Ferdinand Ngon Kemoum : “Ce sont les PME qui ont la capacité de s’adapter le plus rapidement aux changements”
Régulièrement accusées de ne pas suffisamment soutenir les PME, les institutions bancaires sont pourtant souvent les premières à les financer. A l’image d’Orabank, une banque “plutôt orientée PME” ainsi que l’explique Ferdinand Ngon Kemoum, Administrateur Directeur Général d'Oragroup.

Propos recueillis par Dounia Ben Mohamed, à Lomé
Dans quelle mesure Orabank est-elle une banque “plutôt orientée PME” selon vos propres termes?

Nous portons en effet cette étiquette de banque des PME. Pour une raison historique. A l’origine, le groupe a été fondé par un entrepreneur français qui a, jusqu’en 2008, acquis cinq banques avant de céder, en 2009 la plateforme bancaire à Emerging Capital Partners (ECP) qui a gardé cet ADN de banque orientée PME. Ensuite, il y a une diversification du portefeuille vers la clientèle de grandes entreprises, les particuliers, les Etats. Mais à l’origine, la banque avait à l’esprit de se vouloir agile. Or qui dit agilité dit PME. Car on parle beaucoup des difficultés des PME mais on ne souligne pas assez leur agilité. Ce sont les PME qui ont la capacité de s’adapter le plus rapidement aux changements.
On reproche souvent aux institutions bancaires traditionnelles de ne pas suffisamment soutenir les PME africaines, considérées comme “fragiles” et donc “risquées”. Quels mécanismes Orabank met-elle à la disposition des PME ?
Le cœur du sujet est de se demander comment on peut accompagner des acteurs peut être fragiles mais aussi agiles. C’est un mindset au niveau des bailleurs internationaux, banques, (et je prends la recommandation pour moi-même), à faire évoluer. Alors que c’est peut être la question de l’agilité des PME qu’il faut adresser pour mieux les accompagner en leur proposant ses schémas de financement et d’accompagnement qui épousent leur agilité. Cette agilité, on a essayé de la garder au niveau du groupe Orabank en mettant en place des mécanismes de suivi des PME, en mettant en place quelque chose que toutes les banques font, ce n’est pas une particularité d’Orabank, ce qu’on appelle des programmes de crédit structuré pour traiter une catégorie particulière de PME dans un secteur particulier ou dans une activité particulière. Ce qui permet d’ « industrialiser » le processus de prêts. Par exemple, en mettant en place une procédure normalisée pour toutes les PME dans le secteur du BTP.
L’autre innovation sur laquelle nous avons commencé à travailler concerne tout ce qui relève de la résilience et la lutte contre le réchauffement climatique parce que là, pour le coup, nous avons besoin de cette agilité, de nouvelles initiatives et nous avons besoin d’exploiter le savoir-faire des populations africaines, un savoir-faire qui est très important. Dans tout ce qui est recyclage, entretien, traitement de l’eau… On a des savoirs parfois millénaires à remettre au goût du jour. Et cela, je pense que ce sont les PME qui peuvent le faire.
L’institution que vous représentez, Orabank, est elle-même est considérée “comme une PME” sur les marchés internationaux. Vous évoluez donc dans un environnement complexe qui pénalise les PME à double titre…Comment changer la donne ?

