Autopsie de la vague des coups d’État en Afrique francophone
La vague de coups d’État militaires qui a frappé le continent africain ces trois dernières années interpelle et requiert une exégèse. En dépit de leurs similarités, ces prises de pouvoir par la coercition ont des divergences…

Par Nessan Akemakou*

D’aucuns à l’instar du secrétaire général des Nations Unies Antonio Gutteres parlent d’ « épidémie des coups d’État » en Afrique. Dans ce cas existe-t-il un remède aux prises de pouvoir anticonstitutionnelles ? Il y a eu au cours des dernières décennies des tentatives pour prévenir le mal.
« Plusieurs mesures de la communauté internationale ont cherché à empêcher les coups, entraînant la création d’une « norme anti-coup ». Une étape charnière pour le continent africain a été l’adoption de la Déclaration de Lomé par l’Union africaine en 2000, qui condamne tout « changement inconstitutionnel de gouvernement » et qui a introduit plusieurs mesures visant la suspension des États enfreignant cette norme ».
Ces traitements prophylactiques « anti-coup » sont manifestement des échecs. Chaque coup d’État réussi enhardissant les putschistes en puissance
En 2001, les chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont adopté le Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance. Cet instrument vient compléter le Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, et de maintien de la paix et de la sécurité, adopté le 10 décembre 1999.
« Une troisième option a été de miser sur un corpus de normes et de lois, que ce soit au niveau de l’Union africaine ou des institutions régionales (CEDEAO, CEMAC, SADC, etc.), permettant tant d’empêcher les coups que de sévir contre les putschistes. Plusieurs recherches ont démontré qu’aucun de ces concepts ou normes n’a prévenu un coup ».
On l’observe d’ailleurs en Afrique de l’Ouest. Les sanctions économiques (gel des avoirs, embargo) et politiques (suspension de l’institution, rappel des ambassadeurs) de la CEDEAO contre les putschistes du Mali, du Burkina, de Guinée ont davantage heurtées les populations paupérisées que les nouvelles autorités. Elles n’ont pas empêché ces dernières de s’installer dans la durée. Dans le cas du Niger, au-delà des sanctions habituelles, la CEDEAO menace d’une intervention armée tant que le pouvoir ne sera pas rendu à Mohamed Bazoum. Cette menace qui n’a pas fait fléchir les militaires semble loin d’être mise à exécution tant elle n’emporte pas l’adhésion. Et pour cause, les conséquences seraient funestes pour la région.
Ces traitements prophylactiques « anti-coup » sont manifestement des échecs. Chaque coup d’État réussi enhardissant les putschistes en puissance.
La panacée est utopique, mais il existe objectivement des leviers permettant de réduire la probabilité de coups d’État. La priorité devrait être une réforme en profondeur de l’État. En effet, de l’inadéquation de l’État postcolonial découle l’essentiel des maux gangrenant la plupart des États touchés par les coups d’État.
Nous proposons un modèle d’État devant prendre en considération les réalités endogènes et socioculturelles africaines
L’échec de l’État postcolonial en Afrique s’explique en partie par l’application d’un modèle institutionnel moulé dans le plâtre de la rationalité individualiste occidentale sur des réalités sociales communautaires. En effet, l’un des traits caractéristiques de la politique africaine est l’ethnicité. La prégnance de l’ethnicité en Afrique qui fait l’objet de mépris et de méprises est considérée comme une entrave à l’émergence de l’État-nation qui serait l’alpha et l’oméga de la modernité politique. Alors que « l’État-nation est un phénomène historique, né dans l’Europe occidentale du XVIII ème siècle, après deux ou trois siècles d’incubation. Pour le meilleur ou pour le pire, la colonisation l’a étendu au monde entier, mais il n‘est pas issu d‘une évolution naturelle des autres cultures et tout paraît démentir l‘idée d‘un évolutionnisme unilinéaire selon laquelle ces autres sociétés auraient dû de toute façon en passer par là. En outre, la logique veut que cette réalité historique ne soit pas éternelle et comme l‘histoire s‘accélère on peut douter qu‘elle possède un long avenir. Elle paraît dès à présent incompatible avec l‘état du Monde et ses problèmes » .
L’entêtement au strict mimétisme institutionnel peut mener les États qui s’y prêtent (en rares cas de prise de la greffe) droit vers les récifs actuels auxquels se heurte l’État-nation européen. Et de fait, ce modèle étatique est en crise même dans son bouillon de culture originel et il tend à chavirer sous les assauts conjugués de la mondialisation et des vagues de revendications nationalistes. Ces dernières étaient au demeurant relativement prévisibles puisque la « centralisation systématique de l‘État vise à ruiner toutes les solidarités horizontales définies aussitôt comme dangereuses pour l‘unité nationale. Sur le plan culturel, toutes les cultures minoritaires ou soumises sont niées et vouées à la destruction dès qu‘une organisation systématique de l’enseignement pourra être généralisée, c‘est-à-dire à la fin du XIXe siècle ».
Nous proposons un modèle d’État devant prendre en considération les réalités endogènes et socioculturelles africaines. Ce dernier couplé à l’amélioration des conditions politiques et économiques, à travers une meilleure répartition des ressources, devrait réduire les risques d’instabilité et, par conséquent, les prises de pouvoir martiales.
L’État africain tel que nous le concevons est un État inclusif qui n’érige pas la centralisation en horizon absolu. En effet, il est coutumier de confondre l’idéal d’unité politique avec le caractère central et unitaire de l’État. Or, la verticalité et la centralisation à marche forcée créent généralement des frustrations symboliques et identitaires. De plus, la multiplicité ethnique n’est pas synonyme d’absence ou d’impossibilité d’union. L’affirmation de la diversité n’est pas une négation de l’unité. L’homogénéité n’est pas synonyme de concorde tout comme l’hétérogénéité n’équivaut pas à la discorde.
Il faut d’emblée préciser, que les propositions subséquentes n’ont ni la prétention d’être une panacée, ni vocation à s’appliquer à la variété des réalités africaines. Eu égard à l’hétérogénéité de l’Afrique, le modèle général proposé doit être adapté en fonction des réalités locales et des trajectoires historiques, politiques et sociales propres de chaque pays.
Un « retour aux sources » pour irriguer la rénovation des systèmes politiques contemporains en Afrique
De la même manière, nous prônons dans une large mesure un « retour aux sources » pour irriguer la rénovation des systèmes politiques contemporains en Afrique, mais en nous prémunissant contre un réenchantement ingénu du passé et en n’oubliant pas que les pratiques politiques traditionnelles en Afrique sont plurielles (…).

