sectoriels et initiatives sanitaires
L’évaluation du premier plan décennal de mise en œuvre de l’Agenda 2063 (2014–2023) révèle des avancées sectorielles vers « L’Afrique que nous voulons ».
Dans le domaine de la santé, le CDC Afrique s’est imposé comme l’instrument le plus efficace dans la lutte contre les maladies, en particulier pendant la pandémie de COVID-19.
Cependant, le financement des services de santé reste une préoccupation. Nous avons conçu deux mécanismes pour :
- Le financement de la couverture sanitaire universelle
- La lutte contre la malnutrition sur le continent
Avec le soutien du Centre africain de vaccination vétérinaire (PANVAC), les efforts se poursuivent pour un secteur de la santé plus résilient en Afrique.
Avec l’unité, des réformes audacieuses et des actions stratégiques, nous poursuivrons notre marche vers une Afrique plus forte, prospère et unie
En conclusion, je réaffirme mon engagement indéfectible envers notre continent et nos peuples. Les défis de l’Afrique demeurent immenses, mais notre potentiel et notre résilience le sont tout autant.
Avec l’unité, des réformes audacieuses et des actions stratégiques, nous poursuivrons notre marche vers une Afrique plus forte, prospère et unie.
Je vous remercie.
*Discours intégral de Moussa Faki lors du 38ᵉ Sommet de l’Union africaine