Interview Zied Lahbib « L’attractivité post-Covid du site Tunisien sera en grande partie portée par l’innovation »
Economiste spécialisé dans les IDE, Zied Lahbib est actuellement directeur de la promotion générale à L’Agence de Promotion de l’Investissement Extérieur «FIPA-Tunisia». De la résilience des entreprises tunisiennes face à la crise actuelle à la nécessité de se tourner vers l’Afrique, Zied Lahbib revient sur les atouts compétitifs de la Tunisie et dresse les contours du positionnement du site à l’ère du post-Covid.
Propos recueillis par Dounia Ben Mohamed
Quelle est la mission de la Fipa et quelle est sa stratégie pour valoriser la plateforme tunisienne ?
La Fipa est une agence qui fait la promotion du site d’investissement tunisien, à travers notre siège à Tunis et nos bureaux à l’étranger. Depuis 25 ans, notre objectif est d’entrer en contact avec des investisseurs potentiels. Notre stratégie a été de nous focaliser pendant nos premières années sur la promotion générale, à travers notamment des participations à des séminaires de promotion générale à l’étranger mais aussi en Tunisie, pour véhiculer l’image du pays et de ses atouts. Une manière de promouvoir la Tunisie à l’étranger. Depuis cinq ans, on s’est davantage orienté sur de la prospection directe. Autrement dit, travailler en amont des dossiers et cibler des entreprises pour lesquelles on travaille de façon personnalisée. Nous avons observé qu’à terme, après évaluation, il y avait un retour sur investissement plus conséquent.
Comment avez-vous réadapté cette stratégie à ce contexte de pandémie ?
Il est vrai que nous avons une partie de prospection directe. Or, depuis le confinement et ce qui en a résulté, nous avons beaucoup travaillé pour assurer le bon déroulement des opérations des investisseurs étrangers.
L’idée étant de sécuriser les activités des sociétés étrangères déjà présentes en Tunisie et leurs exportations. Un élément fondamental de notre travail en Tunisie. Nous avons mis en place une cellule de crise, dès le début du confinement, directement en contact avec les entreprises étrangères, qui a obtenu un taux de satisfaction de 96% aux doléances des entreprises. C’est toujours une focalisation sur les entreprises étrangères. Nous avons aujourd’hui plus de 3600 entreprises étrangères en Tunisie, qui génèrent 407 000 emplois, ce qui est important.
Avez-vous pu maintenir leur présence et leurs activités en Tunisie et donc sauver l’emploi, le challenge, en Tunisie ?
Il est vrai que nous avons constaté une baisse du volume des IDE de 26,4% par rapport aux 9 premiers mois de 2019. Toutefois, ce chiffre est à relativiser puisque la CNUCED prévoit une baisse du volume des IDE de 40 à 50% dans le monde.
Par ailleurs, nous n’avons pas observé, jusqu’à présent et de manière significative, des fermetures d’entreprises étrangères causées directement par la pandémie. Ce qui est très important. Il y a eu du chômage technique, c’est vrai. Il y a eu une baisse importante des exportations notamment dans les industries mécaniques, électriques et électroniques.
Au niveau national, une baisse de plus de 15% a été enregistrée pendant les neuf premiers mois, toutes activités confondues, une partie d’entre elles étant celles d’entreprises étrangères. Ça a été assez critique pour un secteur comme celui des composants aéronautiques qui connait une croissance grâce à la filiale d’Airbus, Stelia et de ses sous-traitants. Le cluster des composants aéronautiques qui se trouve au sud de Tunis a considérablement développé ses activités depuis l’arrivée de Stelia. Ça a été un réel succès. Les industries mécaniques, électriques et électronique (IMEE) sont l’une des composantes de notre excédent commercial avec la France, par exemple. Sur les neuf premiers mois de l’année, nous affichons un excédent commercial de 2,56 milliards de dinars, soit environ 800 millions d’euros, avec la France. Les IMEE sont des activités qui performent avec le textile, les services informatiques et activités liées à l’innovation.
A signaler que la baisse des volumes d’exportation dans les industries manufacturières est principalement due à la baisse de la demande des donneurs d’ordre qui se situent principalement en Europe.
