DIGITAL AFRICA : « Nous investissons dans des startups qui utilisent la technologie pour transformer le continent au bénéfice des populations et des générations futures »
Il y a 5 ans, à l’occasion de Vivatech, sous une impulsion présidentielle, naissait Digital Africa. Avec une ambition : accompagner et financer en petits tickets les entrepreneurs numériques en amorçage sur le continent. Aujourd’hui filiale de Proparco, dotée d’un budget de plus de 30 millions d’euros sur trois ans, Digital Africa se veut un catalyseur d’opportunités, de financements et de visibilité pour les startups développant des solutions technologiques au service de l’économie réelle et des populations en Afrique. Bilan d’étape avec Isadora Bigourdan, DG de Digital Africa.

Quel bilan tirez-vous de vos cinq premières années ?
L’enjeu principal était de concrétiser sur le terrain une initiative présidentielle avec une vision forte. Il s’agissait de changer les modes de travail, de coopération, pour réapprendre à travailler avec des entrepreneurs du continent qui sont jeunes, dépolitisés et déjà inscrits dans le monde d’après. Le principal challenge en cinq ans c’était de transformer une vision en une structure pérenne qui agisse au quotidien sur le terrain, notamment sur l’investissement en amorçage. C’est ce que Digital Africa offre aujourd’hui aux entrepreneurs. Tout ce que nous faisons est en open access et conçu pour répondre rapidement aux besoins de notre communauté. C’est-à-dire que nous arrivons avec des outils de travail efficaces, transparents, avec une culture de la performance. Nous utilisons la data pour piloter nos performances et s’assurer d’une utilisation rationnelle de nos fonds. Nous nous sommes organisés comme une start up.
Un certain nombre de programmes ont été mis en place (Bridge, Talents 4 Startups, Fuzé…). Quels ont été les impacts ?
Nous nous réjouissons du succès de notre programme Talent 4 Startups qui a attiré plus de 10 300 candidatures de jeunes en Afrique. Dans cette version pilote, nous avons pu former 294 étudiants, en collaboration avec neuf organismes de formation partenaires dans 10 pays différents. Le partenariat précieux que nous avons noué avec Make It et la coopération allemande a permis de lui donner encore plus d’envergure. Pour garantir l’employabilité des jeunes formés, nous nous assurons, à travers des salons de l’emploi et des speed pitching, que ces talents soient mis en relation avec des startups qui les recherchent. Ce qui leur permet de disposer des compétences nécessaires pour devenir des entrepreneurs prospères ou rejoindre des entreprises technologiques existantes, créant ainsi des opportunités d’emploi pour eux-mêmes et pour les autres. Forts de ce succès, nous préparons actuellement la deuxième édition de ce programme et visons le déploiement de 1 000 bourses à travers l’Afrique et le renforcement de la stratégie d’insertion professionnelle de nos Edtech partenaires.

Par ailleurs, nous sommes très fiers du déploiement de notre facilité d’investissement en petits tickets, FUZE, structurée pour répondre facilement aux besoins de financements des start ups en amorçage en Afrique francophone. A travers un réseau de 60 venture builders, au rang desquels nous sommes heureux de compter de nombreux acteurs de référence, nous identifions les pépites qui peuvent obtenir rapidement un ticket de financement grâce à une candidature sur une interface dédiée et après une instruction allégée. Depuis septembre dernier, 800 startups ont postulé, dont un quart étaient éligibles, et 14 ont obtenu l’agrément définitif. Fuzé repose avant tout sur une alliance avec nos partenaires de terrains et nous privilégions un maximum le co-investissement. Par exemple, nous sommes ravis d’annoncer que Neolean, une Edtech sénégalaise que nous avons financée en fin d’année dernière, vient de recevoir un financement de la Délégation Générale à l’Entrepreneuriat rapide des femmes et des jeunes (DER/FJ) au Sénégal, dans la continuité de notre ticket Fuzé.
Le principal challenge en cinq ans c’était de transformer une vision politique en une structure pérenne. C’est ce que Digital Africa offre aujourd’hui aux entrepreneurs
Entre-temps, vous avez changé de statut pour devenir une filiale de Proparco avec un budget propre. Pour plus d’impact ?
Nous sommes depuis 1 an effectivement une filiale de Proparco, membre du groupe AFD [Agence française de développement), dédiée à l’accompagnement et au soutien des entrepreneurs numériques du continent en amorçage, doté d’un budget de 30 millions d’euros sur trois ans. L’objectif est d’ agir comme un catalyseur d’opportunités, de financements et de visibilité pour les startups développant des solutions technologiques au service de l’économie réelle et des populations en Afrique, avec des partenaires forts. Nous avons véritablement choisi de nous inscrire dans une approche Europe-Afrique et non France-Afrique. L’équipe a grandi également, avec 20 personnes aujourd’hui, affichant une réelle diversité, tant en termes d’origine que d’expertise. Nous avons la chance également d’avoir 15 connectors dans 15 pays du continent qui agissent à nos côtés pour nous inspirer et pousser nos actions. Ce dont je suis fière, c’est qu’on ait réussi à créer les conditions d’apaisement et de pérennité. Même si nous devons toujours faire preuve de pédagogie sur notre approche inédite dans le monde institutionnel, nous arrivons à maintenir cette flexibilité pour répondre au mieux aux besoins des startups et adoptons une approche lean. Par exemple, quand nous avons mis en place le programme Bridge, il était destiné, avec une enveloppe de 5 millions, à répondre à l’urgence Covid 19. Il a tellement bien fonctionné qu’on a souhaité le maintenir, pour en faire un produit maison, que nous y avons ajouté 2 millions d’euros.

