Cosmétique : Aminata Thior “Le potentiel du marché en Afrique francophone d’ici 2025 sera de 9 milliards d’euros”
Le marché du cosmétique en Afrique francophone est en plein essor, mais il est encore méconnu. C’est ce que démontre le dernier rapport de Setalmaa, agence de markéting panafricaine spécialisée dans le secteur. Analyse avec la fondatrice Aminata Thior.

Propos recueillis par Mérième Alaoui
Aminata, quelle est la vocation de Setalmaa ?
Né en 2017, Setalmaa est le premier média spécialisé sur le marché de la beauté et des cosmétiques en Afrique subsaharienne francophone. Nous informons deux cibles : les particuliers, c’est-à-dire les consommateurs africains, avec des conseils et astuces. Et les professionnels, donc les marques africaines et internationales, instituts de beauté, fournisseurs de matières premières et de services, investisseurs, e-commerçants beauté. Nous partageons des informations business nécessaires au développement de leurs entreprises.
Setalmaa, c’est aussi une agence digitale qui produit des études et rapports sur le marché de la beauté en Afrique. Mais aussi des prestations de consulting et d’accompagnement aux entreprises de la beauté et des cosmétiques dans leur lancement, communication et marketing sur le continent. Nous avons une équipe de sept personnes entre Dakar, Abidjan, Douala et Cotonou.
Si nous sommes concentrés sur l’Afrique francophone, notre ambition est clairement de couvrir tout le marché sur l’ensemble du continent africain.
“ Le potentiel des salons de coiffure est de 29 millions d’euros au Sénégal, 71 millions d’euros en Côte d’Ivoire et 62 millions d’euros au Cameroun”
Quels sont les principaux enseignements de votre rapport sur le marché de la cosmétique en Afrique francophone ?
Selon qu’on soit une grande entreprise, petite entreprise, porteur de projet, acteur dans le maquillage, skincare, parfum, e-commerçants, laboratoires ou autres, les enseignements ne seront pas les mêmes. Mais de manière générale, il faut retenir que comparé à l’Afrique anglophone, l’Afrique francophone a un marché́ moins important mais la croissance de sa classe moyenne et donc de son pouvoir d’achat y est réelle. Cette classe moyenne a aujourd’hui le pouvoir d’achat de se procurer le dernier nouveau-né de Fenty Beauty ou Christian Dior. Elle est ainsi ouverte aux tendances mondiales et est également plus exigeante sur la qualité des produits et sur leur efficacité. Elle consomme les grandes marques internationales et en même temps, elle reste une fidèle clientèle des produits cosmétiques locaux.
“Les marques africaines par exemple, ont pris le lead sur les produits naturels capillaires sur ce marché. Les plus fortes sur ce créneau, connaissent des croissances annuelles de leur CA de 30 à 40%”
Selon vos analyses comment va évoluer le secteur ?
Nous avons réalisé notre étude sur une population de 1500 femmes vivant dans différents pays de l’Afrique francophone. Elles sont d’origines sociales différentes, possèdent un niveau d’éducation et un pouvoir d’achat différents. Elles habitent en ville, en banlieues et dans les régions/provinces africaines. Trois pays sont leaders sur ce marché : il s’agit de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, et du Cameroun. La RDC étant à suivre de près.
Ainsi, hors circuit informel et produits dépigmentants, le potentiel du marché de la beauté et des cosmétiques en Afrique francophone d’ici 2025 sera de 9 milliards d’euros. Ce chiffre va exploser si le potentiel du marché de la République démocratique du Congo avec ses 80 millions de potentiels consommateurs se développe.
En 2021, nos études terrain ont montré qu’il y a une forte demande des consommateurs africains en prestations de maquillage, coiffure, pédicure, manucure et autres prestations bien-être dans des espaces beauté. A titre d’exemple, le potentiel des salons de coiffure est de 29 millions d’euros au Sénégal, 71 millions d’euros en Côte d’Ivoire et 62 millions d’euros au Cameroun.
Quel est le portrait robot de la consommatrice africaine ?
La consommatrice africaine ne lésine pas sur sa beauté et son bien-être. Ce n’est pas un cliché mais une réalité. Quel que soit son niveau de vie et son statut social, elle dépensera de l’argent pour sa peau, ses cheveux… Son panier moyen mensuel pour les produits de soins corps et cheveux naturels et/ou dermo-cosmétiques est d’un minimum de 105€, (entre 305€ et 407€ pour les extensions de cheveux).
La vraie question est: les professionnels de la beauté sont-ils suffisamment outillés, en termes de connaissances du consommateur et de ses besoins, de ressources humaines qualifiées dans la vente de produits et services beauté, pour vendre naturellement et facilement leurs produits et services à ses consommatrices ?
“Créer une industrie du packaging en Afrique, protéger les savoirs-faires ancestraux du continent, valoriser les matières premières et produits locaux aux yeux des populations africaines”
Aux côtés des leaders internationaux, des acteurs économiques africains émergent-ils dans le secteur ?
Trois acteurs principaux se partagent ce marché. Les grandes marques internationales avec des équipes propres ou sous licences présentes sur le continent ( l’Oréal, Yves Rocher, Dior Parfums…), les industriels locaux (Sivop, Gandour, …) et les acteurs locaux (marques africaines, e-commerçants beauté, instituts de beauté). Évidemment, la concurrence est forte entre ces différents acteurs car chacun essaie de tirer son épingle du jeu.
Les marques africaines par exemple, ont pris le lead sur les produits naturels capillaires sur ce marché. Les plus fortes sur ce créneau, connaissent des croissances annuelles de leur CA de 30 à 40%. Les industriels locaux ont le challenge de revoir leurs formules basiques pour séduire de plus en plus de consommateurs et les grandes marques internationales quant à elles cherchent toujours comment se positionner réellement sur ce marché même si elles enregistrent des croissances moyennes et annuelles de 15% sur ce marché. Pour la majorité, elles ont le défi de ne pas basculer dans la vente de produits dépigmentants pour augmenter leurs chiffres.
Quels sont les défis à surmonter pour que ce marché se déploie davantage ?
Le premier défi est incontestablement la réglementation de ce marché. Aucun pays en Afrique francophone ne peut se targuer d’avoir une réglementation sur son secteur des cosmétiques. On trouve sur ce marché, une grande quantité de produits nocifs pour les consommateurs.
L’autre grand défi est de s’attaquer sérieusement et profondément à la problématique de la dépigmentation. Il y a une urgence aujourd’hui de ne plus lutter contre la dépigmentation mais plutôt pour la peau naturelle. Ce nouvel angle peut permettre aux entreprises privées de la cosmétiques et aux états africains, de trouver des solutions innovantes à ce fléau.
Enfin, créer une industrie du packaging en Afrique, protéger les savoirs-faires ancestraux du continent, valoriser les matières premières et produits locaux aux yeux des populations africaines, créer des formations diplômantes autour des métiers de la beauté, créer des laboratoires aux normes internationales qui permettront aux marques africaines de s’exporter, sont les autres défis majeurs à maîtriser et par les acteurs du domaine mais aussi et surtout, par les gouvernants africains. Car rappelons-le, de tels défis relevés permettront de créer des milliers d’emplois en Afrique.
Pour consulter l’étude : https://setalmaa.com/product/rapport-setalmaa-2021/
Pour en savoir plus : https://setalmaa.com/