Cart’Afrik L’Afrique, leader mondial de l’innovation en matière de santé mondiale
La sortie du « Rapport mondial sur la santé mentale » 2022 de l’Organisation Mondiale de la Santé est l’occasion d’une analyse de ce biotope unique que celui de la santé mentale en Afrique. Les décennies se succèdent, la situation s’aggrave. En effet, les estimations actuelles suggèrent que près d’un milliard de personnes souffrent de troubles de la santé mentale – dont près de 110 millions vivant sur le continent africain avec un accès limité aux soins.
Par Marie-Alix de Putter, Présidente – Bluemind Foundation
La pandémie à COVID-19 a démontré l’impact négatif qu’un virus peut avoir sur les économies et les sociétés mondiales et sur la réalisation collective des Objectifs de développement durable (ODD). Plus que tout autre chose, la pandémie a révélé que la santé mentale est l’un des plus grands défis de la société moderne qui, au-delà des effets immédiats sur la famille, le tissu relationnel et les soignants, affecte toutes les sphères de la vie publique : éducation, emploi, sécurité, droit et justice. Ce contexte inédit a eu pour conséquence l’augmentation de la dépression et du suicide associée à l’isolement, déclenchant une vague d’intérêt et de sensibilisation du public pour la santé mentale.
Et pourtant, en dépit de sa fréquence, la maladie mentale continue à être un tabou en Afrique. En conséquence, les personnes souffrant de problèmes de santé mentale sont souvent victimes de discrimination et de stigmatisation sociale, conduisant à un déni qui les empêche de chercher l’aide nécessaire. En outre, bien qu’elle coûte des milliards de dollars en pertes de revenus par an aux économies nationales, la santé mentale reste sous-financée et insuffisamment dotée en ressources humaines1.
D’après les données de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la dépense moyenne pour la santé mentale dans le monde est estimée à moins de 2 dollars par personne et par an, et moins de 0,25 dollar dans les pays à faible revenu2. Or, une mauvaise santé mentale coûte à l’économie mondiale environ 2,5 trillions de dollars par an en termes de productivité économique et de coût direct des soins. Ce coût devrait atteindre 16 trillions de dollars US d’ici 20303.
« Alors que l’OMS préconise un thérapeute de la santé mentale pour 5.000 habitants, la moyenne africaine est de 1 pour 500.000 »
Le sous-financement systémique des services de santé mentale se reflète aussi dans la rareté de ressources humaines disponibles. Alors que l’OMS préconise un thérapeute de la santé mentale pour 5.000 habitants, la moyenne africaine est de 1 pour 500.000. Pris individuellement, dans certains pays d’Afrique francophone, les chiffres sont encore plus graves. À titre d’exemple, en Côte d’Ivoire, l’on compte une cinquantaine de thérapeutes pour plus de 25 millions d’habitant·e·s4 . Au Togo, le ratio est de 1 pour 1 600 000 ; il est de 1 pour 2 600 000 habitant·e·s5 au Cameroun.
À l’échelle mondiale, environ 280 millions de personnes souffrent de dépression6. En Afrique, ce sont près de 66 millions7 de femmes – soit environ l’équivalent de la population de la France – qui sont sujettes à la dépression et à des troubles anxieux. Globalement sur le continent, « moins de 10 % de la population a accès à des soins de santé mentale », révèlent les Nations Unies8. À cet égard, il convient de noter que les conflits armés et le changement climatique mènent à une exacerbation des troubles de santé mentale préexistants9.
Une situation intenable qui invite à agir sans délai. D’une part, il s’agit d’innover dans le langage en déplaçant la perspective du coût économique au retour social sur investissement. Ainsi, une étude récente dirigée par l’OMS a montré que chaque dollar US investi dans l’intensification du traitement de la dépression et de l’anxiété pourrait rapporter 4 dollars US en termes d’amélioration de la santé et de la capacité à travailler10.
D’autre part, alors que la santé mentale se débat dans une temporalité qui ne lui est presque jamais favorable, il faut améliorer, renforcer et soutenir sa visibilité et sa valeur par le biais des organisations de la société civile. Dans un environnement socio-culturel où les difficultés se juxtaposent, il est nécessaire de proposer des solutions innovantes adaptées aux réalités locales.
« L’innovation dans la recherche scientifique et le développement d’actions de terrain dans le paysage africain de la santé mentale existe depuis une dizaine d’années »
L’innovation dans la recherche scientifique et le développement d’actions de terrain dans le paysage africain de la santé mentale existe depuis une dizaine d’années. En témoigne les organisations telles que le Friendship Bench (Zimbabwe), le Shamiri Institute (Kenya) et la Bluemind Foundation (Afrique de l’Ouest et Centrale).