C’est la même chose avec Brain. Il nous semblait nécessaire de faire émerger plus de start ups à forte valeur technologique, issues du monde universitaire. Après avoir étudié le marché, nous avons décidé de nous allier à OST et au MIT pour rendre le programme Brain panafricain et y ajouter une dimension européenne.

Fuzé, est encore plus emblématique. Il nous a semblé nécessaire de déployer une interface agile qui réponde aux capacités des start ups. Nous avons fait le choix de commencer à beta tester le process dans 5 pays pour le déployer à maturité en janvier dernier. Aujourd’hui, nous sommes autonomes dans son déploiement. C’est plus de 700 candidatures, 450 éligibles, toutes analysées. Tous les quinze jours, un comité d’investissement se réunit pour analyser une dizaine de demandes. Nous octroyons à présent 6 tickets par mois en moyenne.
Nous n’avons pas la prétention d’être des magiciens, mais on est à l’écoute du marché et nous avançons en “test and learn”. Et l’impact est réel. Ce sont au total 2600 entrepreneurs qui ont bénéficié de nos programmes. 263 startups au sens propre. On a ajouté de la valeur et on est capable de la mesurer. Leur business se développe depuis.
Nous sommes maintenant présents dans 31 pays à travers 80 partenaires institutionnels sur le terrain. Nous avons mobilisé 130 millions d’euros en cumulé pour notre communauté dont 30 millions d’euros pour le early stage seulement.
Quelle est la feuille de route pour les cinq prochaines années ?
Avec nos administrateurs Proparco et Expertise France, nous ambitionnons de mettre en place un comité stratégique d’experts IT rapidement. Nous voulons devenir l’acteur de référence. Avec Talents 4 startup on passe à 100 bourses. Avec Fuzé par exemple, Orange nous suit et nous confie 500 millions d’euros en gestion.
L’objectif est d’ agir comme un catalyseur d’opportunités, de financements et de visibilité pour les startups développant des solutions technologiques au service de l’économie réelle et des populations en Afrique, avec des partenaires forts agissant sur le terrain
Notre conviction est que l’émergence de champions tech africains passera par une union des acteurs. Nous sommes convaincus qu’une coopération efficace entre les institutions, les sources de financement, les experts en compétences, les institutions de recherche et les startups est essentielle pour atteindre cet objectif. Chacun a un rôle à jouer dans la création d’un environnement favorable à l’innovation et à la croissance des entreprises. Après tout, la Silicon Valley est un excellent exemple de la façon dont des milliards de dollars d’investissements peuvent aider à nourrir l’initiative privée et l’innovation !

Nous adoptons une approche axée sur les données et ne soutenons que les entreprises qui utilisent la technologie au service de l’économie réelle. Nous investissons dans des startups qui œuvrent pour réaliser des ambitions sociétales. En collaboration avec des partenaires, nous développons une infrastructure de données qui nous permettra de connaître les vrais utilisateurs des startups que nous finançons et de mesurer leur impact sur l’amélioration de la vie des gens.
Nos mesures de performance sont construites d’un point de vue financier, mais, plus important encore, d’un point de vue social. Ces indicateurs sont en droite ligne avec les valeurs de Digital Africa. Nous cherchons à répondre aux besoins spécifiques des entrepreneurs. Notre objectif est de favoriser un développement inclusif grâce à des innovations numériques “made in Africa”. Nous croyons fermement que les solutions technologiques d’Afrique sont et seront une grande source d’inspiration pour résoudre les problèmes mondiaux que notre monde volatil, incertain, complexe et ambigu nous apporte !