Coopération : la Russie en quête d’un nouveau souffle en Afrique
Le sommet Russie-Afrique, le second du genre après une première édition en octobre 2019, a été l’occasion pour le pays du président Vladimir Poutine de creuser les contours d’une nouvelle coopération russo-africaine annoncée comme « riche en potentiels ».
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Par Amadou Sy, à Saint-Pétersbourg
« Je suis convaincu qu’en travaillant ensemble, nous serons en mesure d’augmenter considérablement nos échanges dans un proche avenir. Soit dit en passant, au cours des seuls six premiers mois de 2023, nos transactions d’import-export avec les pays africains ont augmenté de plus d’un tiers. La structure de nos échanges semble également bonne : les machines, les équipements, les produits chimiques et les produits alimentaires représentent plus de 50 % des exportations russes vers l’Afrique ». Cet extrait du discours du président russe Vladimir Poutine à l’ouverture du deuxième forum Russie-Afrique qui se tenait les 27 et 28 juillet à Saint-Pétersbourg, réunissant les délégations de 49 pays africains, dont 17 chefs d’État, en dit beaucoup sur les enjeux de l’heure.
Mise au ban de la communauté internationale et soumise à un certain nombre de sanctions économiques en raison du conflit qui l’oppose à l’Ukraine, la Russie voit en l’Afrique, un partenaire particulièrement intéressant dans le contexte actuel.
De son côté, l’Afrique, qui importe près de 80% de son blé de la Russie, entend faire entendre sa voix, et sa voie, dans ce nouvel ordre mondial qui se joue et dont l’Afrique se voudrait être le nouveau faiseur de roi. Reste que le contexte géopolitique africain ne semble pas simplifier les choses.
D’un côté, des putschistes ont clamé haut et fort leur « amitié » avec la Russie. D’un autre, des présidents, très liés à d’autres puissances, jouent la carte de la diplomatie. La traditionnelle photo de familles réalisée à l’issue du sommet et lors de laquelle les dirigeants africains “démocratiquement” ont refusé de poser aux côtés des “putschistes” est plus que révélatrice quant aux dissensions qui existent sur le continent.
Notre pays peut remplacer les céréales ukrainiennes sur le plan commercial mais aussi sur celui des livraisons humanitaires à titre gracieux
Seule certitude, l’Afrique semble déterminée à préserver ses intérêts. Face au statu quo dans les négociations et eu égard à l’importance des importations russes sur le continent, plusieurs dirigeants africains ont tenté une médiation. Si les résultats n’ont pas été probants, l’acte suscite plusieurs enseignements et semblent en dire beaucoup sur la nouvelle dynamique.
Encouragés par un leader russe qui multiplie les appels du pied à leur attention. Rappelant que les échanges commerciaux entre la Russie et l’Afrique ont atteint 18 milliards de dollars américains en 2022, soit une hausse de 35%, Vladimir Poutine a promis à ses hôtes que Moscou livrera, dans les mois à venir, gratuitement jusqu’à 50 000 tonnes de céréales à six pays, citant le Zimbabwe, la Somalie, l’Érythrée, le Mali, la Centrafrique et le Burkina Faso. « Notre pays peut remplacer les céréales ukrainiennes sur le plan commercial mais aussi sur celui des livraisons humanitaires à titre gracieux », a-t-il déclaré. De quoi augmenter les relations entre la Russie et le continent, insignifiant pour l’heure sur le plan commercial : l’Afrique ne représente que 2% des échanges de la Russie, et moins de 1% des investissements directs étrangers (IDE) majoritairement concentrés sur l’activité minière. En revanche, alors que la Russie est le principal fournisseur de matériel militaire aux pays africains, les livraisons d’armes représentent 30 à 40% des exportations totales selon le directeur du Service russe de coopération militaire et technique, dont la présence, assurée en grande partie par la milice Wagner, se renforce, sur le Sahel notamment.
Aujourd’hui, côté russe comme africain, l’heure est de diversifier les relations, dans le secteur de l’énergie, de la logistique, des transports, de l’agriculture, de la finance et de la santé, autant de pistes de coopération à explorer plaidera Vladimir Poutine.
Premier acteur de l’ opération de charme. Il y en aura d’autres à destination de dirigeants africains manifestement prêts à se laisser séduire.
Parmi les participants, le Président de la République du Sénégal, Macky Sall, qui aura déjà rencontré son homologue russe avant l’évènement, a profité de cette nouvelle tribune pour lancer un appel à la “désescalade” et éviter à l’Afrique une crise alimentaire.
Nous souhaitons la désescalade pour aider à l’accalmie et à la restauration du libre commerce des céréales et des fertilisants
« Dans l’immédiat, un des soucis majeurs de l’Afrique, c’est la paix et la sécurité à l’échelle continentale et mondiale. Nous souhaitons la désescalade pour aider à l’accalmie et à la restauration du libre commerce des céréales et des fertilisants. Dans le même sens, je voudrais renouveler mon appel pour la reconduction de l’Accord sur l’initiative céréalière de la Mer noire et la levée des entraves au commerce de l’engrais. C’est à ces deux conditions que l’Afrique pourrait éviter une crise alimentaire majeure, alors même qu’elle continue de subir de plein fouet les effets néfastes de la pandémie », a-t-il plaidé. Pour l’ancien président de l’Union africaine, qui fait lui-même face à une crise politique aiguë dans son pays, la Russie et l’Afrique ont des pistes de coopération à explorer dans tous les domaines. De agriculture à agroalimentaire, des infrastructures aux hydrocarbures, en passant par les mines, le transport, l’industrie…
La Zlecaf constitue une belle opportunité de donner un nouvel élan et permettre à l’Afrique d’ouvrir de nouvelles perspectives
Pour son successeur à la tête de l’Union, Azali Assoumani, cette coopération est d’autant plus pertinente dans le cadre de la mise en œuvre de la zone de libre-échange continental africaine (Zlecaf). Un appel du pied repris par le président du conseil d’administration d’Afreximbank, Benedict Oramah, assurant au passage qu’Afreximbank est prête à accompagner les Africains qui souhaiteraient explorer les opportunités de la coopération avec la Russie. « La Caf constitue une belle opportunité de donner un nouvel élan et permettre à l’Afrique d’ouvrir de nouvelles perspectives », a-t-il plaidé.
L’idée générale qui planait autour de ce sommet. Loin des considérations occidentales, l’Afrique a répondu, à plusieurs niveaux, à l’invitation du président Russe et entend bien saisir l’opportunité de son contexte de crise internationale et d’enlisement du conflit russo-ukrainien, pour tirer son épingle du jeu. Non sans ignorer pour autant les desseins de Vladimir Poutine qui de son côté voit le continent comme un pion stratégique à jouer dans un échiquier mondial qui verra le retour de la grande Russie. Prochain RDV, la réunion des BRICS courant août, en Afrique du Sud, au cours duquel la Russie, membre fondateur, entend prendre le lead pour dessiner un nouvel ordre mondial » multipolaire » et dans lequel l’Afrique aura toute sa place. Du moins selon les promesses tenues lors du sommet.