Ainsi, né du constat empirique que les femmes africaines parlent à leurs coiffeuses ; soutenu par le rapport d’études croisées entre les femmes africaines et leurs coiffeuses publié en novembre 2021 par la Bluemind Foundation, Heal by Hair ou guérir par le cheveu, est le premier mouvement de coiffeuses ambassadrices en santé mentale en Afrique. Cycle de formation court et innovant de trois jours, ce programme innovant et peu couteux vise à faire de coiffeuses professionnelles les premiers maillons de la chaine de soins en santé mentale en Afrique. Il s’agit aussi de redonner aux femmes leur pouvoir d’agir sur leur santé mentale tout en leur donnant les clés et encouragements sociaux pour développer leur entreprises. La session inaugurale du programme Heal by Hair s’est tenue à Abidjan (Côte d’voire) du 4 au 6 avril 2022. Après un appel à candidatures ayant reçu près de 250 candidatures, 22 lauréates issues des communes populaires d’Abobo, Cocody et Yopougon ont été certifiées. Et à travers elles, près de 8000 femmes trouveront l’aide dont elles ont besoin. Abidjan marque la toute première étape d’une série de formations gratuites. Le programme s’étendra à plusieurs autres pays, notamment au Cameroun et au Togo. Avec l’objectif ultime de contribuer à l’amélioration de la santé mentale et du bien-être des femmes africaines à travers le fauteuil des coiffeuses, Bluemind Foundation ambitionne de former 1000 coiffeuses à travers 20 villes d’Afrique et contribuer à l’amélioration de la santé mentale de 3 000 000 de femmes africaines d’ici 2035.
The Friendship Bench (le banc de l’amitié), développé au Zimbabwe par le Dr Dixon Chibanda est un autre exemple d’intervention innovante réussie depuis 2006. Ce projet consiste à former des grands-mères au traitement de la dépression pour pallier le manque de psychiatres et psychologues dans le pays. Avec ce programme, les grands-mères proposent une écoute et des conseils gratuits aux patients souffrant de dépression. Cette brève intervention psychologique née au Zimbabwé a été mise en œuvre au Kenya, en Tanzanie et au Malawi ainsi que dans des pays occidentaux comme le Canada et les États- Unis.
Avec l’augmentation des taux de troubles émotionnels et de suicide chez les jeunes, la jeunesse africaine n’est pas en reste en matière d’innovation en santé mentale. Outre le laboratoire d’idées et incubateurs de projets en santé mentale porté par les jeunes du Teen Youth Tank de la Bluemind Foundation, au Kenya, Tom Osborn a co-fondé l’Institut Shamiri. Il s’agit d’une organisation qui utilise des recherches de pointe en sciences sociales et une connaissance du terrain pour développer et mettre en œuvre des outils qui améliorent la santé mentale et le bien-être des jeunes Africains. Le projet Thrive ! est actuellement en cours de déploiement au Kenya.
« Une urgence sanitaire, un défi démocratique et un engagement citoyen »
Un proverbe africain dit que “le soleil qui brille n’ignore pas une case parce qu’elle est petite“. Ainsi, dans des contextes d’enchevêtrement de difficultés, la société civile apporte une contribution significative à un problème majeur de santé publique dans nos sociétés. Il n’y a pas de santé sans santé mentale. Et, la santé est un aspect déterminant du développement humain et économique en Afrique. Permettre un avenir durable pour nos enfants, c’est prendre conscience qu’il n’y aura pas de développement sans l’accès au soin de toutes les personnes souffrant de troubles de la santé mentale. C’est une urgence sanitaire, un défi démocratique et un engagement citoyen. Il est temps de passer à l’acte, enfin !
1 World Health Organisation (2003). Investing in Mental Health. Geneva:World Health Organisation. 2 World Health Organisation (2011). Mental Health Atlas: 2011. Geneva: World Health Organisation.
3 Bloom DE, Cafiero ET, Jane-Llopis E, Abrahams-Gessel S, Bloom LR, Fathima S, Feigl AB, Gaziano T, Mowafi M, Pandya A, Prettner K, Rosenberg L, Seligman B, Stein A and Weinstein C (2011). The global economic burden of non-communicable diseases. Geneva: World Economic Forum.
4https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/01/28/les-guerisseurs-traditionnels-nouveaux-allies-des-psychiatres-en-cote-d- ivoire_6027545_3212.html
5 Sous-direction de la santé mentale – ministère de la Santé publique du Cameroun (MINSANTE) – 2021
6 Institute of Health Metrics and Evaluation. Global Health Data Exchange (GHDx). http://ghdx.healthdata.org/gbd-results- tool?params=gbd-api-2019-permalink/d780dffbe8a381b25e1416884959e88b (Accessed 1 May 2021).
7 Patel V, Saxena S, Lund C, Thornicroft, Baingana F, Bolton P, Chisholm D, Collins PY, Cooper JL, Eaton J, Herrman H, Herzalla MM, Huang Y, Jordans MJD, Kleinman A, Medina-Mora ME, Morgan E, Niaz U, Omigbodun O, Prince M, Rahman A, Saraceno B, Sarkar BK, De Silva M, Singh I, Stein DJ, Sunkel C and Unutzer J (2018). “The Lancet Commission on global mental health and sustainable development.” The Lancet, 392(10157):1553-1598.
8 https://unric.org/fr/le-sous-financement-de-la-sante-mentale-pourrait-couter-tres-cher/
9 Levy BS and Sidel VW (2016). “Documenting the effects of armed conflict on population health.” Annu Rev Public Health, 37:205-18.
11. Chisholm D, Sweeny K, Sheehan P, Rasmussen B, Smit F, Cuijpers P and Saxena S (2016). “Scaling-up treatment of depression and anxiety: a global return on investment analysis.” The Lancet Psychiatry, 3(5):425-424.