Justement, la crise a également révélé une certaine résilience de l’économie tunisienne. Avec ces secteurs qui se démarquent comme celui de l’IT. Peut-on parler aujourd’hui d’une dynamique d’activités qui décollent du fait de la crise ?
C’est vrai. On l’a vu clairement et concrètement. Même si cet écosystème de l’innovation a évolué assez discrètement, on a vu des startups fonctionner à l’international. L’arrivée du start-up Act a boosté cet écosystème tech et innovation. Un élément important à propos du start-up Act, la loi s’est faite avec ce partenariat entre les acteurs publics et les acteurs du secteur. Cette approche d’un dialogue entre le public et les acteurs privés pourrait insuffler une nouvelle dynamique. La transition démocratique qui évolue dans un environnement, notamment régional, assez trouble nous offre tout de même un socle positif. Cette transition est le pilier de cette nouvelle dynamique et elle va à terme être la base d’une croissance économique plus inclusive et pérenne.
Pour revenir à la pandémie, on a vu des start-ups s’engager dans le volet RSE, avec des initiatives comme celle Enova Robotics, et d’autres expériences, des conceptions 3D pour le paramédicale par des ingénieurs, des entreprises à la fois tunisiennes et étrangères, ce qui cadre avec cet esprit et les tendances que va générer cette crise à moyen long terme.
Quels sont les secteurs les plus attractifs aujourd’hui ? Ceux qui portent cette reprise économique ?
Ce qu’il y a de positif c’est que nous sommes en accord avec les tendances sectorielles qui ont été les plus résilientes et qui vont devenir stratégiques. C’est avant tout ce qui touche à l’industrie pharmaceutique, au paramédical, aux services IT et à l’agro-alimentaire. Cette crise nous pousse à nous recentrer sur l’humain ce qui correspond à l’ADN tunisien. Les ingénieurs, les diplômes du supérieur sont reconnus, il y a un investissement important au niveau des formations pointues, nous avons été classés 8e mondial dans le Global Innovation Index dans le pourcentage du PNB qui est investi dans l’éducation et premier en Afrique du Nord selon le Global Innovation Index 2020 . Toujours selon ce rapport de référence, nous sommes classés dans le top 5 des pays qui affichent le taux le plus important d’ingénieurs et de scientifiques par rapport aux restes des diplômés. Le positionnement post-Covid du site Tunisien sera en grande partie porté par l’innovation.
Il y a en effet, dans un certain nombre de secteurs un savoir-faire tunisien, qui s’est révélé à la lumière de cette crise. Ce pays qui forme plus de 6000 ingénieurs par an, n’a pas la capacité de les absorber sur le marché du travail local mais en revanche, c’est un vivier de compétence qui fait défaut en Afrique…
Il y un benchmark à faire. Certains de nos proches compétiteurs ont investi à travers les services financiers, les banques, ou des lignes régulières, leurs entreprises opèrent en Afrique, ce qui est fondamental. L’innovation et l’IT permettent également de gagner des marchés sans se déplacer.
Certaines start-ups comme Instadeep opèrent en Afrique à travers leurs propres antennes. Instadeep est dans l’intelligence artificielle et elle figure parmi les 100 premières entreprises les plus prometteuses en IA dans le monde. Elle travaille en Afrique, avec des antennes au Nigeria et en Afrique du sud, et développe cette volonté de s’ouvrir sur le continent. C’est également le cas de la start-up OXAHOST, spécialisée dans l’hébergement web, qui a ouvert récemment une antenne à Abidjan.
Le start-up Act a donné plus de visibilité à la Tunisie, dans les pays francophones mais également anglophones. Ce qui va aider désormais, ce sont les Free Trade Agreement (FTA). Ce qui a été fait avec à la Comesa et ce qui est en train de se consolider avec la CEDEAO où la Tunisie a pour le moment un statut d’observateur, vont permettre de concrétiser certaines choses. Il y a cette ouverture que nous devons exploiter et nous tourner vers le continent. Il y a assez de sensibilisations au niveau du privé avec notamment les initiatives TABC qui poussent le public à s’intéresser à l’Afrique. Mais, c’est vrai, c’est encore assez timide.