Les États africains se consolident, se structurent et à l’instar de leurs pairs trouveront une trajectoire propre qui leur siéra
En définitive, voici donc notre recommandation phare : une réforme en profondeur des institutions, une adoption de l’État symbiotique, une meilleure répartition du pouvoir politique, une bonne gouvernance et une distribution plus juste des ressources économiques permettront de réduire considérablement voire de dissiper les risques de coups d’État.
Les coups d’État en Afrique bien que tragiques ne constituent pas une anomalie historique mais un phénomène “normal” dans le processus de consolidation des “nouvelles” structures politiques sur le continent. L’alarmisme ambiant sur les régressions autoritaires ne doit pas voiler le fait qu’historiquement la formation de la plupart des nations s’est faite dans le tumulte des armes. C’est souvent la guerre qui crée l’État et l’État qui crée la guerre pour reprendre la formule de Charles Tilly. Le processus de construction des États Nations sur tous les continents a majoritairement été violent et l’Afrique ne déroge pas à la règle. L’Europe a été façonnée au fil de nombreuses guerres et coups d’État. Les nations africaines, en pleine construction, s’inscrivent dans le cours de l’histoire du monde. Aussi sans verser dans la vaticination le Gabon n’est probablement pas le dernier pays ou après le son des bruits de bottes, des hommes en treillis feront irruption à la télévision nationale et annonceront la déchéance du président en exercice.
Nous savons d’Hésiode qu’au commencement était le Chaos et qu’après, Zeus, triomphant de son père et de la race des géants et des Titans, s’impose en maître et instaure l’Ordre parmi les dieux et les hommes. Les coups d’État en Afrique donnent une impression de chaos. Mais, l’ordre est proche. Sans sombrer dans un déterminisme historique malvenu, on peut raisonnablement affirmer que les États africains se consolident, se structurent et à l’instar de leurs pairs trouveront une trajectoire propre qui leur siéra.
*Nessan Akemakou est le Président de L’Afrique des Idées. Il est docteur en science politique et chercheur au sein du Forum de l’Université d’Ottawa sur le droit et la gouvernance de l’eau. Ses travaux actuels portent sur l’économie bleue et les politiques publiques de gestion des ressources hydriques au sein de l’Union africaine (UA) et du Canada. Il enseigne par ailleurs les fondements de la politique en Afrique à l’Université d’Ottawa.