Livres/Culture Cécilia Emma Wilson : “Le panafricanisme dans sa dimension culturelle prend de plus en plus la forme d’un soft power”
Dans son essai, Afropolis*, ou la cité des populations afro, Cécilia Emma Wilson tente une définition du panafricanisme moderne. Pour elle, les diasporas africaines dans le monde en sont le fer de lance, en particulier dans l’émergence d’une pop culture. Interview.
Propos recueillis par Mérième Alaoui
Cécilia, comment est né votre panafricanisme ?
Je suis écrivaine, je me définis comme une femme africaine car je suis née au Togo et ai grandi entre Lomé, Accra et Cotonou, mais également comme une africaine diasporée de par mes origines brésiliennes et ma présence en France depuis plus de dix ans. Mon africanité est ainsi double, à la fois enracinée et déracinée. Ma plume est politique et elle est trans-africaine. Qu’il s’agisse de poésie, de fiction ou lorsque je publie des essais, je me positionne systématiquement dans une Afrique intra et extra continentale.
Une identité multiple qui s’exprime dans ce livre “Afropolis”.
L’idée est née, il y a six ans et demi, j’étais encore sur les bancs de l’école doctorale de Sciences Po Paris. À l’époque, le monde culturel bouillonnait notamment les scènes du cinéma et de la musique aux Etats-Unis avec des références constantes aux cultures subsahariennes africaines. J’étais également la fondatrice d’une association étudiante panafricaine. Il s’agissait pour moi de me lancer dans ce qui correspondait à mon propre ADN puisque je suis originaire de quatre pays d’Afrique de l’Ouest (Togo, Bénin, Ghana, Nigéria) et que j’ai également des origines afro-brésiliennes. J’ai baigné dans un milieu qui a toujours fait le lien entre l’Afrique et ses diasporas anciennes.
Vous vous êtes également intéressée au succès du “phénomène” Black Panther. Comment l’interprétez-vous ? Comme une “réhabilitation” de l’image de l’Afrique à travers le cinéma…
La référence à Black Panther est arrivée un peu plus tard, lorsque j’ai trouvé un éditeur. C’est un film qui non seulement parle à tous puisqu’il appartient au registre de la pop culture, mais contient de nombreuses références historiques. La question Afrique et diasporas a toujours été présente si bien que Haïti avait déjà tenté de rejoindre l’Union Africaine et que Malcolm X à l’époque s’était approché de l’Organisation pour demander de l’aide et un soutien aux populations noires américaines face à la ségrégation.
Ceci dit, le panafricanisme des pères fondateurs n’est plus celui d’aujourd’hui. Il a évolué au fil des temps et des conjonctures. Avec un certain renouveau aujourd’hui ?
Il n’existe pas un seul panafricanisme. L’idéologie est assez fragmentée. Aujourd’hui, on connaît surtout l’idée institutionnelle d’une union continentale et le désir de s’affranchir de toute forme de domination extérieure. Cependant, il existe d’autres branches du panafricanisme. Le Kémitisme existe toujours bien, je partage très difficilement leurs positions tranchées. L’Ethiopianisme aussi existe encore et on peut le retrouver dans les chansons d’artistes comme le jamaïcain Damian Marley ou le rappeur afro-américain Nas. L’islam afro-américain aussi existe et est très présent à Chicago.
Ce sont les oppressions continues sur les peuples issues d’Afrique qui ont donné naissance à l’idée de l’union. Les diasporas noires ont été pionnières, ce sont elles qui se sont organisées pour créer les premières institutions. L’esclavage, la ségrégation et le racisme structurel les ont poussé à tourner leurs regards vers le continent de leurs aïeuls. Au Brésil, les Malês, des esclaves musulmans pour la plupart, se sont révoltés avant d’être renvoyés vers les côtes ouest-africaines notamment au Bénin, Togo et Nigéria où ils ont fait partie des couches sociales les plus favorisées. Le premier président du Togo est un descendant de ces peuples. Le terme « panafricanisme » a d’ailleurs été pour la première fois entendu dans la bouche de l’avocat trinidadien Henry Sylvester-Williams puis repris par l’afro-américain W.E.B du Bois mentor de Kwame N’Krumah. C’est de cette manière que N’Krumah est revenu au Ghana avec l’idée d’une union continentale qui inclurait aussi ce que l’Union Africaine définit comme sa sixième région, les diasporas.
Finalement, quelle est la définition du panafricanisme moderne ? Certains le comparent au terme “Occident” pour évoquer tous les pays du Nord ?
Je tente une définition personnelle et générale : le panafricanisme est une vision sociale, économique, culturelle et politique pour l’émancipation des Africains du continent et des afro-descendants.
Le panafricanisme ne peut en aucun cas être comparée aux idéologies occidentales et européennes. La notion d’Occident apparaît avec l’empire romain à partir de 245. Le terme signifie en latin « soleil couchant » et a été utilisé pour justifier les entreprises de domination sur d’autres peuples. Il a une connotation politique et idéologique très forte en raison de son histoire.
Au contraire, le panafricanisme émerge comme une réaction de survie et de protection contre toutes les tentatives de domination. Il n’est pas orienté vers l’idée de la conquête des autres mais vers celles de la conquête de soi, c’est-à-dire se connaître et obtenir réparation et restauration complètes sur tous les plans. Pour finir, l’historien Cheikh Anta Diop raisonnait en termes d’ères culturelles, autrement dit il existe des blocs régionaux qui correspondent aux logiques précoloniales et au sein desquels on retrouve des souches communes. Son analyse est plutôt effective puisque le continent a connu la création d’organisations régionales par ères culturelles communes.