Un autre secteur qui performe en Afrique, la pharmaceutique, notamment la production de médicaments génériques, avec le groupe Kilani, à travers sa filiale Teriak qui a une implantation au Cameroun. On peut citer également, SAIPH, détenu à 83% par un fonds arabe implanté en Tunisie, qui a ouvert une usine en Côte d’Ivoire, SAIPH Ivoire…
Les compétences tunisiennes sont également appréciées en Afrique dans des activités comme l’engineering ou les activités des BTP.
Après une révolution, des troubles au niveau régional, une pandémie mondiale… La Tunisie arrive encore à montrer des signes de résilience et il y a de plus en plus de success story tunisienne qui évoluent à travers le monde et notamment en Afrique. Quelles sont les clés de cette résilience et comment vous l’ingérez dans la promotion de ce made in Tunisie ?
Le confinement nous a coûté. En termes de recettes fiscales par exemple. On a connu une baisse de 20% des recettes fiscales en raison de l’appui aux entreprises pendant le confinement. Ceci étant dit, il est vrai que nous sommes beaucoup dans l’auto-flagellation depuis dix ans. Tout le monde vit le quotidien sans arriver à se projeter.
Il faut se convaincre qu’à terme, nous allons récolter ce que nous avons semé actuellement en termes de réformes économiques.
En termes de résilience, avoir un taux d’inflation qui ne dépasse pas en moyenne les 5% depuis 10 ans alors que le taux d’inflation dans le pourtour Méditerranéen est parfois à deux chiffres !
Les autres agrégats macro-économiques, comme le faible taux de croissance enregistré au cours de ces 10 dernières années, doivent être relativisés du fait du bouleversement qu’a connu le pays au cours de cette décennie.
Il y a de la dynamique, le privé booste la Tunisie. A partir des entreprises étrangères, et tunisiennes. Le premier défi est de faire en sorte que l’économie tunisienne évolue davantage vers une croissance inclusive notamment dans les régions intérieures.
Globalement il y a des challenges qui pourraient être relevés grâce aux jeunes start-ups qui performent à l’international, à l’innovation qui permet actuellement une montée en gamme dans de nombreux métiers des IMEE ou du textile avec la création de centres de R&D et une volonté de performer dans des niches à hautes valeurs ajoutées.
Cette innovation est notamment portée par la jeunesse et cette flexibilité que nos entreprises ont démontrée. En cette période de pandémie qui va fortement impacter notre manière de concevoir notre développement économique, l’un des défis sera par exemple pour certaines entreprises de réussir leur reconversion industrielle. C’est dans ce sens, que des entreprises qui travaillent dans la bonneterie se sont reconverties dans la fabrication de masque. Idem pour le développement des activités de combinaison paramédicale et des éléments de protection individuelle (EPI) pour les hôpitaux. Cette agilité est très importante.
Pour conclure, la Zleca, qui dans ce contexte, continue bon gré et mal gré d’avancer, ouvre de nouvelles opportunités pour cette Tunisie plateforme d’exportation ?
L’accord relatif à la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) que la Tunisie a ratifiée en juillet 2020, facilitera en effet les échanges des services et marchandises dans l’ensemble du continent à partir de janvier 2021.
Nous ne pouvons être qu’une terre d’export. L’avantage et l’inconvénient de la Tunisie est d’être un petit marché. Les entreprises implantées se doivent de viser l’extérieur, avec un marché de moins de 12 millions d’habitants, on n’atteint pas une masse critique pour des entreprises qui veulent performer et s’accroître. Pour ce genre d’entreprises, le réflexe naturel est d’aller à l’extérieur, y compris, et même si c’est encore timide, vers l’Afrique. Cette configuration de la Tunisie, poussera à court terme, cette orientation continentale. Même au niveau de la Fipa, nous essayons d’orienter et de promouvoir, surtout depuis l’adhésion à la Comesa, ces partenariats tripartites entre l’Europe, la Tunisie et l’Afrique. Ce volet avec les actions menées par la TABC se consolide beaucoup plus. Il y a une volonté claire du gouvernement d’accompagner cette tendance.