Afrique-Moyen Orient

Sommet de l’industrie à Riyad : vers une croissance économique plus juste et plus verte ?

Le sommet Global Industry Summit 2025 (GIS 2025) tenu à UNIDO — l’instance onusienne pour le développement industriel — s’est conclu fin novembre à Riyad. Si les ambitions portées sont fortes — industrie durable, inclusion jeunesse et formation, coopération internationale — les retombées concrètes pour les pays en développement, notamment en Afrique, restent soumises à de nombreuses incertitudes. Analyse.

Depuis l’ouverture du GIS 2025, les organisateurs n’ont pas caché leurs espoirs de voir l’industrie mondiale se réinventer sur des bases plus durables, inclusives et résilientes. Lors de la session inaugurale, le directeur général de l’UNIDO a salué l’initiative de l’Arabie saoudite comme modèle — un “modèle régional” de transformation industrielle, mêlant technologies modernes, énergie renouvelable, innovation et volonté politique.

Le sommet a permis de lancer officiellement la “Industrial Development Report 2026” et la “UNIDO Vision 2050”, documents cadres qui tracent ce que pourrait être l’industrie de demain : plus verte, plus digitalisée, et plus équitable, notamment pour des pays qui, jusqu’à présent, peinaient à sortir d’un modèle extractif ou faiblement manufacturier.

Pour l’Arabie saoudite, le discours est ambitieux : le pipeline de projets industriels dépasse les 500 milliards de dollars, avec l’objectif d’atteindre 36 000 usines d’ici 2035. Les opportunités concernent des secteurs variés : véhicules électriques, produits chimiques en aval, pharmaceutique, énergies renouvelables… Le pays affirme avoir repéré plus de 800 “opportunités industrielles” sur cette période.

Malgré ces promesses, les échos restent prudents — et pour cause : transformer ces ambitions en réalité exige des conditions rarement réunies, surtout ailleurs qu’en Arabie.

Un modèle séduisant — mais difficilement exportable tel quel

L’expérience saoudienne (investissements massifs, planification industrielle, soutien aux technologies de pointe, formation professionnelle) offre une vitrine : elle montre ce qu’un État disposant de ressources et de volonté politique peut faire. Mais transposer ce modèle à l’Afrique n’est pas simple. Beaucoup de pays africains souffrent de faiblesses structurelles : infrastructures insuffisantes, accès à l’énergie souvent précaire, manque d’industrialisation réelle — la part de la transformation manufacturière dans le PIB restant faible dans de nombreux États du continent.

D’autre part, le passage à une “industrialisation verte” — comme prônée par l’UNIDO — requiert des capitaux, de la technologie, mais aussi des cadres réglementaires robustes et une gouvernance capable d’éviter les pièges (dépendance aux matières premières, pollution, externalités sociales ou environnementales). Or, nombre de pays africains font face à des contraintes importantes dans ces domaines.

Un autre obstacle crucial : les technologies dites “vertes” ou modernes — énergétique, numérique, d’automatisation — sont souvent plus coûteuses que les procédés traditionnels. Dans un contexte de budgets serrés, de priorités concurrentes (santé, éducation, infrastructures de base), il est difficile pour les Etats africains de mobiliser les ressources nécessaires pour une “industrialisation durable” — ce qui laisse planer le risque d’un retour à des industries intensives en énergie fossile, ou d’un sous‑investissement chronique.

L’enjeu pour l’Afrique : “tirer parti de ce moment pour négocier des transferts technologiques, des partenariats adaptés, des financements ciblés”

Le sommet fournit un cadre de dialogue et de coopération internationale potentiellement favorable. L’enjeu pour l’Afrique serait de tirer parti de ce moment pour négocier des transferts technologiques, des partenariats adaptés, des financements ciblés, permettant de bâtir des filières industrielles nouvelles — plutôt que de rester dans une logique de simple exportation de matières premières.

L’intérêt d’une approche “verte et moderne” est réel : l’Afrique, non encore enracinée dans des modes de production très polluants, pourrait éviter les erreurs de l’industrialisation passée et s’insérer dans les chaînes de valeur mondiales à forte valeur ajoutée — dans l’agro‑industrie durable, les énergies renouvelables, les biotechnologies, les services industriels, etc. Comme le note un rapport récent, “green industrialisation” peut offrir un avantage compétitif si les politiques, l’énergie et les infrastructures suivent.

Mais cela suppose que les États africains, avec l’appui de la communauté internationale, s’engagent dans des réformes profondes : gouvernance, attractivité pour l’investissement, soutien à l’innovation, formation, mais aussi un cadre réglementaire en phase avec les standards environnementaux et sociaux.

Vers un choix stratégique — et risqué

Le GIS 2025 rappelle que le monde industriel entre dans une phase de mutation : numérique, verte, globalisée. Pour l’Afrique, c’est peut-être une fenêtre d’opportunité — mais l’adopter pleinement demande un choix stratégique clair. Poursuivre l’industrialisation “classique” (matières premières, extraction, faible transformation) reste possible — mais pour combien de temps, dans un contexte de marchés mondiaux de plus en plus exigeants sur les normes ?

S’orienter vers une industrialisation moderne et durable semble plus ambitieux — et potentiellement plus bénéfique à long terme —, mais les risques sont élevés : coûts initiaux, dépendance aux financements extérieurs, fragilité institutionnelle.

Ainsi, loin d’être un pacte miraculeux, le modèle promu à Riyad apparaît comme une invitation à repenser l’industrie — mais aussi comme un défi majeur, un pari de long terme pour l’Afrique. Ce pari peut être payant — à condition de bâtir des politiques sur mesure, solides et cohérentes, et de ne pas confondre ambition, souhait et réalités du terrain.

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