Absolument. Il y a clairement un effet volume à rechercher. Il nous manque le volume pour pouvoir générer des économies d’échelle. Nous n’avons pas le volume parce que globalement l’Afrique est sous-financée. Nous, nous sommes des intermédiaires financiers ce qui veut dire que nous mobilisons de l’argent à gauche pour pouvoir le prêter à droite. Et on doit le faire en respectant un certain nombre de critères. Si je mobilise 100 les normes vont m’obliger à financer un maximum de 80 alors que si on mobilise tout de suite 1000 je peux en financer 800. Il y a un problème de taille, de capital et de dépôt que nous devons mobiliser pour accompagner les PME de manière plus dynamique.
L’autre élément à prendre en compte est le fait que la banque est un métier régulé. Il y a un régulateur qui édicte des normes que les banques doivent impérativement respecter. Ce qui rajoute une couche de complexité. Une des règles que nous devons appliquer par exemple, c’est la dispersion du risque. On ne peut pas dédier 100% de nos financements aux PME. Une bonne banque selon moi est une banque qui prête en partie aux particuliers, en partie aux PME, en partie aux Etats, et en partie aux grandes entreprises. Diversifier le portefeuille permet également de verser un peu de nos bénéfices aux PME absorbant le taux de sinistre plus élevé observée sur le segment des PME
Le troisième élément est lié à la lutte contre le réchauffement climatique. J’ai le sentiment que c’est une problématique mondiale qui est capable de fédérer plus de personnes que si on parlait juste d’investir en Afrique ou dans les PME. Cela va permettre – je l’espère – d’avoir plus de ressources à disposition pour accompagner davantage de PME, notamment celles qui vont prendre la peine de se positionner sur ce marché de la lutte contre le réchauffement climatique plus précisément en ce qui concerne l’Afrique la lutte en faveur de la résilience climatique. C’est d’autant plus intéressant que cela va permettre de financer des activités qui ont un impact social très fort. Ce qui rend la chose passionnante.
Le débat autour du financement des PME pose la question de savoir si finalement on comprend bien nos métiers. Est-ce que les PME comprennent bien leurs bilans et comptes d’exploitation? Comprennent-elles toujours les variables exogènes qui affectent leur activité ? Ont-elles une stratégie à court, moyen et long terme clairement articulée? C’est pourquoi j’invite les PME à se faire conseiller et accompagner sur toutes ces questions.
Est-ce que ces métiers de conseil, ces structures en mesure d’accompagner les PME, existent ? Quel est le meilleur financement pour vous, votre groupe est-il prêt ?
Oui les métiers existent mais ne sont clairement pas assez développés. Par ailleurs, les PME ne sont pas toujours prêtes à payer pour ce capital immatériel en se disant qu’elles ne sont pas sûres au final d’obtenir le crédit qu’elles recherchent. Les PME doivent comprendre que le conseil réduit l’incertitude. Ce n’est jamais un mauvais investissement. La PME, le patron de PME, doit réfléchir pour lui même d’abord. Est-ce que je fais un bon investissement pour moi et pour ma famille ? S’il arrive à se convaincre que c’est bon projet pour lui-même dans la durée, il arrivera à convaincre les autres parties prenantes sans l’idée que d’autres payeront pour ses éventuelles erreurs.
Est-ce que les banques traditionnelles africaines sont ouvertes aujourd’hui à la technologie_elles sont challengées par les opérateurs télécoms et l’essor de la fintech qui apportent des solutions concrètes_ et est ce qu’elles sont ouvertes à l’innovation et prêtes à la financer ?
Au niveau d’Orabank, nous sommes totalement ouverts à la technologie. Et nous avons des exemples concrets qui le prouvent. Nous avons nous même lancé un vaste chantier de digitalisation de nos process internes. Ensuite nous offrons une large gamme de produits digitaux à notre clientèle. Nous avons eu un débat en interne et nous avons jugé que le meilleur moyen de le faire est de s’associer aux Fintech.
Quand à savoir si on est prêt à financer des gens qui ont une idée aussi innovante soit elle, non. Ce n’est pas notre métier. C’est celui des sociétés de Capital Risque qui investissent sur fonds propres et sont prêtes à assumer le risque d’échec mais aussi à tirer profit du succès de l’idée ou du procédé nouveau. La limite dans le niveau de risque que nous pouvons prendre vient du fait que nous prêtons d’épargne du public. Par contre on gagnerait à encourager des associations de Venture Capital, à nous parler et nous dire par exemple « J’ai reçu un jeune avec une idée intéressante, vous devriez l’écouter… Nous sommes prêts à l’accompagner par du capital d’amorçage, que pouvez- vous faire pour financer son exploitation ?”
De toutes les façons, les PME, les banques, les Etats, les scientifiques même doivent, sur cette question des PME, travailler collectivement. Ce que j’encourage c’est d’écouter tout le monde, être ouvert à tous les horizons, et se dire que c’est collectivement qu’on gagnera la bataille. C’est collectivement qu’on fera gagner les entreprises, les banques, et finalement la société dans son ensemble.
Créé en 1985 sous le nom Financial Bank, Orabank est un groupe bancaire privé présent dans 12 pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée Bissau, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad et Togo. Le Groupe est géré par une holding basée à Lomé, Oragroup SA. Depuis le rachat du groupe par ECP, l’actionnariat d’Oragroup a beaucoup évolué, avec l’entrée dans son capital d’actionnaires de référence comme Proparco, BIO, DEG, BOAD, le Fonds Gabonais d’Investissements Stratégiques.