Interview de Hicham Rahil, membre du Conseil national du Mouvement populaire, et responsable des affaires diplomatiques de Centre Maghrébin des études stratégiques et sécuritaires.
Cela a été la grande surprise du dernier sommet de l’Union africaine, le retour du Maroc dans l’Union – ce qui n’était pas une surprise en réalité… Le Maroc prépare cela très habilement depuis plusieurs années…
Oui en effet, ce retour du Maroc au sein de l’Union Africaine est le résultat de longues années de travail. Le retour dans l’UA était inscrit au cœur des priorités du Royaume. Et si lors du dernier sommet de l’Union, le Maroc a obtenu suffisamment de votes favorables pour son adhésion, c’est grâce aux relations bilatérales qu’il entretient avec un grand nombre de pays africains.
Avec un impact économique : il va confirmer le rôle grandissant du Royaume comme investisseur majeur sur le continent. Ce qui a été au cœur de la stratégie marocaine en Afrique au cours de cette dernière décennie : l’éco-diplomatie. On joue à fond la carte de la coopération sud-sud et on rafle quelques contrats au passage…
Sans aucun doute. C’est aussi en raison de la percée économique qu’il connaît depuis une dizaine d’années que le Maroc a obtenu le soutien de ses pays frères africains. Mais ce n’est pas un rôle qu’il joue : la coopération sud-sud est une réalité. Dans plusieurs secteurs, le Maroc apporte sa contribution au développement des pays qu’il accompagne. Il ne s’agit pas que de « rafler des contrats » – comme vous le dites – mais de s’engager sur le long terme en mettant à contribution le savoir-faire marocain.
Vis à vis du voisin Algérien avec qui les relations restent tendues, et qui soutient le Polisario, les choses ne vont pas s’améliorer…
Forcément plus le Royaume devient fort, plus il inquiète. A commencer par ses adversaires. Je pense bien évidemment à l’Algérie, ça ne surprendra personne, mais également à l’Afrique du Sud. Des pays en perte de vitesse sur le continent africain. Justement parce que leur diplomatie est basée sur des mensonges. Quand l’Algérie accuse le Maroc de terrorisme, elle oublie que notre pays est un allié solide sur lequel les pays européens ont toujours pu compter dans le cadre de la lutte. Et les derniers attentats tragiques à Paris l’ont démontré : c’est avec l’aide des services secrets marocains que les commanditaires de l’attaque ont pu être arrêtés.
Dans un autre registre également l’Afrique du sud ne joue par son rôle de partenaire. Si les universités de Johannesburg sont réputées pour leur niveau de compétence, elles sont en revanche fermées aux étudiants africains. A l’inverse du Maroc qui accueille chaque année dans ses universités des milliers d’étudiants du continent. Avec un accueil chaleureux et sincère… Ce qui lui est rendu : les visites du Roi Sa Majesté Mohamed VI dans les pays africains font l’objet d’un accueil exceptionnel. Tant par les leaders politiques que par les populations. C’est le signe des bonnes relations que le Royaume entretient avec ses pays frères. Des pays avec lesquels nous avons créé des relations gagnant-gagnant.
Maintenant que le Royaume a retrouvé son siège au sein de l’Union africaine, quelle est la prochaine étape pour la diplomatie chérifienne ? Le roi a récemment effectué une visite en Afrique anglophone, c’est la prochaine étape ?
Oui, poursuivre et nouer de nouvelles relations bilatérales, tout en consolidant les relations existantes. Car si ce retour au sein de l’Union africaine marque un succès pour la diplomatie chérifienne, c’est une bataille de gagnée, mais la guerre se joue encore. Or, il y a un « mais » dans les relations bilatérales africaines. Et même au-delà. Elles ne reposent à ce jour que sur l’institution royale et le ministère des Affaires étrangères. Mais, j’estime, à titre personnel, que notre diplomatie parallèle n’est pas encore à un niveau souhaitable. Par exemple, il manque le cadre adapté qui va encourager les PME marocaines à investir en Afrique. Aujourd’hui, seules les grandes sociétés marocaines, qui accompagnent le Roi dans ses tournées, pénètrent le continent Africain. Mais comme nous le savons tous, ce sont les PME qui créent des richesses localement, des emplois. Le poids économique du Maroc sur le long terme dépendra de sa capacité à intégrer son réseau de PME. Cela, c’est le rôle du patronat marocain.
De la même manière, la société civile marocaine doit travailler avec les associations en Afrique. Cibler les associations de droits de l’homme et celles qui œuvrent dans l’humanitaire pour participer à des actions en Afrique. Sans oublier l’acteur politique. A ce niveau, c’est le grand vide. Le gouvernement, les partis politiques, sont totalement absents. Ils se contentent de saluer les initiatives du Roi sans les accompagner. Il faut pourtant se souvenir des expériences passées : alors que le Maroc a milité, la diplomatie officielle – c’est à dire la Monarchie – de 1996 à 2008 pour que le Maroc obtienne le statut avancé en Europe pour l’obtenir finalement, il est aujourd’hui remis en question du fait de l’absence sur le terrain du gouvernement et des représentants des partis qui auraient dû prendre le relais. D’autant que, contrairement à eux, nos adversaires sont très présents et visent à affaiblir le Maroc. Il ne faut pas oublier que certains pays européens, les pays scandinaves notamment, ont pris des positions défavorables au Maroc sur la question du Sahara occidental. On peut craindre la même réaction en Afrique. Il faut mobiliser les efforts. Les partis politiques, mais aussi la société civile, et sans oublier les médias, tous les corps qui constituent une nation, pour accompagner la diplomatie royale sur le long terme. Autrement, nous perdrons la position de force que nous avons acquise.