Kamel Daoud, Lauréat du Prix Goncourt 2024 : La voix d’une Algérie en mutation
L’écrivain algérien Kamel Daoud, prix Goncourt 2024 pour son roman Houris, s’impose comme l’une des voix les plus singulières de la littérature contemporaine. À travers ce troisième roman, il continue de questionner les cicatrices laissées par la guerre et la guerre civile en Algérie, tout en explorant des thèmes universels de la mémoire et du silence.
Par Bilkyss Mentari
Kamel Daoud, né en 1970 à Mostaganem, en Algérie, est un écrivain et journaliste dont l’œuvre est marquée par un profond engagement envers son pays et sa langue. Ancien chroniqueur pour le Quotidien d’Oran, il devient auteur en 2014 avec son premier roman Meursault, contre-enquête, un texte qui interroge les non-dits et les absences de la guerre d’Algérie à travers les yeux du frère du héros de L’Étranger de Camus. Ce premier livre obtient un accueil critique unanime, lui valant le prix Goncourt du premier roman et une fatwa en raison de son audace.
Depuis, Daoud a poursuivi son exploration de l’histoire et de l’identité algériennes avec Zabor ou les Psaumes en 2017, qui lui vaut le prix Méditerranée. Cependant, c’est avec Houris, publié en août 2024, qu’il atteint une nouvelle consécration en remportant le prix Goncourt. Dans ce roman, il raconte l’histoire d’Aube, une jeune Algérienne marquée à vie par les horreurs de la guerre civile des années 1990. Sa voix, effacée par une tentative de meurtre lorsqu’elle était enfant, cherche à se reconstruire à travers un récit fait à sa fille encore à naître. Houris devient ainsi une métaphore puissante de la souffrance silencieuse mais persistante, un hommage à la résilience féminine face aux blessures infligées par l’histoire.
La langue française : Un choix intime et politique
L’un des aspects les plus fascinants du parcours de Kamel Daoud réside dans sa relation complexe à la langue française. Dans une interview donnée à France Inter en novembre 2024, il a décrit cette langue comme une « langue intime », une langue secrète qu’il a choisie pour raconter l’histoire de son pays. Bien que l’arabe soit la langue nationale de l’Algérie, Daoud explique que son rapport au français est profondément personnel, une manière de se réapproprier une langue coloniale et de lui donner un sens propre, loin des implications politiques souvent associées à son usage.
Pour lui, le français est « une île » dans laquelle il trouve une forme de liberté créative. Contrairement à l’arabe, qu’il qualifie de langue « illusoire » dans le monde arabe, le français devient son outil d’expression, celui qui lui permet d’écrire et de toucher un public mondial tout en restant profondément ancré dans la réalité algérienne. Cette réflexion sur la langue est d’ailleurs un thème récurrent dans ses ouvrages, où il interroge constamment les rapports entre les langues, les identités et les mémoires collectives.
Une poix pour les silences de l’histoire
Kamel Daoud se distingue aussi par sa capacité à raconter l’histoire de l’Algérie non seulement à travers la fiction, mais aussi à travers un regard critique sur les événements politiques et sociaux. En tant que journaliste, il a couvert les atrocités de la guerre civile des années 1990, une période traumatique pour de nombreuses familles algériennes. Pourtant, il refuse de se contenter du journalisme pour témoigner de cette époque. Il estime que « les blessures se mesurent par le journalisme, mais se racontent par la littérature ». Ainsi, à travers ses romans, il fait parler les silences, redonne voix à ceux qui ont été réduits au mutisme par la violence.
Dans Houris, ce silence se manifeste dans le personnage d’Aube, la protagoniste muette, qui cherche à reconstruire son histoire et celle de son pays à travers les souvenirs fragmentés de sa propre existence. Ce récit est une quête pour donner un sens à une souffrance qui reste souvent inavouée dans le discours public algérien, où la guerre civile demeure un sujet tabou.
Un écrivain au cœur de l’histoire et des mémoires
Avec Houris, Kamel Daoud signe un roman à la fois intime et politique, où la voix de l’individu se confronte aux traumatismes collectifs d’une nation. Lauréat du prix Goncourt 2024, il continue d’être une figure phare de la littérature mondiale, porteur d’un message universel sur la résilience et la nécessité de raconter l’inracontable. À travers ses écrits et son enseignement, il s’affirme comme une voix essentielle pour comprendre les fractures de l’histoire algérienne, tout en invitant ses lecteurs à un voyage littéraire et philosophique sans retour.