Quel rôle jouent les diasporas africaines dans ce “nouveau” panafricanisme ?
On ne peut pas penser le panafricanisme sans ses diasporas. L’idée même du panafricanisme vient originellement des diasporas anciennes caribéennes et américaines. Elle a été importée sur le continent africain sous leur influence. On oublie que les diasporas ont été à l’origine de la construction de plusieurs États d’Afrique que l’on parle des Krio de Freetown en Sierra Leone, des américano-libériens au Libéria ou des afro-brésiliens du sud du Bénin, du Togo et du Nigéria. C’est la descendance de l’activiste afro-américaine Harriet Tubman, qui a dirigé le Libéria moderne. Ce sont également les descendants des afro-brésiliens qui ont contribué à la lutte pour l’indépendance du Togo et qui ont été des soutiens sans faille du royaume d’Abomey. Le succès de l’année du retour au Ghana en 2019 avec la présence de célébrités venues de la Caraïbe et des Etats-Unis révèle que ce lien diasporas et Afrique est fort et qu’il constitue une manne économique pour les pays africains. Au-delà de ces influences, il faut se souvenir que le Yoruba fait encore partie des langues parlées et étudiées à Cuba et au Brésil. Il existe toujours à Cuba des afro-cubains qui s’expriment en Kikongo. Sur le plan culturel, nous partageons énormément de similitudes. Le rap qui émerge à New York dans les quartiers difficiles des années 1970 vient de la culture des griots d’Afrique. Cette influence est nécessaire pour renforcer le champ des industries culturelles, et promouvoir le développement économique par l’identité. Le Président Talon est lancé sur ce chemin depuis quelques années pour son pays le Bénin en témoignent les nombreux travaux infrastructurels dans le champ de la culture, l’ouverture de nouveaux musées, le développement du tourisme pour les diasporas, la mise en avant d’une histoire commune.
Quelles pistes pour un panafricanisme culturel aujourd’hui ? On voit par exemple en France l’intégration de mots ou expressions partagés dans la pop culture, les réseaux sociaux, le rap etc…
Le panafricanisme dans sa dimension culturelle prend de plus en plus la forme d’une « soft power », une puissance douce qui se répand doucement mais sûrement un peu partout. Il y a effectivement la langue et les expressions de nouchi ivoirien. Je pourrais citer leur pendant anglophone avec le pidgin nigérian. Certains mots de nouchi ivoirien comme « brouteur » et « go » ont fait leur entrée dans le larousse français. La scène du rap français connaît la forte influence des deux Congo depuis environ dix années. Qu’on le veuille ou non, le continent africain s’insère dans les identités à l’extérieur dans les champs de la gastronomie, de la musique, de la mode et du cinéma. Le boom du Cinéma Nollywood est révélateur. La présence continuelle de créateurs de mode qui intègrent désormais des institutions renommées comme le franco-camerounais Imane Ayissi qui est le premier créateur de mode d’Afrique subsaharienne à obtenir la reconnaissance de la Chambre Syndicale de la Haute Couture. Ce ne sont pas simplement des influences, ce sont des industries qui se construisent autour des identités plurielles issues d’Afrique et qui ouvrent un marché sur lequel l’offre et la demande se rencontrent à l’échelle mondiale. C’est un atout majeur de prospérité économique et de création d’emplois.
Comment voyez-vous l’avenir du panafricanisme ? Va-t-il se renforcer ? Ou à l’inverse perdre son influence ? Vous évoquez au début du livre le phénomène de “retour” en Afrique notamment d’Afro-américains…
Si la veuve de Bob Marley s’est installée au Ghana, pourquoi pas les autres ? Rien n’est prédéfini. En réalité, je dirais que ceux qui sont intéressés par le continent peuvent y faire un tour. Je doute que les diasporas anciennes décident toutes de s’installer sur le continent car elles ont bâti leurs vies ailleurs. Cependant, en ce qui concerne les diasporas contemporaines, il y a le phénomène des « repats », celui de ceux qui ont étudié en Occident et choisissent de revenir en fonction des opportunités sur le terrain. Abidjan accueille un gros contingent. D’ailleurs ils ne sont pas nécessairement ivoiriens et viennent souvent d’autres pays d’Afrique. Youssoupha, rappeur franco-congolais, s’y est installé pour vous donner un exemple. Je doute que le télétravail se généralise et permette de partir vivre ailleurs ! Il y a déjà des diasporas qui font des va-et-vient, souvent retraitées, elles vivent entre leur pays d’origine et leur pays d’adoption.
Quant au panafricanisme institutionnel continental, il a démontré ses limites. La preuve en est l’impossibilité à adopter la monnaie commune de l’Eco dans l’espace CEDEAO. Le monde politique a ses intérêts propres. Néanmoins, peut-être qu’un pays qui donne l’exemple ou montre la voie peut inciter d’autres à le suivre. Après l’année du retour organisée au Ghana, le Bénin se lance sur la voie du tourisme patrimonial. C’est en observant ces exemples que d’autres pays se jetteront à l’eau si le sujet leur paraît viable économiquement.
*Cécilia Emma Wilson, Afropolis, Ed Les Indes Savantes, 124 pages, 18 euros