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Interview Didier Acouetey « Ce qui fait l’intérêt d’une formation, c’est l’interaction »

Président du cabinet de ressources humaines AfricSearch et observateur averti des évolutions des marchés de l’emploi africains, Didier Acouetey analyse dans cet entretien les transformations en cours du secteur sur le continent. Notamment celles liées à la digitalisation. 

La pandémie a rappelé, si besoin en était, l’urgence de créer de nouveaux emplois en Afrique. Or, en la matière, le constat est sans appel : l’offre actuelle en matière de formation sur le continent reste souvent inadéquate… 

Vous n’avez pas tort. Tout le monde s’accorde aujourd’hui sur le fait que la jeunesse est le segment de population qui doit concentrer tous les efforts publics en termes de compétence et d’employabilité. Malheureusement, les programmes qui sont mis en place n’arrivent pas à atteindre les objectifs fixés. Le premier problème est que les systèmes éducatifs sont difficiles à réformer. On peut construire toutes les universités que l’on veut, si on ne revoit pas les curricula et les systèmes éducatifs en profondeur, on ne règlera pas le problème. De ce point de vue, si l’on regarde le nombre d’étudiants qui entrent tous les ans dans les universités- et dans les cycles de l’enseignement supérieur plus généralement-, aucun investissement, aussi important soit-il, ne pourra répondre à la demande. 

« L’idée est de mettre à niveau les jeunes en matière de compétences fondamentales : savoir analyser, rédiger, faire des propositions… »

Il existe néanmoins un certain nombre d’initiatives privés, dont une en Côte d’Ivoire qui sera prochainement lancée et où nous sommes partenaires. Concrètement, les jeunes seront pris en charge pendant six mois dans un programme d’employabilité. Quand les étudiants sortent des écoles, ils n’ont pas de compétences et ne savent pas faire grand-chose. L’idée est donc de prendre ces jeunes et de les reformater pour les mettre à niveau en matière de compétences fondamentales : savoir analyser, rédiger, faire des propositions… Le deuxième axe de cette initiative, c’est de donner à ces jeunes plus de compétences opérationnelles, ce qu’ils n’ont pas toujours parce qu’ils ne l’ont pas appris et n’ont pas été en entreprise. Le troisième et dernier point enfin mis en avant dans ce programme, c’est l’exécution, la capacité à tenir une feuille de route. Au final, si les jeunes candidats à l’emploi ne répondent pas à ces trois pré-requis, ils ne pourront pas s’adapter aux besoins du marché. 

Comment intégrer plus fortement le secteur privé dans cette démarche ?

Le secteur privé est indispensable. Dans le programme que j’ai évoqué, ce sont des entreprises qui accueilleront ces jeunes. Mais les acteurs du secteur privé n’ont pas tous les moyens de jouer ce rôle. Il y a un cycle d’apprentissage en entreprise à mettre en place avec un mentor, afin que l’entreprise forme ces jeunes de manière optimale. Sur ce point précis, l’État pourrait encourager les entreprises à jouer ce rôle de formation en les aidant financièrement, à travers la taxe d’apprentissage par exemple. 

« Si l’on s’inscrit dans une démarche publique/ privée, l’Etat doit accompagner ce type de formation en entreprise » 

Dans les faits, on se demande pourtant si ces fonds sont utilisés à bon escient. S’ils étaient utilisés intelligemment, ils financeraient ces programmes d’apprentissage en entreprise, l’État prenant en charge par exemple le mentor afin que l’entreprise y trouve un intérêt et que le jeune se rende utile à l’entreprise. Dans la pratique, c’est un vrai suivi et c’est la croix et la bannière pour trouver le temps nécessaire à ce type de coaching, les managers étant souvent très occupés… Si l’on s’inscrit dans une démarche publique/ privée, l’État doit accompagner ce type de formation en entreprise. 

Quid de l’essor des formations en ligne ? S’agit-il d’une réelle alternative ? 

On ne peut plus se priver de la digitalisation des formations. Les adultes que nous sommes apprenons tous les jours. Parfois à travers des séminaires mais tous les jours, on apprend avec ces nouveaux outils digitaux. Or, ce qui est valable pour les adultes l’est encore plus pour les jeunes et ce système d’éducation hybride (en présentiel et sur support digital)  deviendra de plus en plus la norme. 

« La digitalisation est un impératif …mais à construire de manière pragmatique« 

Il est néanmoins bon de rappeler que ce qui fait l’intérêt d’une formation, c’est l’interaction. C’est dans les échanges avec les autres que l’on renforce ses compétences. De fait, quand on dit formation en ligne, on ne parle pas seulement de programmes éducatifs à travers lesquels on apprend par soi-même. La digitalisation est un impératif mais à construire de manière pragmatique. J’ai vu par exemple des formations en ligne sur des travaux mécaniques ou d’audit conçus de manière à ce que l’apprenant comprenne, intègre et passe à l’exécution, à travers des slides, des visuels. Il faut donc un vrai enseignement en ligne, pas juste du contenu en ligne ou un enseignant qui livrerait un cours théorique en ligne. Plus largement, la digitalisation devrait être complétée par l’interaction périodique et se faire dans des conditions où l’apprenant puisse en tirer un bénéfice. 

Par ailleurs, il faut aussi voir les coûts. J’ai vu des programmes de formation dans l’aérien au coût exorbitant ! Avec une logique de volume et d’économie d’échelle, on pourrait cependant réduire ces coûts. Quant au secteur privé, il investira dans cette filière de l’e-learning s’il y voit une source de profit. Tous les mécanismes doivent être mis en place pour encourager le privé à développer ces modules. 

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